« Allo, Benjamin ? »

« Ça va ma chérie ? Je te dérange ? »

« Non, tu ne me déranges jamais ! Je rentre juste en réunion dans quelques minutes. »

« C’est juste pour te dire que ce soir tu trouveras une petite surprise à ton retour à la maison. »

« Oh… merci, j’ai hâte de découvrir ce que c’est… »

Sur les conseils du mari de ‘Hanna,  depuis que nous sommes mariés, Benjamin a pris la belle habitude du m’offrir un petit cadeau chaque Roch ‘Hodech (premier du mois). Belle habitude… Si ce n’est que le choix des cadeaux s’avère de pire en pire ! Cela avait commencé par un parfum à la lavande dont l’odeur me rappelait le désodorisant des toilettes. Puis, le mois d’après, il m’avait offert un pull jaune poussin (en véritables poils de poussins authentiques). Et le mois dernier, pour faire encore plus original, il a choisi aux marché aux puces une bague d’antiquité style gothique, qui faisait peur rien qu’à la regarder.

Donc, en fait, j’avoue que je redoutais de découvrir ce qu’allait être mon « cadeau » de ce mois-ci !

En rentrant à la maison après ma journée de bureau, je mis la clé dans la porte et tout doucement j’ouvrais la serrure. Mon comportement ressemblait à celui d’une personne qui avait peur de trouver un fantôme chez elle !

Oh ! Une plante ! Une plante gigantesque qui prenait la place de la moitié du salon et dont la forme et l’apparence me faisaient penser justement … à un fantôme !

Cette fois-ci, je ne savais que faire… En effet, pour les autres cadeaux, je m’étais contentée de sourire en le remerciant pour son geste, puis je les avais rangés dans mon armoire, à double tour. Ni vu,ni connu.

Mais là… avec cette plante, je ne peux pas agir de la sorte. Ne sachant comment me sortir de cette histoire, je pris une photo de la plante et je l’envoyais à ‘Hanna par MMS en accompagnant la photo de cette question : « Que penses-tu de cette plante ? ». Elle me répondit : « Tu veux dire cet arbuste ? Assez laid et imposant. Pourquoi ? » « C’est un cadeau de Benjamin… »

Ni une, ni deux, ‘Hanna m’appelle !

« Je regrette tellement de t’avoir répondu par message de façon si maladroite ! Si j’avais su que c’était un cadeau de ton mari, je ne me serais jamais permise. Tu vois : encore un piège de ces nouvelles technologies. Ça m’apprendra… »

« Non, tu n’as pas à t’excuser, au contraire, je l’ai fait exprès car je voulais avoir une réponse honnête de ta part… car si je t’avais dit que c’était de la part de Benjamin, tu m’aurais répondu, fidèle à ton habitude d’entretenir la paix entre nous : « c’est MAGNIFIQUE ! »

« Tu m’as bien eue... ! »

Je lui fis part de la situation, en lui listant toutes les « belles choses » que j’ai reçu depuis que nous sommes mariés : le parfum à la lavande, le pull jaune, la bague gothique…

Sa réponse ne se fit pas attendre :

- Comme c’est désolant de constater qu’on trouve toujours matière à se plaindre, quelle que soit la situation : ce matin, je raccrochais justement avec une femme de ma communauté qui est mariée depuis 10 ans et qui n’a jamais reçu le moindre cadeau de la part de son mari… Elle souffre énormément de son manque d’affection et j’ai dû passer beaucoup de temps à l’apaiser et à la rassurer. Combien de femmes rêveraient d’être à ta place… Je ne te juge pas, bien évidemment ! Mais déjà, avant tout, sache apprécier le Bien qui se trouve dans chaque situation et remercie Hachem d’être confrontée à ce genre de soucis.

- C’est vrai, tu as raison. D’ailleurs, ce n’est pas seulement Hachem que je dois remercier, mais également ton mari, ‘Hanna. Il a donné à Benjamin un conseil afin que mon amour pour lui s’accentue de mois en mois.

- Détrompe-toi ! S’il lui a conseillé de t’offrir des cadeaux, ce n’est pas pour accentuer ton amour vis-à-vis de Benjamin, mais pour accentuer l’amour de Benjamin vis-à-vis de toi !

