Je me trouvais à Berlin pour prendre la parole devant les étudiants juifs de l’université, des membres de la communauté juive ainsi que devant le Congrès des médecins et scientifiques juifs. Alors qu’au fil des ans, j’ai eu le privilège de m’adresser à nos frères juifs dans le monde entier, cette fois-ci était différente : c’était la première fois que je retournais en Allemagne depuis mon séjour dans l’infâme camp de concentration de Bergen Belsen cinquante-huit ans plus tôt.

Avant de quitter les Etats-Unis, on me demanda : « Qu’allez-vous dire à Berlin ? »

« Que dirais-je à Berlin ? » leur répondis-je. « Je ne dois rien dire de plus que Hinéni, je suis là » et en y pensant, cette seule déclaration doit nous faire marquer une pause.

Une enfant de Bergen Belsen qui prend la parole à Berlin : c’est assez déroutant, et cela se produit une fois dans une vie ! Mais malgré tout, se trouver sur le sol allemand et entendre la langue allemande, fut une expérience très troublante, et comme pour me rappeler mes souvenirs, le temps évoquait également ces jours anciens et sombres. Il neigeait à notre arrivée et je ne cessais de penser : « Comment avons-nous pu tenir le coup lors de ces appels du matin, vêtus de haillons, en attendant indéfiniment que l’un de ces Allemands vienne nous compter et nous rappeler que nous étions des moins que rien ? » En marchant dans la neige, je me remémorais la marche interminable depuis la gare ferroviaire jusqu’au camp. (Bergen Belsen n’avait pas de gare, si bien que notre train s’était arrêté dans une ville avoisinante située non loin de Hanover).

Pour moi, il était quelque peu surréaliste de voir des Juifs vivre à nouveau à Berlin. J’avais du mal à me faire à cette idée. Je ressentais les traces d’antisémitisme partout. Le centre communautaire juif, les synagogues sont tous cachés. Aucun signe sur les bâtiments ne les identifie, mais ce qui signale leur présence, en revanche, ce sont les policiers à leur entrée. La synagogue où nous avons prié est si camouflée que son extérieur se fond avec les autres édifices de la rue. En y entrant, vous passez par des doubles portes sécurisées par un système électronique et gardées par des gardiens armés. Vous avancez ensuite par une série de couloirs et vous n’êtes pas encore arrivés, vous devez poursuivre par une cour privée, et seulement alors vous accédez à la synagogue. Comment des Juifs peuvent-ils vivre de cette manière ? me demandai-je, mais je réalisai que pour les fidèles, en majorité d’origine russe, ce n’était pas intimidant. Venant d’un pays où pendant des années, le KGB exerçait son emprise et la pratique du judaïsme était hors-la-loi, cette situation était probablement normale à leurs yeux.

Après la prière, je conversai avec les fidèles. L’un d’eux, un jeune homme originaire des Etats-Unis faisait des affaires à Berlin depuis plusieurs années. Il me confia qu’il attendait impatiemment de rentrer à New York. Depuis la seconde Intifada, il se sentait de moins en moins à sa place. Il me relata que l’un de ses amis américains non-juifs, qui porte une barbe, marchait dans la rue avec un chapeau lorsque des hommes lui crachèrent dessus et s’écrièrent : « Jude, Jude ! Juif, juif !»

Lorsque je parlai aux étudiants et leur rappelai leur identité, « un royaume de prêtres, une sainte nation », je leur expliquai qu’il n’y a aucune raison aujourd’hui pour laquelle un Juif doit vivre dans un pays où il doit cacher sa glorieuse mission. J’expliquai aux étudiants de ne pas se laisser duper par le langage poli des Allemands : « Danke schoen, bitte schoen (merci, je vous en prie.) » Ce langage recèle une histoire sanguinaire qui a culminé par notre peuple conduit dans les chambres à gaz. Je leur expliquai que Berlin peut être uniquement un abri temporaire, mais pas une destination…Je leur rappelai les événements impressionnants qui se déroulent sous nos yeux : le retour de notre peuple en Erets Israël, la renaissance de la Torah dans le monde entier, les Juifs qui adoptent les Mitsvot, mènent une vie conformément à la Torah, et je les invitai à s’associer à ce grand éveil spirituel. Tandis que je parlais, toutes les barrières de langue disparurent. Nous venions de parties différentes du monde, de backgrounds différents, mais nous étions soudain devenus un.

