Rav Elie LemmelCe soir, la France aura un nouveau président. Si les sondages disent vrai, ce devrait être le socialiste François Hollande. Mais du côté de Nicolas Sarkozy, on y croit encore, pariant sur un sursaut populaire face au retour de la gauche. Marquée par la poussée de Marine Le Pen et par la violence des débats, cette campagne électorale a laissé apparaître une société française en morceaux. Le journal Hamodia a interrogé le rav Élie Lemmel ; directeur de l'association Lev, pour tenter de vérifier comment les Juifs de France devaient, selon lui, se comporter dans l’isoloir.

Rav Lemmel, première question : est-ce qu’il faut voter ?

Oui, clairement, même si on n’est pas dans un cas de "dina demal’houta dina" (la loi de l’État est la loi) car il n’existe pas d’obligation légale de voter. À partir du moment où un Juif vit dans un pays et qu’il récite tous les Chabbat, comme nos Sages l’ont institué, la bénédiction pour la sauvegarde de l'État, il est normal qu’il s’investisse et qu’il vote. C’est évident.

Entre les deux candidats, Nicolas Sarkozy et François Hollande, l’un d’entre eux est-il un choix « naturel » pour les Juifs ?

Si l’un des deux faisait peser un danger sur la possibilité pour les Juifs de respecter la Torah et les mitsvot, il ne serait alors pas possible de voter pour lui. C’était le cas par exemple en 1984, lorsque le gouvernement socialiste d’alors avait tenté de porter atteinte à l’enseignement privé. Aujourd’hui, on ne peut pas dire que l’un ou l’autre des candidats soit plus ou moins toxique par rapport aux Juifs. Nous savons qu’entre ce qui est promis et ce qui est réalisé, il y a un monde d’écart. C’est la politique !

Faut-il prendre en compte leur position envers l'État d'Israël au moment de faire son choix ?

Ma réponse va vous surprendre : non. C’est tout le problème de la limite de la hichtadlout, de l'effort entrepris, et de ce qui nous dépasse. On sait qu’il y a des pro-palestiniens ici et là et en particulier dans l’entourage du candidat socialiste. Mais une fois au pouvoir, la raison d’État diffère souvent de la politique que l’on avait imaginée. Ce sont des éléments que les électeurs prennent en compte, mais penser qu’en votant pour tel ou tel, ce sera mieux pour l’État d’Israël est une erreur. Je comprends que l’on se positionne en fonction de leurs déclarations passées sur la question du Proche Orient, mais au fond, cela n’a aucune influence. Le verset nous rappelle que « le cœur des rois et des princes est dans les mains d’Hakadoch Barou’h Hou ». On sait très bien que c’est Lui qui détermine le cours de l’Histoire.

Question à mille euros : la Torah prône-t-elle la droite ou la gauche ?

Ni l’un ni l’autre ! Ce que je sais, c’est que la Torah nous demande de faire attention à l’autre. Par contre, je ne suis pas certain qu’un gouvernement fasse plus ou moins attention à l’autre s’il est de droite ou de gauche. La Torah nous apprend en tout cas qu’un gouvernement doit être fort, afin d’empêcher que « chacun dévore l’autre vivant ». C’est un critère objectif, mais là encore, je ne suis pas sûr qu’il y ait un rapport avec la couleur politique.

Ces élections présidentielles sont elles un sujet de discussion dans le monde orthodoxe ? Les rabbanim donnent-ils des consignes de vote ?

Encore une fois, Nicolas Sarkozy et François Hollande n’ont pas des positions si différentes sur les sujets qui nous sont essentiels pour que le résultat soit déterminant sur la vie de la communauté. D’autant que les contraintes économiques les conduiront probablement à la même politique. En tant que rabbanim, nous n’avons pas pour rôle de dire aux gens pour qui voter. De toute façon, nous n’avons pas les éléments objectifs qui nous permettraient de déterminer un choix évident. Mais si demain on sentait qu’un danger pesait sur l’enseignement juif ou la solidarité communautaire, les choses seraient évidemment différentes…

Reste qu’il y a toujours le problème de la nouveauté : à partir du moment où il y aurait un président inconnu, cela peut créer une certaine inquiétude. Combien de fois avons nous été déçus par le changement de régime...