La Paracha Vayéchev s’étend sur de nombreuses années. Les événements rapportés y sont aussi nombreux que riches d’enseignements, mettant en lumière différents protagonistes.

Le début de la Paracha évoque un épisode douloureux, celui de la mésentente entre Yossef et ses frères. Bien sûr, nos Sages nous mettent en garde contre une lecture trop rapide de ce différend, et nous rappelle qu’il s’agissait avant tout d’un antagonisme autour de l’avenir spirituel de la famille que Yossef semblait menacer, aux yeux de ses frères. Les Sages qualifient ce conflit de « Kinat Soferim », c’est-à-dire de « jalousie » ou de « concurrence » des érudits ou des pieux.

Il n’en demeure pas moins que la méthode employée pour « éloigner » Yossef de la maison familiale a fait l’objet de débats entre les frères, et notamment d’une opposition de Réouven qui souhaitait sauver la vie de son frère. Mais Réouven arriva trop tard, le puits était vide et Yossef avait déjà été vendu aux Ichmaélim. Rachi nous explique la raison de l’absence de Réouven lors de cette vente :

« Réouven retourna (37.29) : Il n’avait pas assisté à la vente car c’était à son tour, ce jour-là, d’aller servir son père (Béréchit Raba 84, 15). Autre explication : Il était occupé, couvert d’un sac, à jeûner pour avoir mis le désordre dans la couche de son père (Béréchit Raba 84, 19) ».

Rachi nous rapporte ainsi un Midrach qui sous-entend que Réouven s’était isolé pour faire Téchouva sur un événement qui avait eu lieu précédemment. C’est là d’ailleurs un des sens du verbe employé : « Vayachov Réouven » (Réouven est revenu, ou bien Réouven a fait Téchouva).

En effet, souvenons-nous : suite à la mort de Ra’hel, Yaakov avait déplacé son lit depuis la tente de cette dernière, auprès de qui il résidait régulièrement, vers la tente de Bilha. Réouven s’en était alors ému et avait souhaité défendre l’honneur de sa mère, Léa. Certains disent qu’il aurait même déplacé le lit de son père vers la tente de Léa. On pourrait donc en rester là et considérer que Réouven a fait Téchouva pour cet acte déplacé.


Réouven a-t-il fauté ?

Mais la situation n’est pas aussi simple. En effet, les Sages de la Guémara enseignent que celui qui condamnerait trop rapidement Réouven pour cet acte se trompe. Comment comprendre alors ce repentir de Réouven ? Pourquoi fait-il Téchouva s’il n’a pas fauté ? En outre, le repentir de Réouven est très fort, puisque les Sages nous disent qu’il s’est affligé « Béssako Oubéta’anito », en s’habillant d’un grand sac et en jeûnant, comme le feront plus tard les habitants de Ninive.

Et nos Sages de rajouter que Réouven « a inauguré la Téchouva », c’est-à-dire qu’il a été le premier à faire Téchouva. Là encore, les paroles de nos Sages méritent un approfondissement car d’autres hommes ont fait Téchouva avant Réouven, à commencer par le premier d’entre eux, Adam Harichone.

En effet, la démarche de Réouven est très fine. Il ne s’agit pas pour lui de faire Téchouva pour une faute « évidente », visible aux yeux de tous, et pour laquelle D.ieu lui aurait adressé un reproche explicite, comme ce fut le cas pour Adam Harichone ou d’autres hommes avant lui qui avaient fait Téchouva suite à une faute. Ici, il s’agit d’un scrupule intérieur de Réouven qui l’amène à faire Téchouva, une exigence particulière qu’il s’impose de lui-même, et qui lui fait comprendre qu’il n’aurait pas dû agir de la sorte.

Face à cette exigence, Réouven ne cherche pas justifier son attitude, à échapper à sa responsabilité ni à la minimiser, mais il l’affronte et entame un repentir sincère et profond. Les Sages disent qu’il se repentira de son action toute sa vie, et suite à l’exemple de son frère Yéhouda (Tossefot dans Baba Kama page 92a), il reconnaîtra même publiquement sa faute.
 

Nous comprenons donc que la démarche de Réouven à ceci de particulier qu’elle porte sur un degré d’exigence sur soi qui va bien au-delà des notions de « Moutar/Assour », de permis et d’interdit. Réouven souhaite plutôt agir « Lifnim Michourat Hadine », au-delà de la stricte justice, en éliminant de ses actions, furent-elles autorisées ou acceptées par les Sages, toutes les scories et tous les défauts qui pourraient les entacher.

C’est ainsi que Rabbi Moché ‘Haïm Luzzato, dans son célèbre livre le Méssilat Yécharim, explique qu’il y a deux manières pour raffiner son comportement et parfaire ses Mitsvot.

1. La première consiste naturellement à examiner ses actions et à éliminer celles qui sont mauvaises (Lépachpéch Bémaassav) ou qui paraissent reprouvées par la Torah, afin de ne conserver que les Mitsvot et les qualités positives.

2. La deuxième méthode, complémentaire à la première mais plus exigeante, consiste à examiner à la loupe ses bonnes actions (Lémachmèch Bémaassav), à les peser, les sous-peser et  les palper afin de supprimer le négatif que certaines bonnes actions peuvent renfermer.

En effet, il est possible que l’accomplissement des Mitsvot soit parasité par un aspect routinier, une lassitude, une dimension sociale qui nous fait oublier l’éclairage que recèle chaque Mitsva, et le rapprochement avec Hachem que les Mitsvot doivent procurer.

On peut prier et étudier chaque jour mais être pris dans une routine qui émousse notre sensibilité aux mots que l’on prononce. On peut donner de la Tsédaka mais le faire sans grâce, sans mesurer la grandeur de ce geste et en oubliant la sollicitude que l’on doit avoir pour celui qui est dans le besoin.


Plus loin qu'un repentir

En faisant une Téchouva aussi forte sur une action que les Sages ne considèrent même pas comme une faute, Réouven a montré sa grande exigence vis-à-vis de lui-même ainsi que sa très puissante volonté de raffinement. En ce sens, il a inauguré la Téchouva fondée non pas sur une faute explicite, mais sur un scrupule intérieur.

Non seulement son repentir sera agréé par Hachem, mais en outre, la tradition nous rapporte qu’il a eu le mérite d’avoir un descendant (le prophète Hochéa ben Bééri) qui a été le héraut de la Téchouva, et dont les exhortations auprès du peuple sont rappelées lors de la Haftara de Chabbath Chouva.

A l’approche de ‘Hanouka, nous pouvons conclure en rappelant que nos Sages nous invitent durant cette fête à illuminer non seulement nos chandeliers mais aussi nos Mitsvot, en essayant de leur donner leur éclat maximal et en mesurant le véritable éclairage qu’elles apportent au monde.