Une merveilleuse histoire de nos Sages (Ta’anit, 22) rapporte que Rav Brocca se trouvait au marché, et, en regardant la foule colorée qui y déambulait, s’était posé la question de savoir lequel de tous ces hommes était destiné au ‘Olam Haba, au monde futur. Eliahou Hanavi, avec lequel il avait fréquemment des échanges, se révéla alors à lui et lui dévoila : “Tu vois ces deux hommes là-bas dans la foule ? Et bien ils sont méritants du ‘Olam Haba…”

Rabbi Brocca, curieux d’apprendre les critères exacts de l’entrée au Monde Futur, s’approcha d’eux et les questionna : “Chalom ‘Alékhèm, racontez-moi de quoi est faite votre journée…”. Les deux répliquèrent : “Rabbi, nous sommes frères, et, Baroukh Hachem, nous sommes des personnes joviales, et, chaque fois que l’on croise un homme triste, abattu, préoccupé, nous engageons la conversation et nous commençons à le faire rire. Si l’on voit des gens qui se disputent, là aussi, nous faisons tout notre possible pour alléger l'atmosphère, nous les faisons rire, et, en fin de compte, ils font la paix.”

Rabbi Brocca écouta avec grande attention. C'était donc cela qui octroyait à ces hommes l’insigne mérite du ‘Olam Haba : faire rire, apaiser, dérider son prochain pour lui donner force et optimisme ! Quelle leçon !

Ces deux frères insufflaient la vie à des âmes éprouvées, en conflit avec elles-mêmes et avec leur prochain, en utilisant le rire comme thérapie, il y a presque 2000 ans de cela.

Humour juif inoxydable

Est-ce que le fameux humour juif, fait de dérision, de recul sur soi, cette faculté de désamorcer une situation avec un mot d’esprit et même de rire d'événements dramatiques et de rebondir, viendrait de là ? Cette histoire nous dit clairement que la faculté de faire rire les autres est un talent subtil qui donne à ceux qui en sont dotés le ticket pour le monde futur.

Il est évident que pour nous, les juifs, l’échelle qui nous mène vers le lien avec le Très Haut, passe par la pratique des Mitsvot.

Mais comment allons-nous monter sur cette échelle ?

Ce texte semble nous dire : utilise tes talents. Tu es drôle ? Tu aimes réjouir les cœurs ? Fais-en quelque chose pour ‘Am Israël et tu en récolteras un mérite éternel !

Rire Glatt-Cachère

Ephi Skakovsky et son complice, Méni Wackstock, sont deux jeunes gens issus des Yéchivot orthodoxes, respectivement âgés de 27 et 32 ans, tous deux mariés, vivant l’un à Telz Stone, dans les environs de Jérusalem, et l’autre à Bné Brak. Ephi vient d’une famille de Ba’alé Téchouva et a toujours fréquenté le cursus scolaire orthodoxe ; jusqu’à ce jour, il est Avrèkh (étudiant en Torah) à la Yéchivat Rachi du Rav Réouven Miletsky. C’est d’ailleurs le Rav qui, voyant ses talents de comique lors de fêtes à la Yéchiva, l’a encouragé à exploiter ses dons. Quant à Méni, il est issu d’une famille ‘hassidique moderne, et, parallèlement, à l’étude de la Torah, il a appris le montage vidéo et la mise en scène.

Ensemble, ils ont décidé de relever le défi et de remplir un vide béant jusqu’à maintenant : faire rire le monde orthodoxe israélien, et de façon Cachère.

Ils se sont rencontrés un peu par hasard, par amis interposés, et ont décidé de créer des films humoristiques pour leur public. C’est un véritable challenge pour lequel il fallait une certaine dose de “Houtspa” (insolence) israélienne. Certainement pas parce que les “Harédim” (orthodoxes) n’ont pas ou n’aiment pas rire, mais, tout simplement, parce que la société ‘Harédit en Israël a dû se construire quelque peu en retrait, en se protégeant énormément d’influences extérieures. En Erets, contrairement aux communautés de la diaspora, on se trouve dans une situation un peu saugrenue : alors qu’enfin, nous sommes tous réunis dans le même pays, à l'abri de l’antisémitisme et des attaques extérieures, il nous faudra cependant parfois, pour protéger nos convictions, nous mettre des limites et parfois nous couper d’influences contraires à nos croyances, même entourés de nos frères juifs.