- Je ne comprends pas…

- On aurait tendance à penser que plus on aime, plus on donne. C’est le contraire, comme nous l’enseigne le Rav Dessler : plus on donne, plus on aime. Cela signifie que plus Benjamin s'investit pour toi, plus il va consolider son amour pour toi, Emma. En d’autres termes, ce n’est pas parce Benjamin t’aime qu’il t’offre des cadeaux, c’est parce qu’il t’offre des cadeaux, qu’il t’aime. Et qu’il t’aimera davantage de mois en mois…

- Mais à moi, tu n’as pas donné ce genre de conseils ?

- Bien évidemment que oui ! Lorsque je t’encourage à lui préparer les plats qu’il aime et à réaliser au quotidien tous les petits gestes qu’il apprécie, c’est aussi pour faire grandir ton amour pour lui. Bien évidemment, les rôles ne sont pas confinés : tu peux toi aussi lui offrir des cadeaux, et, lui, te préparer un plat ! L’essentiel c’est de se faire plaisir l’un à l’autre afin d’entretenir et de faire grandir votre amour… 

- Ah, c’est vrai que je n’avais jamais vu les choses de ce point de vue là… 

- Emma, j’ai une question : qu’as-tu fait de tous ces cadeaux, tu t’en es servie j’espère ? 

- Non, bien évidemment, je les ai rangés et plus jamais ressortis.

- Il ne s’est pas vexé ?

- Non, je ne pense pas, nous n’en avons jamais reparlé, et puis c’est tout.

- Ce n’est pas aussi simple que tu as l’air de le croire. Il a dû comprendre que cela ne t’a pas plu et n’a pas osé t’en reparler, mais il a dû être drôlement vexé le pauvre. Tu sais, de savoir recevoir c’est une forme de don.

Je vais te raconter une histoire. L’année dernière, mon petit Réouven qui avait 8 ans, recevait de son père une pièce de 1 euro dès qu’il apprenait une Michna, un paragraphe du Talmud par coeur. Lorsqu’il eut accumulé la somme de 20 euros, il eut la bonne idée d’aller m’offrir un cadeau, quel amour ! Sauf que le cadeau qu’il a choisit fut une pendule en forme de perroquet qui criait « cou-cou »  à chaque heure de la journée. A ton avis, qu’ai-je fait ? Je l’ai accrochée au beau milieu de ma cuisine et à chaque fois que l’horloge crie « cou-cou » , je lui dit « Reuven, merci mon fils, grâce à toi, je sais quelle heure il est… » Il est tellement heureux ! D’ailleurs, il poursuit sérieusement son étude de Michna afin de pouvoir m’offrir un nouveau cadeau ! Ça, c’est l’intelligence d’une bonne maman… et d’une bonne épouse.

- Ah bon ? Alors, à ton avis, que dois-je faire ?

- Moi, je t’ai dit tout ce que j’avais à dire, tu es une femme intelligente, tu dois savoir par toi-même comment agir.

 

Ella avait raison, je savais très bien de quelle façon agir.

Je me mis à préparer la soirée : grâce aux mots de ‘Hanna, lorsque je me mis à préparer un petit plat qu’il adore, et à mettre la table, je me laissais pénétrer par l’amour que tous ces petits gestes faisaient grandir en moi. La porte sonna et je l’accueillis.

Devinez comment j’étais habillée ? Affublée d’un pull jaune poussin, d’une bague gothique, sans oublier de m’être parfumée par une bonne odeur de lavande, bien sûr !

« Oh Emma, comme tu es jolie ! Je reconnais tous les cadeaux que je t’ai offerts dernièrement. Je t’avoue que j’en étais presque arrivé à penser qu’ils ne t’avaient pas plu, puisque tu ne les avais jamais sortis. »

« Ah bon ?, pris-je un air étonné en me retenant de rire. Comment as-tu pu croire cela ? »

« Je ne sais pas, mais, d’ailleurs, je serai plus à l’aise pour les mois prochains,  qu’on aille choisir ensemble quelque chose qui te ferait plaisir. Cela pourra constituer une balade romantique mensuelle chaque Roch ‘Hodech… »

« Quelle bonne idée ! »

Nous passions une excellente soirée tous les deux. Benjamin était tout sourire et moi heureuse de lui faire plaisir. Même l’odeur de la lavande et l’aspect de la plante-fantôme n’avaient pas réussi à gâcher tout ça. Au contraire, tout d’un coup, ces objets qui me paraissaient auparavant hideux prenaient un aspect somptueux, dans notre maison remplie d’amour.

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