Age : 41 ans

Mariée, mère de 7 enfants

Demeure : Jérusalem

Nationalité : Israélienne

Méira, c’est l’étoile montante du spectacle israélien orthodoxe (‘Haredi). Elle est non seulement comédienne et humoriste, mais également professeur d’art dramatique.

Elle écrit elle-même ses spectacles : certains sont un one woman show où, seule sur scène, elle raconte sa vie et son retour à la religion. Mais pour d’autres, elle partage la scène avec son amie Bella, et ensemble, elles racontent en petits sketchs colorés la vie au quotidien des femmes, leurs douleurs et leurs éclats de rire, en dépeignant tout l’éventail de la société israélienne féminine : religieuses, laïques, Baalot Téchouva, séfarades, ashkénazes et ‘hassidiques, et bien sûr les collisions et fous rires qui peuvent découler de ces rencontres inattendues entre femmes d’horizons si différents.

Ecoutons-la.

Chalom Méira. Présentez-vous en quelques mots et dites-nous d’où vous venez.

Je suis née à Jérusalem dans une famille traditionnaliste ; mes parents sont d’origine du Kurdistan. 

Je vais à l’école dans une institution laïque et depuis mon plus jeune âge, je sais que je veux faire du théâtre. Ma passion ne démord pas avec le temps mais au contraire s’affirme et après le Bagrout (baccalauréat), je veux entrer dans ce qu’on appelle la troupe musicale de l’armée, car j’aime aussi chanter. Mais je ne suis pas reçue… Eh bien tant pis ! Je vais réaliser mon rêve en mettant la barre plus haut : intégrer une grande école d’art dramatique à New York.

Vous parlez anglais ?

Parfaitement. Je savais que pour une carrière de spectacle j’en aurais besoin et je voyais des films en anglais, dont je connaissais par cœur les dialogues et que je me répétais. Par ce biais j’ai appris la langue. Même aux USA, je pouvais passer pour une authentique américaine.

Comment se passe la vie à New York pour une jeune israélienne qui débarque, pleine d’ambitions ?

Je me trouve à New York dans le milieu que j’avais toujours rêvé d’intégrer. Celui du « show », du spectacle. Mais, et c’est paradoxal, je me rends compte en côtoyant les gens qui font le métier dont je rêve et dont j’ai tant rêvé, qu’ils sont les plus éloignés du bonheur au monde. Les personnes les plus couronnées de succès que j’ai rencontrées dans ce métier sont aussi les plus tristes que j’ai jamais connues, les plus seules, les plus frustrées, les plus perturbées. Je me suis rendue compte que je me battais pour atteindre un sommet d’où le bonheur était absent.

J’avais un professeur d’art dramatique (non-juif) – à qui je dois peut être ma Téchouva – qui expliquait que chaque homme est un produit de la société qui l’a engendré. Le problème est que même nos désirs les plus profonds, c’est encore la société qui nous les dicte, et c’est encore elle qui va nous définir ce qu’est le bonheur et comment l’atteindre.

« Très peu de gens arrivent à sonder leur véritable intériorité et vivre selon leur moi intime » disait-il.

Comment concrètement vous rapprochez-vous du judaïsme à New York ?

Je peux vous dire que j’étais éloignée au point où j’ai pu dire à quelqu’un que même si on me donnait la preuve absolue de la véracité du judaïsme, je ne serais jamais pratiquante. Tout mon but, mon rêve, tout ce pour quoi j’avais sacrifié autant de choses n’était qu’un : devenir comédienne.

A New York, j’avais des voisins qui organisaient le soir des rencontres entre israéliens et un Rav venait donner un cours. Pour moi, l’orthodoxe c’était le primitif, le jeteur de pierres, le fanatique qui ne fait pas l’armée : c’est malheureusement sur ces stéréotypes de religieux que grandit la jeunesse israélienne laïque. Mais, là, à New York, ces rencontres étaient chaleureuses et ce Rav ne correspondait en rien à ma vision si négative du religieux. 

Une anecdote lors de votre apprentissage à l’école d’art dramatique que vous fréquentiez ?

Nous avions cours Chabbath et je me suis rendue à l’école en train ; quand je suis arrivée, un jeune homme qui était déjà en cours, m’a fait avec le doigt : « Nou, nou, nou !! », comme pour me gronder. Je n’ai pas compris à quoi il faisait allusion. Là, il m’a avoué qu’il avait tourné un film dans son pays (il venait de Grèce) et qu’il avait appris le rôle d’un juif. Il s’était intéressé au judaïsme pour les besoins du rôle et savait qu’un juif doit respecter Chabbath et que là, je l’avais transgressé.

Ce jeune homme non-juif venait de me dire : tu es juive. Ne l’oublie pas ! Encore plus étonnant : depuis cet incident, il ne me disait même plus bonjour. Je rentrais dans une pièce, il la quittait. Comme s’il était fâché avec moi. Je peux vous dire que sa remarque et son comportement m’ont perturbée. Un non-juif qui vous fait une telle remontrance, ça remue même le Juif le plus éloigné !

Après un an à New York, les fissures de cette société m'apparaissaient de plus en plus nettement. Je parlais avec D.ieu, car j’ai toujours été croyante. Je Lui disais : « Pourquoi as-tu crée tout ça ? Pour recevoir un Oscar au bout du compte ? » Vraisemblablement pas. Toutes ces observations, je les gardais pour moi. Mais doucement, doucement elles faisaient leur effet sur moi. 

