J’étais en chemin pour une séance de physiothérapie. Depuis que j’ai fracturé ma hanche, ces sessions sont désormais inscrites dans mon emploi du temps hebdomadaire. J’entrai dans la salle et ne vis que deux personnes dans la salle d’attente. Je soupirai, soulagée, je ne devrais pas attendre trop longtemps. Je m’installai sur une chaise et sortis mon livre des Téhilim, un Livre de Psaumes.

Il y a de longues années, je m’étais décidée à ne pas perdre de temps en attendant dans les bureaux ou dans les trajets. Nous gaspillons tant de temps dans la journée. Nous nous plaignons d’être tellement occupés et de pouvoir à peine gérer nos prières quotidiennes ; on n’a certainement pas le temps d’ouvrir un livre de Téhilim. Mais si nous examinons soigneusement notre journée et sommes honnêtes avec nous-mêmes, nous serons obligés de concéder qu’il y a beaucoup de temps morts qui pourraient être mis à profit intelligemment, mais qui disparaissent dans le néant.

À cette occasion, avant même de pouvoir commencer la récitation de mes Téhilim, la femme assise en face de moi me demanda : « N’êtes-vous pas la Rabbanite ? »

-Oui, c’est bien moi, répondis-je.

- Je lis votre rubrique dans le Jewish Press depuis de longues années et je les apprécie beaucoup.

- C’est très gentil de votre part, répondis-je, pensant que la conversation était close.

Mais elle reprit : « J’habite dans votre quartier et je vous ai immédiatement reconnue. »

- Quelle synagogue fréquentez-vous ? Où priez-vous ?

- Oh, Rabbanite, je ne suis pas juive.

Je ne m’attendais pas à une telle réponse, et mon interlocutrice, ressentant ma surprise, reprit :

« Tant que vous croyez en D.ieu et que vous êtes honnête et bon, quelle différence cela peut-il faire à quelle religion vous appartenez ? Je suis italienne et catholique, mais je me sens très liée aux Juifs. C’est un peuple très chaleureux, affectueux et orienté sur la famille, tout comme nous. Nous avons beaucoup en commun. Par exemple, lorsque des invités venaient chez nous, ma mère les accueillait toujours à bras ouverts. Elle nous a enseigné à ne jamais demander : "Puis-je vous servir quelque chose à manger ? Puis-je vous offrir une tasse de café, du gâteau, des fruits ?" "Donnez-leur", disait-elle. Et cela ne s’appliquait pas qu’aux rafraichissements. Dans le monde de ma maman, ceci était vrai pour tout : ne demande pas, donne tout simplement ! »

Tout en parlant, je pensai à quel point il était merveilleux que la Mitsva de Hakhnassat Or’him, l’accueil des invités, soit pratiquée par des non-juifs comme cette femme et sa famille.

« Comme je l’ai dit, je suis catholique, mais j’ai un petit-fils juif », ajouta-t-elle.

Je ne sus pas comment réagir à cette annonce, alors elle m’expliqua que son fils avait épousé une jeune femme juive.

« Elle est très sympathique, dit-elle, mais j’ai dû lui enseigner ce qu’être juif signifie. Lorsque mon petit-fils est né, ma belle-fille ne pensait pas qu’il était nécessaire de lui donner un nom juif ; elle voulait l’appeler Robert. J’insistai pour qu’elle lui donne aussi un nom juif. Après beaucoup de discussions, nous fixâmes le nom de Réouven. Quelque temps plus tard, nous fîmes une incroyable découverte. Le nom de son grand-père, mort à Auschwitz, était Réouven ! Je ne sais pas pourquoi j’étais si déterminée que mon petit-fils porte un nom juif, mais je pense en fait le savoir. C’était un message du Ciel pour immortaliser le souvenir du grand-père par le nom de son petit-fils. »

J’étais abasourdie… une grand-mère catholique inquiète que son petit-fils porte un nom juif ! Mais l’histoire ne s’arrête pas là.

« Lorsque mon petit-fils fréquenta l’école primaire, ma belle-fille voulut lui donner des cours privés pour le préparer à sa Bar Mitsva. Je lui expliquai que ce n’était pas acceptable. Je ne pouvais envisager un enfant attaché à sa foi être limité par des cours privés. "Il doit aller à l’école juive où il se fera des amis juifs et étudiera avec eux", lui dis-je. Et depuis, il est à l’école juive », me dit-elle fièrement.

Plus étrange que la fiction ?

Aussi touchante que soit cette histoire à un certain niveau, pour moi, elle est en réalité douloureuse. Elle révèle selon moi la tragédie du judaïsme américain. Vivre dans un pays libre où nous avons le droit de respecter les commandements, d’avoir des noms juifs - et le rejeter ? Voir une jeune fille juive n’avoir aucun problème à contracter un mariage mixte, souhaitant rompre la longue chaîne qui remonte jusqu’au Sinaï ? Cela suffit pour me faire pleurer.

Je sais que certains protesteront en disant que la médaille a son revers.

« Rabbanite, ne soyez pas si pessimiste !, m’objecteront-ils. Il y a tant de Ba’alé Téchouva, de Juifs qui renouent avec la pratique du judaïsme ! » Mais pouvez-vous consoler une mère ou un père qui a perdu un garçon ou une fille en disant : « Vous avez encore d’autres enfants à la maison » ? Une telle déclaration est insensible et cruelle. Pour un parent, chaque enfant est précieux et unique.

Nos enfants disparaissent sous nos yeux, absorbés par le « melting-pot » des mariages mixtes, de l’assimilation et de l’isolement. Et ici, une femme catholique rappelle à sa belle-fille juive son héritage juif. Voilà la tragédie. Une enfant de survivants, et son judaïsme ne signifie rien pour elle.

Nos jeunes gens sont des citoyens du vingt et unième siècle. Leurs buts sont assez simples. S’amuser, gagner des tonnes d’argent, avoir des relations passionnées, travailler dur, maintenir leur forme physique. Leurs modèles sont des stars du sport qui font les gros titres des journaux avec leur conduite scandaleuse et immorale.

Une multitude de nos coreligionnaires n’ont aucune idée de leur identité. Ils n’ont aucune connaissance et ne veulent rien savoir de leur héritage divin. Ils vivent dans un désert spirituel sans même le savoir.

On trouve cette tragédie dans le monde entier, partout où l’on trouve une population juive. Je prends la parole dans de nombreux pays et mes hôtes me demandent toujours de parler dans les écoles juives locales. Ces écoles sont situées dans des bâtiments luxueux disposant d’installations de pointe et d’ordinateurs et de la technologie la plus récente ; mais au final, qu’est-ce que tout ceci signifie ?

Je m’adresse aux élèves et au personnel de l’école. Ils sont très polis et accueillants, mais à nouveau, je répète : que signifie tout ceci ? Si notre Torah, qui nous confère le statut de Juifs, ne se perpétue pas en nos enfants, dans quel but construisons-nous ces établissements impressionnants ?

En Amérique, en Israël et dans d’autres pays, j’ai vu des écoles de Juifs qui ne sont pas des écoles juives.

C’est la tragédie juive de notre époque.