La Paracha commence par le recensement du peuple juif. D’ailleurs, ce dénombrement est tellement significatif que nos Sages appellent le Livre de Bamidbar « ’Houmach Pékoudim » (le livre des comptes). Et c’est également ainsi qu’il est traduit en français – les Nombres. Dans cette Paracha, on fait le compte, dans chaque tribu, des hommes âgés de vingt ans et plus et elle le conclut par le nombre total : « Ce furent tous les dénombrés des enfants d’Israël selon la maison de leur père, depuis l’âgé de vingt ans et au-dessus, quiconque sort dans l’armée en Israël. Tous les dénombrés furent de six cent mille et trois mille cinq cents et cinquante [603 550]. » (Bamidbar 1,45-46)

Ensuite, la Torah passe au décompte des drapeaux. Il y avait quatre campements, chacun composé de trois tribus. La Torah détaille la composition de chaque campement. Pour chaque tribu, elle précise le nom de son chef ainsi que le nombre de personnes la composant, bien qu’elle l’ait déjà fait précédemment : « Ceux-là sont les dénombrés des enfants d’Israël selon la maison de leur père, tous les dénombrés des camps selon leur armée : six cent mille et trois mille et cinq cents et cinquante [603 550]. » (Bamidbar 2,32)

Nous savons que la Torah est « avare » en mots, au point que parfois, d’importantes lois sont déduites de lettres « supplémentaires ». Dans ce cas, pourquoi la Torah répéta-t-elle les mêmes chiffres à deux reprises, dans deux paragraphes juxtaposés ? Le Midrach affirme que le décompte répété vient nous montrer l’amour d’Hachem pour le peuple juif. Nous sommes si chers à Ses yeux qu’Il nous compte maintes et maintes fois.

Le Ramban propose une autre explication quant à cette apparente redondance. Il souligne que trois semaines s’écoulèrent entre les deux comptes. Miraculeusement, durant ces vingt-et-un jours, personne ne décéda ; les Juifs étaient 603 550 au départ et restèrent aussi nombreux trois semaines plus tard. Ceci peut sembler anodin, mais en tenant compte des tableaux d’espérance de vie, il est inévitable qu’en 21 jours, dans une population dépassant les six cent mille personnes, certaines personnes décèdent. Par exemple, on dénombre environ cent décès journaliers aux États-Unis, et ce, uniquement parmi les anciens soldats. Ainsi, si la Torah répète ce chiffre, c’est pour mettre l’accent sur la survie prodigieuse de toute la nation durant ces vingt-et-un jours.[1]

Cette explication semble difficile à comprendre. De nombreux miracles furent accomplis entre la sortie d’Égypte et l’entrée en Erets Israël, alors pourquoi mettre l’accent particulièrement sur celui-ci ? D’autant qu’il ne manifeste aucune modification dans les lois de la nature ; il pourrait être qualifié de « miracle caché ». De plus, comme susmentionné, la Torah use de ses mots avec parcimonie, donc pourquoi ne pas se contenter de faire allusion à ce prodige, plutôt que de le relater en détail, à deux reprises ?

Rav Leib Rotkin propose une réponse qu’il entendit quand il étudiait à la Yéchiva de Kletsk. Il prouve l’importance de ce miracle à la lumière d’un grand principe du judaïsme ; si quelqu’un préserve ou sauve la vie d’un Juif, c’est comme s’il avait sauvé un monde entier. La vie est si précieuse que chaque individu est un monde en soi.

Ce concept a des ramifications dans la Halakha. On peut transgresser le Chabbat pour sauver la vie d’un Juif, même s’il n’a que très peu de chances de survivre ou que son espérance de vie est très courte. « La Torah nous montre à quel point la vie humaine est chère. On dénombre les Juifs à deux fois, pour bien réaliser que personne ne décéda durant cette période. La vie de chaque individu est inestimable, chaque être humain est spécial et important. Il en est de même pour chaque jour vécu, chaque instant de vie », explique Rav Issakhar Frand.

Cet enseignement est très pertinent, surtout ces derniers temps. Le nombre de malades et de décès a considérablement augmenté depuis que le Coronavirus a perturbé le monde et l’on risque facilement d’oublier que chaque malade, chaque victime est un monde en soi, derrière chaque cas, une famille entière s’inquiète, souffre, s’afflige. Nous devons nous souvenir du message du Ramban et ne pas nous désensibiliser en entendant un autre cas de maladie, une autre tragédie qui s’ajoute au nombre des victimes.

Lors de la guerre du Golfe, 39 missiles tombèrent sur le pays d’Israël et miraculeusement, seule une personne en mourut. Ce fut un grand miracle, sachant que dans d’autres endroits, chaque missile tuait plusieurs personnes. Mais l’un des membres de la famille de cette victime releva le fait que les gens parlaient d’une « seule » victime – cette personne était un être humain, créé à l’image de D. et dont la vie n’avait pas de prix. Chaque vie humaine est infiniment précieuse.

 

[1] Entendu du Rav Issakhar Frand.