Les sages nous préviennent dans les les maximes de pères : “Sache que c’est malgré toi que tu as été créé ! C’est malgré toi que tu es né ! Malgré toi tu vis ! Malgré toi tu meurs ! Et malgré toi, tu dois rendre compte de ton existence en face du Roi des Rois, du Saint-béni-soit-Il (Pirkei Avot 4,29). On ne nous interroge pas si nous voulons « être ou ne pas être ». L’existence nous est imposée, mais il nous faut la remplir, et rendre compte de ce que nous en avons fait ! Il y a un Juge Qui examinera notre conduite. A partir de ces données essentielles, il importe pour chaque individu, qui veut dépasser sa vie animale, de chercher à comprendre sa place dans le monde et donner un sens à son être. La réponse – cartésienne, est classique. « Je sais que je SUIS car je PENSE ». Cependant, le problème n’est pas résolu, car il faut savoir d’OU vient la pensée, cet arrachement à l'Être, cette conscience de l’éthique, en un mot cette pensée. Ici se situe la deuxième option : celle de l’ACTE précédant la PENSEE. C’est la réponse à la REVELATION, c’est-à-dire : l’intervention de la Transcendance : c’est ce qu’ont dit les enfants d’Israël avant la révélation du Sinaï : agir d’abord puis réagir ; l’action n’appelle pas, immédiatement, une explication, mais se traduit ainsi, ensuite, au niveau du sens. C’est le « Naassé Ve-Nichma » du Mont Sinaï. Cette seconde réponse, bien qu’apparemment primitive, rend sa liberté à l’homme qui peut accepter ou refuser de donner une direction à son action.

C’est ici la place de la solution : l’homme acceptera-t-il de se référer à une transcendance qui dépasse et explique son existence, ou bien connaîtra-t-il son insuffisance et restera-t-il dans l’absurde, sans point de repère ? Il va de soi que les positions ne sont pas aussi tranchées, mais il convient de reconnaître que l’Histoire de l’humanité, d’un point de vue métaphysique, peut se résumer à ce dilemme : croire en une référence qui transcende l’homme, une référence hors du monde concret, ou bien on se situe dans l’inconnu, et le monde reste une énigme inexplicable. Depuis le début de l’Histoire, toutes les tentatives ont été faites pour trouver un SENS à l’existence et toutes sont rendues nécessaires, car le secret de la pensée est de se nourrir à une source extérieure ! C’est là le secret aussi bien du paganisme (idolâtre), du panthéisme et des idéologies totalisantes. Toutes sont des tentatives humaines, des reflets de l’indicible que l’homme ressent, mais ne peut, seul, résoudre. La réponse absolue qui transcende les siècles est la Révélation du Sinaï, quand l’Infini est venu à la rencontre du fini. C’est ainsi que dans sa fameuse parabole, Maïmonide illustre l’attitude des hommes devant l’énigme de l’existence. Il y a ceux que cette énigme n’intéresse pas, ils vivent une vie animale biologique, il y a ceux qui cherchent, mais tournent le dos, ceux qui réfléchissent, mais dans le mauvais sens, il y a ceux qui se rapprochent, mais ne veulent pas voir la vérité. Ceux qui voient la vérité mais n’ont pas réussi à se rapprocher du Roi, ce sont les religieux mais ignorants, mais l’idéal est de découvrir les vérités de l’existence : ceux-là sont proches du Roi. La recherche de la Vérité ne peut être l’affaire d’un compromis. Le nom de D. est Emet – Vérité. Tout ce qui n’est pas Vérité ne peut être que mensonge, erreur, et mener à un danger. La vie quotidienne a ses exigences, et l’on ne peut pas toujours réaliser l’idéal mais il faut avoir les yeux fixés sur le but, même s’il y a des échecs, des reculs. A ce stade, ériger le compromis en principe – attitude politique classique – c’est s’éloigner de la vérité. Cela est malheureusement ressenti aujourd’hui, où certains « religieux » acceptent des compromis pour parvenir au pouvoir. Il n’existe pas «d’ultra-orthodoxes », car le terme « ultra » traduit une exagération. L’orthodoxie – selon l’étymologie grecque – est celui qui est attaché à une pensée (« doxe ») droite (« ortho »). Ceux qui, comme le dit Moché Rabbénou dans Devarim (4, 4), restent « attachés à l’Eternel » sont ceux qui continuent la voie juste et donnent à notre présence dans le monde Son vrai sens, lien avec le divin.