D’autre part, le rire, la blague, la plaisanterie peuvent être des toboggans où l’on glisse facilement vers le mauvais goût et l’inconvenant. C’est pour cela que, parfois, au lieu de s’aventurer sur des terrains minés, le public religieux a préféré tout simplement s’abstenir de développer ces contenus pour éviter tout débordement. Des comédies sur scène, respectivement au féminin et au masculin, se montent et rencontrent du succès depuis quelques années, mais dans le format mini vidéo humoristique, Ephi et Méni innovent.

Divertissant, mais jamais blessant

Avec eux, on voit que si l’humour est transmis avec délicatesse et tendresse, sans volonté de choquer mais uniquement pour réchauffer les cœurs et faire un instant oublier à chacun ses soucis, alors l'accueil est extraordinaire et ils accusent des retours plus qu’enthousiastes dont ils sont les premiers surpris. Les vidéos qu’ils créent chaque semaine (10 jusqu’à maintenant) circulent de mail en mail, de WhatsApp en WhatsApp, et chaque Motsaé Chabbath, un site religieux diffuse leur dernière création que les fans attendent impatiemment. Le nom de la série ? “Bardak”, c'est-à-dire désordre, pagaille. Gaffes, rencontres loufoques, peur des chiens, chapeau - costume - cravate pour descendre la poubelle, et répliques succulentes se condensent dans ces mini films de 3 minutes maximum.

Ils estiment à 500 000 vues chaque nouvelle vidéo. C’est un chiffre énorme tenant compte que c’est en hébreu et pas sous titré. D’après Ephi, 95 % du public orthodoxe a vu ses films, même dans les milieux les plus conservateurs.

Les enfants du paradis...

La matière première et les thèmes abordés dans ces films ?

Tout ce dont est constituée la société religieuse israélienne, et particulièrement celle de l’Avrèkh et des Ba’houré Yéchiva.

Ils prouvent qu’on peut rester drôle et de bon goût même en touchant des sujets « tabous » jusqu'à présent dans le monde orthodoxe : le Chalom Bayit, le “qu’en-dira-t-on des voisins”(très important dans le milieu ‘Harédi), le Roch Yéchiva, la cohabitation entre tous les courants orthodoxes : ‘Habad, Breslev, Lithuaniens, et, bien sûr, le monde de Méa Ché’arim et ses Tchalmerim (habitants de ce quartier).

Ephi et Méni connaissent parfaitement leur public et, avec une infinie délicatesse, ils soulignent via leurs vidéos les petits travers de cette société et en font une analyse excessivement fine, mais jamais blessante.

Le personnage d’Ephi, la vedette des films, c’est l’Avrèkh - israélien - Ashkénaze - tendance lithuanienne - classique - qui se trouve confronté à des situations embarrassantes, surprenantes, décalées, dans son milieu ambiant, mais aussi hors sentiers battus.

Aujourd’hui, ils sont demandés partout : pour animer un mariage, une fête, pour des spectacles sur scène.

On les reconnait dans la rue, et même les non-religieux en redemandent. Nos deux compères reçoivent des messages chaleureux de personnes alitées, malades, âgées qui les remercient de cette nouvelle fraîcheur et des grands éclats de rire qu’ils ont provoqué. 

Ephi raconte qu’il a pris récemment en stop un homme ‘Harédi, qui, bien sûr, l'a reconnu. Durant le trajet, qui a duré une demi-heure, l’homme n'arrêtait pas de rire, sans raison, juste parce qu’il avait reconnu Ephi et certainement se souvenait de scènes de ses films.

Le rire, c’est la vie. C’est la santé. Un dicton italien dit : “Bon riso fa buon sangue”. Un bon rire fait un bon sang.

Qui ne l’a pas expérimenté…

“Achrékhèm”, heureux êtes-vous, Ephi, Méni, vous qui êtes les enfants du Paradis…