La première femme de l’histoire fut nommée ’Hava, parce qu’elle fut la « mère de tout vivant».[1] Les commentateurs soulèvent une difficulté concernant le moment où ce nom lui fut attribué. La Torah nous décrit d’abord comment Hachem créa le corps de ’Hava. Puis, avant de nous informer de son nom, elle relate sa faute – la consommation du Fruit de l’Arbre de la connaissance du Bien et du Mal. Ce n’est qu’après avoir terminé ce triste récit que la Torah revient à la création de ’Hava et qu’elle nous informe qu’elle fut appelée ainsi parce qu’elle était la « mère de tout vivant ».

Pourquoi la Torah s’est-elle interrompu dans le récit de la création de la femme pour nous raconter l’histoire de la première faute ? N’aurait-il pas été préférable de nous donner son nom avant de parler de sa faille ?

Il existe plusieurs approches, qui supposent toutes que la nomination de ’Hava après sa déchéance fut délibérée.[2] Certaines proposent une interprétation négative sur ce prénom[3], tandis que d’autres y trouvent des allusions positives. Il semble clair qu’avant la transgression, le rôle de ’Hava était d’avoir des enfants. D’ailleurs, elle accomplit cette mission avant même de trébucher, puisque Caen et Abel étaient déjà nés au moment de la faute.

Cependant, dès que son action alla à l’encontre de son objectif – celui d’engendrer la vie – la mort fit son apparition dans le monde. S’ils n’avaient pas mangé du fruit, Adam et ’Hava auraient été immortels, mais une fois le mal en eux et après avoir spirituellement contaminé leur corps, ils devaient mourir – le corps devait se séparer de l’âme. Ce n’est que lors de la Résurrection des Morts que leur corps deviendra suffisamment pur pour que leur âme le rejoigne.

’Hava faillit donc gravement à sa tâche ; au lieu d’apporter la vie dans le monde, elle y fit entrer la mort. On aurait pu penser qu’elle perdit alors à jamais son droit de donner naissance. La Torah souligne donc qu’elle fut appelée ’Hava après le péché, ce qui prouve qu’en dépit de son erreur, elle garda l’opportunité de remplir sa mission dans le monde.

Ce fut un précédent pour toutes les erreurs à venir ; quand quelqu’un trébuche, il ne doit pas désespérer et penser qu’il va continuer à se tromper toute sa vie. Il peut se remettre de son acte et réaliser son potentiel. L’exemple de ’Hava nous montre cependant que le chemin du retour nécessite de gros efforts. Parfois, à cause d’une souillure, la personne doit affronter de nouveaux défis, plus difficiles, pour revenir à son statut antérieur.

C’est ce qui se passa avec ’Hava. « À la femme, Il dit : "J’intensifierai ta souffrance et ta grossesse, tu enfanteras dans la douleur." »[4] Avant sa dérogation, ’Hava pouvait concevoir immédiatement et accoucher sans peine. Mais depuis son acte, l’enfantement n’est plus si simple ; il faut passer par une longue période de grossesse ainsi que par les douleurs de l’accouchement. Et on peut ajouter à cela le « Tsaar Guidoul Banim », la difficulté d’éduquer les enfants.

Nous comprenons bien que les sanctions d’Hachem ne sont pas arbitraires, elles sont infligées « mesure pour mesure » afin d’aider l’individu à rectifier son erreur et à s’améliorer. Alors pourquoi sa faute eut-elle pour conséquence cette peine ? Pourquoi lui fut-il dès lors beaucoup plus douloureux de remplir son rôle de parent ?

Rav Dessler explique que la Avodat Hachem est comparée à un champ de bataille partagé en trois zones – l’une est sous le contrôle total de l’un des combattants, l’autre appartient entièrement à l’ennemi et l’emplacement du milieu correspond au « no man's land » que les deux camps tentent d’occuper. Il en est de même dans le Service Divin : certains domaines ne sont pas du tout sujets aux batailles, parce que nous les maîtrisons. Par exemple, une personne pratiquante ne relèvera aucun challenge devant de la nourriture non-cacher. D’autres domaines sont aussi hors-combat, parce qu’ils sont hors d’atteinte pour l’instant. Par exemple, la plupart des gens sont incapables de ne dormir que trois heures par jour et d’étudier le reste du temps. Et puis il y a certaines choses qui nous demandent beaucoup d’efforts, mais qui restent dans la mesure du possible. Pour l’un, ce sera d’étudier une heure par jour au lieu d’une demi-heure et pour l’autre, ce sera d’étudier dix heures par jour au lieu de neuf. Cette zone de combat est celle du libre arbitre – si l’on parvient à le surmonter, alors la ligne de bataille avance.

Il arrive néanmoins qu’une personne trébuche dans un domaine qui était généralement sous contrôle ; elle fait alors reculer sa Nékoudat Habé’hira (le champ d’exercice du libre arbitre). Dès lors, les domaines qui ne présentaient pas spécialement de défis vont lui être très épineux. C’est vraisemblablement ce qui se produisit avec ’Hava ; avant la faute, elle se trouvait à un niveau tel qu’il lui était facile de donner naissance. Ensuite, son niveau spirituel diminua drastiquement au point de devoir peiner énormément (elle et ses descendantes) pour retrouver son niveau sublime. Ce travail supplémentaire se manifeste par les nouvelles difficultés que présentent la grossesse, l’accouchement et l’éducation. C’est en réussissant ces défis qu’elle peut parvenir à rectifier son erreur.

Ce développement nous enseigne une leçon primordiale. Tout d’abord, comme nous l’avons mentionné précédemment, même les péchés les plus graves ne doivent pas nous faire renoncer à notre objectif dans la vie. Hachem, dans Sa bonté infinie, accepte toujours une Téchouva sincère et donne à l’individu l’opportunité de « repartir à zéro ». Et nous apprenons également que le repentir nécessite de gros efforts et de la persévérance. Celui de ’Hava impliquait que toutes ses futures descendantes acceptent la mission difficile, mais si belle, d’apporter la vie dans le monde.

Puissions-nous tous mériter de réaliser rapidement cet objectif et de revenir au niveau prodigieux précédant la faute.


[1] Béréchit, 3:20.

[2] Voir Béréchit Rabba, 20:11 et Rachi, Or Ha’Haïm, Kli Yakar sur Béréchit, 3:20.

[3] Par exemple, le Midrach souligne que le nom ’Hava ressemble au mot « ’Hivya » qui signifie serpent en Araméen – allusion évidente à la faute qui fut commise parce que ’Hava écouta le conseil du serpent.

[4] Béréchit, 3:16.