Un jour, alors que je commençais déjà à travailler, je suis allée à une audition pour les studios Walt Disney à Time Square. 300 personnes comme moi attendaient de se présenter. Une fois sortie de l’audition, j’ai eu un sentiment étrange : je ne voulais plus être reçue. Je me suis soudain sentie étrangère à tout ça. Quelque chose n’allait plus. J’avais dit à une amie : « Même si Spielberg me téléphone maintenant, je n’y vais pas. »

Cette même nuit j'ai appelé ma mère en Israël, qui avait depuis quelque temps opéré un retour à la religion. Elle était un peu affolée que j'appelle à une telle heure. Je lui ai demandé : « Maman, j’ai le sentiment que tu pries pour moi. » « Bien sûr que je prie pour toi. Tous les jours », m’a-t-elle répondu. « Et qu'est-ce-que tu demandes ? » ai-je continué. « Je demande au Créateur que tu reviennes à notre foi », m’a-t-elle dit. Le lendemain je me suis levée. Et ce n’était plus le même monde. Il y avait D.ieu. Ma décision était prise : revenir à la « maison ».

La dernière fois où je me suis rendue à mon école de théâtre, je me suis assise à coté de mon professeur d’art dramatique et j’ai commencé à pleurer. Il m’a demandé : « Qu’est ce qu’il se passe ? » Je lui ai répondu : « Michael, j’ai trouvé qui je suis vraiment. Je retourne en Israël et je veux être juive religieuse… » Il m’a regardée et m’a dit : « Sache que ce que tu as découvert, il y a des gens qui ne l’ont jamais découvert et qui resteront toute leur vie derrière les masques qu’ils se sont mis. Je te souhaite de réussir. »

Il y avait également un grand producteur musical qui s’appelait Peter à qui je suis allée dire au revoir. Je lui ai dit que je retournais chez moi, à mes racines. Il m’a dit : « Tu fais la chose la plus sensée qu’il soit. » 

Je suis revenue en Israël. Je suis rentrée au séminaire Névé Yérouchalaïm et un nouveau chemin s’est ouvert devant moi. Je me suis mariée avec un homme formidable, j’ai fondé avec lui mon foyer et nos enfants sont nés. Bien sûr, je saute des étapes. Car après avoir dévoilé des lumières très fortes, le Créateur vous laisse faire vos propres pas et vous surveille de loin. Comme un enfant à qui on apprend à marcher.

A ce moment de ma vie, j’étais sure que j’avais verrouillé toutes mes ambitions de théâtre dans une boite que je devais enterrer. Je ne savais pas que la Providence voulait que j’utilise ces talents dans ma nouvelle vie.

Revenons à vos spectacles. Qui écrit vos textes ? D’où vient votre inspiration ?

J’écris mes textes. Ils sortent de mon cœur, de mon vécu.

Mon premier spectacle avait pour thème la difficulté de l’intégration d’une Baalat Téchouva dans la société orthodoxe et d’un autre coté la difficulté du monde orthodoxe d’accepter la différence du nouveau venu dans ses rangs. 

Dans un autre spectacle je parle du problème d’une adolescente qui a quitté la pratique du judaïsme et parallèlement d’une jeune femme religieuse confrontée à l’épreuve de la stérilité. Il m’est très important de choisir des thèmes à réflexion, mais je les enrobe toujours de rire et d’humour.

Faut-il mettre certaines limites dans un spectacle à public religieux ?

Bien sûr. Je laisse toujours dans le spectacle une dimension de respectabilité : il y a donc certains mots que je n’utiliserai pas, certains mouvements de corps que je ne ferai pas, certains thèmes que je n’aborderai pas.

Le public orthodoxe est-il un « bon public » ?

C’est un public très exigeant et très critique. C’est un public qui ne peut venir à un spectacle uniquement pour rire et se détendre. Il doit en sortir avec le sentiment qu’un message a été donné, que la soirée avait un sens, un contenu. J’ai appris à très bien connaitre ce public.

Aujourd’hui je suis invitée à jouer dans les séminaires les plus prestigieux et les plus conservateurs ; les directrices me font parfaitement confiance quant au niveau culturel et moral du spectacle que je leur propose. Pour moi, être une Baalat Téchouva, c’est vraiment un compliment !

Vos enfants aiment-ils le fait que « maman est comédienne » ?

Certains oui, d’autres non. Certains n’aiment pas qu’on m’arrête dans la rue, qu’on me reconnaisse. Une de mes filles m’a demandé, alors que je devais me rendre dans son école pour une réunion de parents d’élèves, de ne pas faire rire les maitresses… Chaque enfant a son caractère, sa sensibilité.

De quoi parlera votre prochain spectacle ?

J’ai pensé au thème du célibat. C’est un sujet délicat et douloureux dans un monde ou le mariage est la valeur suprême, mais c’est un sujet réel qui touche beaucoup d’individus dans la société orthodoxe d’aujourd’hui.

Vous êtes également professeur d’art dramatique. Y a-t-il un engouement pour l’art dramatique dans le public religieux ?

Absolument. Cela provient du besoin d’exprimer, de sortir ce qu’on a en soi, c’est vraiment une thérapie. Une élève, une dame de 50 ans, m’a envoyé un montage photoshop, sous la forme d’une ordonnance médicale, où on prescrit 2 fois par jour une grande cuillerée à soupe de Méira, au lever et au coucher.

Quelqu’un a arrêté dans la rue ma compagne de spectacle, Bella, et lui a dit : « Le bien que vous faites aux femmes lors de ces soirées, vous ne le saurez qu’après 120 ans, dans l’autre monde. Ici on ne peut mesurer ce que vous donnez. »

 Les femmes sortent du spectacle remplies de forces, d’espoir, de rire.

 Je sens que je suis en quelque sorte investie d’une mission par mon Créateur : utiliser les outils qu’Il m’a donnés pour faire le bien autour de moi, par le biais de la comédie, du rire et du spectacle.