Dans la parachat Lekh Lékha, après le retour d’Égypte d’Avraham et de son entourage qui y traversèrent une rude épreuve, une dispute opposa les bergers d’Avraham et ceux de Loth, son neveu. ‘Hazal affirment que les pâtres de Loth permettaient à leurs troupeaux de brouter dans les champs qui ne leur appartenaient pas et les bergers d’Avraham leur reprochaient ce vol.

Avraham décida alors de faire une proposition drastique à Loth. « Avraham dit à Loth : "Qu’il n’y ait donc pas de querelle entre moi et toi, entre mes pasteurs et les tiens, car nous sommes frères. Tout le pays n’est-il pas devant toi ? Sépare-toi, je t’en prie, de moi ; si tu vas à gauche, j’irai à droite et si [tu vas] à droite, j’irai à gauche." »[1]

Les commentateurs demandent pourquoi Avraham voulut se séparer de Loth précisément à cet instant, et non auparavant ; un commentaire de Rachi à la suite de leur séparation met ce point en relief. La Thora précise qu’Hachem parla à Avraham « après que Loth se fut séparé de lui »[2].

Ce détail semble superflu – Rachi explique que tant que Loth résidait avec Avraham, ce dernier ne pouvait prophétiser à cause de la mauvaise influence de Loth qui éloignait la Providence Divine. Ce n’est qu’après son départ qu’Hachem parla de nouveau à Avraham[3].

Rav ‘Haïm Chmoulewitz zatsal tire deux conclusions intéressantes de ce passage. Tout d’abord, il est évident qu’Avraham fut spirituellement affecté par la compagnie de son neveu, au point qu’il ne parvenait pas à prophétiser. Pourtant, Avraham continua à rester avec Loth, espérant le marquer positivement. Rav Chmoulewitz en déduit l’importance d’influencer positivement les autres, même si l’on risque d’être affecté.

En revanche, il y a une chose que même Avraham ne pouvait tolérer ; c’est la ma’hloket. Et pour apaiser la discorde, il jugea nécessaire de se séparer de son neveu[4].

Nous apprenons donc combien la ma’hloket est destructrice et jusqu’où il faut aller pour la dissiper et pour éviter des malentendus, des différends ainsi que toute l’amertume, la haine, la médisance et les débats qui s’ensuivent. Le midrach note que même au moment de leur séparation, Avraham parla à Loth de manière très conciliante, lui garantissant que leur lien resterait fort et affectif — effectivement, quand Loth fut kidnappé par les quatre rois, Avraham risqua sa vie pour le sauver. La séparation fut la meilleure manière de maintenir la paix entre Loth et lui, et non une façon de couper tout contact avec lui.

Malheureusement, la ma’hloket demeure une plaie bien trop courante dans notre société ; elle frappe même dans certaines familles. Rav Issakhar Frand chlita raconta de nombreuses histoires concernant des familles détruites à propos de choses qui ne méritaient pas du tout de provoquer tant de douleur et de souffrances. C’est en refusant de faire le premier pas pour rétablir la paix ou bien en n’acceptant pas les efforts fournis par l’autre pour calmer la tension que l’on empêche la fin des contentieux.

De tels comportements peuvent affecter directement la personne en question. Le ‘Hafets ‘Haïm raconte qu’une ma’hloket a, une fois, menacé la vie de l’un des protagonistes et provoqua finalement l’emprisonnement de sa famille. Quand sa femme désespérée l’implora d’abandonner la partie, il répondit qu’il était prêt à aller en prison avec sa femme et ses enfants pour sortir « vainqueur » !

Dans la plupart des cas, il n’y a pas de risque de détention physique, mais toute personne impliquée dans une ma’hloket au sein d’une famille ou entre amis peut attester du fait qu’elle se sent émotionnellement emprisonnée – incapable de se défaire d’un sentiment négatif et constamment avide d’offenser l’autre. Il vaut certainement mieux se montrer plus mûr et rétablir la paix, même si l’on pense que l’autre est en tort.

Et si l’on est honnête avec soi-même, on reconnaîtra que l’on regrette souvent la flambée de haine due à la dispute.

Le Malbim fit cette remarque à propos d’une ma’hloket dans laquelle il fut impliqué. Ses disciples perplexes lui demandèrent comment une telle dispute était possible étant donné la promesse faite par la Thora, depuis la querelle entre Kora’h et Moché, à savoir qu’« il n’y aura plus jamais comme Kora’h et son assemblée. »[5]

Le Malbim leur expliqua qu’en réalité, la dispute entre Kora’h et Moché fut la seule de l’Histoire dans laquelle l’un des protagonistes avait entièrement tort et l’autre agissait de manière parfaitement justifiée. Le Malbim, dans sa grande modestie, reconnut qu’il était en partie responsable dans le différend en question[6].

Ainsi, celui qui se dispute avec son prochain a tort de penser qu’il a entièrement raison, puisque la Thora nous garantit que ceci ne pourra jamais être le cas.

Au cours de sa vie, l’individu est inévitablement confronté à certaines mésententes avec son prochain. Il doit alors faire un choix crucial ; soit valider son approche et refuser obstinément de reconnaître son erreur, soit ravaler sa fierté, « faire le grand » et entamer le processus de réconciliation. Évidemment, certains problèmes doivent être traités et résolus au travers d’un dialogue raisonné et raisonnable, mais une fois que l’on montre un désir sincère de rétablir une relation saine et amicale, le succès est presque certain.

En adoptant cette attitude, on imite Avraham Avinou qui fit ce qui était nécessaire pour faire régner la paix. Cependant, si une personne est intraitable sur le sujet, elle ne fait que prolonger et intensifier l’amertume.

Puissions-nous tous mériter d’émuler Avraham Avinou en préservant la paix.



[1] Beréchit, 13:8-9.

[2] Beréchit, 13:14.

[3] Rachi, Beréchit, 13:14, basé sur le Midrach Tan’houma, Vayétsé 10 et Beréchit Raba, 41:8.

[4] Rapporté par rav Its’hak Berkovits chlita, au nom de rav Chmoulewitz.

[5] Parachat Kora’h, Bamidbar, 17:5.

[6] Tallelé Oroth, p. 303.