Le congrès des médecins et scientifiques juifs a été organisé par Dr Roman Skoblo et Dr Zahava Yarom. J’expliquai aux médecins que pour moi, les médecins allemands ont toujours été associés aux expériences barbares et cruelles. Eux, en tant que Juifs, ont désormais la possibilité d’incarner l’attitude souhaitable du médecin. Cela a été le premier rassemblement de scientifiques juifs de toute la République et ils se remémorèrent comment, au début des années 1930, les médecins juifs s’étaient vu bannis d’exercer leur profession lorsque l’antisémitisme d’Hitler s’était répandu dans toute l’Allemagne. Aujourd’hui, ces médecins s’étaient rassemblés pour faire entendre leur voix et parler ensemble.

Je mentionnai que tout se trouve dans la Paracha de la semaine. Cette semaine-là, c’était la Paracha de Michpatim, dans laquelle on trouve les termes « Vérapé Yérapé - Et vous guérirez certainement… » (A savoir qu’un médecin a reçu la permission de guérir). J’évoquai ce que la guérison entraîne, la conscience de notre vulnérabilité, la nécessité de prier et notre appui total sur D.ieu : par Sa seule compassion, le médecin est autorisé à guérir. Je relatai une histoire survenue plusieurs années auparavant. L’une des nos fidèles devait subir une opération à cœur ouvert. A cette époque, c’était une intervention dangereuse et le médecin considéré comme un expert de ce domaine était le Dr Michaël DeBakey. Notre fidèle demanda à mon mari comment procéder, et à sa manière habituelle, réconfortante, mon mari lui donna des forces : « Priez et ayez confiance en Hachem », lui dit-il. Mais dès leur arrivée à l’hôpital au Texas, la patiente appela mon mari en pleurs.

« Rav, j’ai vraiment peur, l’opération doit avoir lieu demain et je n’ai vu jusque-là que l’assistant du médecin. Il m’a assuré que tout était sous contrôle, mais j’aimerais tout de même parler au Dr. DeBakey. »

Mon mari la rassura et lui demanda d’intensifier sa lecture de Psaumes et que tout irait bien. Quelques heures plus tard, elle rappela. « Vous n’allez pas croire ce qui m’est arrivé, dit-elle, j’ai suivi vos conseils et me suis concentrée sur mes prières, j’ai cherché un endroit isolé où je pouvais prier tranquillement. Je me suis mise à pleurer…soudain, un homme s’est approché de moi et m’a dit : "Ne vous inquiétez pas, madame, tout se passera bien." Je fus si touchée par sa gentillesse que je me confiai à lui et lui relatai mes problèmes, et vous n’allez pas me croire, mais il me répondit : "Je suis Dr DeBakey, et avant chaque opération, je me rends dans cette salle de méditation pour prier, car c’est uniquement avec l’aide de D.ieu que je peux réussir." »

Pour cette femme, le fait de savoir que son médecin priait lui donna confiance. « Mais, dis-je à mon public, cette histoire renferme une autre dimension. La prière est l’héritage du peuple juif. Nous avons créé le langage de la prière, mais au fil des siècles, nous avons d’une certaine façon oublié d’ouvrir notre cœur à D.ieu et de nous tourner vers Lui pour Le supplier. Nous devons réapprendre à maîtriser cette faculté. Notre peuple a un besoin désespéré de guérir, et la prière est le meilleur pouvoir curatif. C’est particulièrement vrai de nos jours où nous devons affronter le terrorisme d’Ichmaël.

Peu importe à quel stade de l’existence il se trouve, peu importe son parcours, un Juif demeure un Juif qui porte en lui cette Pintele Yid, cette étincelle juive allumée au Sinaï. Je viens certes des Etats-Unis, et une barrière de langue, de culture et d’environnement me sépare de mon public, mais cela n’a pas joué. La Pintele Yid a transcendé la situation. Am Israël ‘Haï, le peuple juif est bien vivant.