L’actualité a remis le thème du blasphème au centre de nos préoccupations. L’abominable assassinat d’un professeur de lycée a, naturellement, suscité une véritable émotion dans la population. Il importe, en particulier dans la perspective religieuse qui est celle de la Torah, de réfléchir à la gravité d’un tel événement dans la société moderne, et, en même temps, de stigmatiser le paradoxe de cette situation, pour un croyant.

En effet, tout d’abord, tuer, et, pire, décapiter un homme pour avoir « blasphémé », n’est-ce pas le plus grand blasphème possible ? Ce n’est pas honorer une divinité que d’agir avec cruauté, apparemment pour le punir d’avoir profané ce qui était pour lui « sacré » ! La seule punition possible du blasphémateur serait de le décapiter ! Il n’y a certainement pas de profanation plus grande qu’un tel acte ! C’est déshonorer le prophète que d’agir de la sorte.

Mais il s’agit d’aller plus loin, et de comprendre cette mentalité qui détermine l’acte de l’individu ! Cette mentalité correspond assurément à une société totalement « déshumanisée ». C’est le concept de vie humaine qui est en question maintenant. On sait que la Torah veille à sauver la vie humaine. On l’a rappelé quand l’on a libéré 1 000 assassins pour sauver la vie d’un seul soldat, marché que les nations du monde ont trouvé insensé ! La vie humaine est la valeur suprême, et la mettre en danger est violemment interdit. Ici se pose une question : était-il nécessaire, dans une école laïque, de provoquer la colère des croyants, ou plutôt des fanatiques ? Il importe de distinguer deux sortes de problèmes, concernant la liberté d’expression. Au niveau de l’expression dans les médias, s’interdire d’exprimer son avis serait se soumettre à la dictature de ceux qui refusent la liberté de l’individu, mais dans une école laïque, qui doit enseigner la neutralité et ne critiquer aucune religion, n’est-il pas nécessaire d’éviter de provoquer des réactions ? Il n’est pas question de parler de prudence ou de peur, mais de se conformer au principe fondamental de la laïcité qui est d’être indépendant de toute religion. Dans une école laïque, on ignore les religions, mais on ne doit pas les critiquer, ou se moquer d’elles. Ca n’est pas ce qu’a fait ce professeur, mais c’est malheureusement comme ça que l’ont interprété les fanatiques. La liberté d’expression, dans une société démocratique, implique la liberté de critiquer toutes les opinions dans le domaine public, mais dans le domaine éducatif, il est essentiel d’avoir une attitude neutre à l’égard des opinions de l’Autre. Dépasser ces limites, ce serait instituer une dictature de la laïcité, ce qui, par définition, n’a pas sa place dans une société démocratique. Parfaitement légitime dans une presse libre, l’ironie, face à des valeurs sacrées pour une partie de la population, n’est pas justifiable à l’école laïque. Si le système enseigné est a priori choisi – école religieuse, engagée dans une idéologie précise souhaitée à l’avance, alors le choix aura été prévu, mais, dans un régime démocratique, la laïcité impose une attitude neutre face aux croyances. On peut, si l’on veut – c’est le cas du fidèle à la Torah, refuser cette laïcité, et s’engager dans une voie, celle qui, à notre avis, mène à la Kédoucha, à la sainteté, mais le système laïque, dans un régime démocratique, se veut ouvert à toutes les opinions. Les présenter avec objectivité est justifiable, les rendre ridicules est contraire à la loi de laïcité.

Il est très difficile de présenter cette option dans les circonstances actuelles, et dans la situation créée. Mais notre devoir est – ne l’oublions jamais, d’ouvrir les yeux, c’est-à-dire de voir et d’établir les faits avec honnêteté. Présenter les choses avec droiture et sincérité, tel est le devoir du croyant.

Le signataire de ces lignes peut témoigner de ces faits, étant lui-même ancien élève, à Paris, de l’école laïque jusqu’à la Terminale, tout en observant strictement le Chabbath, avec l’accord des enseignants, cela sans jamais aucune hostilité ; c’était à une époque où le réseau d’écoles juives n’était pas encore développé en France. Les élèves des diverses confessions qui le désiraient pouvaient avoir des cours d’aumônerie, faits par les représentants des divers cultes. Ce qui dérange, aujourd’hui, dans les écoles laïques, fréquentées par des élèves musulmans, ce sont surtout les manifestations extérieures de la religion, comme le port du voile pour les filles, ou le prosélytisme opéré dans ces écoles par des imams. Certainement, le radicalisme islamiste trouve toujours des adeptes dans les écoles d’Etat. Ce crime doit assurément être compris comme la conséquence de cet enseignement injustifiable et doit marquer, d’une pierre noire, l’éducation radicale des islamistes.

Cet affrontement entre deux attitudes si divergentes, entre la laïcité d’une part et la gravité du blasphème par ailleurs, est bien défini dans le livre de Benny Lévy, qui reprend les termes d’un dialogue avec Alain Finkielkraut sur la laïcité : « La laïcité n’est pas la liberté d’opinion mais la possibilité pour l’esprit d’atteindre la vérité sans recourir à une autorité supérieure » (Le livre et les livres, p. 64). Ici apparaît la convergence – devenue hélas si tragique – entre le désir d’indépendance d’un esprit libéré de relation à une référence, et le refus de voir cette autorité bafouée. Ici se situe le drame de notre époque. N’est-ce pas ce drame qui ouvre la porte à tous les dangers ?

Note subsidiaire : Remarque nécessaire pour éviter une interprétation erronée de l’expression « laïcité » utilisée dans cet article. En Israël, le terme « laïque » ne signifie pas « neutre » comme en France, mais implique une attitude négative vis-à-vis de la Torah. Dans une école laïque, en Israël, on n’enseigne pas que la Torah révélée au Mont Sinaï au peuple d’Israël a été écrite par Moïse. En hébreu, le terme « ‘Hiloni » – laïque – implique une idée de « ‘Hol » – profane. C’est une acception fondamentale à connaître, très différente de l’expression française du terme.