La Paracha de Vayé'hi vient clore le livre de Béréchit mais aussi une problématique qui traverse l’ensemble du premier livre de la Torah : la fraternité.

La première Paracha de ce livre avait démarré sur le premier meurtre de l’humanité, un meurtre entre frère, celui d’Abel par Cain. La Torah nous rappelait ainsi symboliquement que tout meurtre est toujours celui d’un « frère », et elle nous mettait en garde contre le risque inhérent à toute relation humaine : la rivalité, la jalousie, et, finalement, la haine.

Cette relation conflictuelle entre frères va se perpétuer dans la famille des patriarches : Its'hak et Ichma'ël, Ya'acov et 'Essav, Yossef et ses frères… A chaque génération, la même question se pose : qui sera digne de porter l’héritage spirituelle des Avot ? Qui sera digne de recevoir la bénédiction paternelle ?

Dans la Paracha de cette semaine, avant de conclure le livre de la Genèse, cette question trouve enfin une solution apaisée. En effet, Yossef introduit ses deux fils, Ménaché et Ephraïm, à son père, Ya'acov qui s’apprête à les bénir. Or, de manière surprenante, le patriarche pose sa main droite (la plus prestigieuse) sur Ephraïm, le plus jeune des deux frères, et sa main gauche sur celle de Ménaché, l’aîné.

Yossef assiste, avec effroi, à cette scène et tente de corriger la disposition des mains de son père. Lui qui a vécu dans sa chair les ravages auxquels peut mener la jalousie entre frères et les différences de traitement au sein d’une fratrie, redoute de voir se répéter la tragédie qu’il a vécue au niveau de ses enfants. Toutefois, son père persiste et confie qu’il a perçu en prophétie la destinée de ces deux enfants et qu’il convient de bénir avec la main droite Ehpraïm, le plus jeune.

Or, cette fois, la différence de traitement entre les deux frères ne débouche sur aucune tragédie, ils acceptent leur destinée différente de manière apaisée.

Nos Sages nous enseignent que c’est précisément pour cette raison, en reconnaissance de ce grand mérite, que l’ensemble des enfants d’Israël sont bénis pour l’éternité en invoquant le souvenir d’Ephraïm et Ménaché. « Que l’Eternel te réjouisse comme Ephraïm et Ménaché » (Béréchit 48.20).

L’auteur du livre « Igra de Kala » rappelle à cet égard un enseignement des Sages du Talmud « L’Eternel n’a jamais trouvé de meilleur support pour une bénédiction que « le Chalom », la paix » (Traité Ouktsin). Or, Ephraïm et Ménaché incarnent cette capacité exceptionnelle à préserve la paix en dépassant les rivalités d’égo. Ehpraïm, le petit frère n’a conçu aucun orgueil de cette distinction, et Ménaché, pourtant le frère ainé, n’a ressenti aucune jalousie à l’égard de son petit frère. Lorsque Ya'acov a observé ces qualités merveilleuses chez ses petits-enfants, il a prié pour qu’elles inspirent l’ensemble des enfants d’Israël pour l’éternité.

En outre, Ménaché et Ephraïm ont ceci de spécifique qu’ils ont réussi à préserver une pureté de cœur  et des qualités humaines exceptionnelles alors qu’ils vivaient en Egypte, dans un monde hostile et impur. Et en dépit de cet environnement, les deux enfants de Yossef ne se sont pas pervertis mais sont demeurés des « Tsadikim » exemplaires. C’est là aussi la volonté de Ya'acov, d’inviter l’ensemble des générations à s’inspirer de l’exemple de Ménaché et Ephraïm, où qu’ils vivent, et de toujours garder leur « quant-à-soi », leur personnalité et leurs vertus ; en ne cédant jamais aux mauvaises influences du temps ou du lieu où ils se trouvent.

C’est ainsi que la fraternité trouve enfin une issue apaisée dans les derniers versets du livre de la Genèse, avant de nous présenter dans le prochain livre de la Torah d’autres frères qui s’aiment d’un amour profond, sans aucune jalousie ni rivalité : Moïse et Aaron.

A travers la description ambivalente de la relation entre frères, la Torah souhaite probablement nous inviter à réfléchir aux relations humaines de manière générale. Ces dernières sont bien souvent confrontées à la même question : que faire des différences entre les hommes ? Comment appréhender des situations inégales ?

Les maîtres de la mishna apportent une réponse dans les « Maximes des pères » : « Qui est l’homme riche ? Celui qui est content de sa part ». Un des enjeux profonds de l’aventure humaine est d’être capable de porter le regard sur soi, de prendre conscience de ses capacités, de ses goûts, de l’ensemble des facteurs positifs qui nous entourent et d’en faire des sources d’épanouissement et des moteurs pour s’améliorer continuellement.

C’est là une des clefs du bonheur et de la réussite. Inversement, convoiter ce que l’autre possède est non seulement source de frustration mais aussi le reflet d’une vue parcellaire de la vie d’autrui. Notre tradition nous exhorte à développer en nous la conviction qu’Hachem nous a doté de ce qu’il y a de meilleur pour nous, et que nous disposons de tout ce qui est nécessaire à notre bonheur et notre épanouissement. Notre travail consiste à en prendre conscience, à braquer notre regard sur nous-même, et non sur autrui, et à nous fixer une ambition, un horizon de progrès et de perfectibilité.

C’est ainsi que, grâce à ses efforts quotidiens, réguliers, l’homme finit par atteindre la véritable dimension de lui-même, et qu’il ne trouve plus aucun intérêt à scruter ce qu’autrui possède. Son esprit est uniquement orienté vers le désir de progresser chaque jour davantage et de découvrir ainsi qui il est vraiment !

Aussi, les relations entre les hommes deviennent source d’enrichissement mutuel, de stimulation et d’émerveillement. A travers autrui, je découvre les trésors qui se logent en chaque être humain et qui, associés les uns aux autres, forment la merveilleuse symphonie de l’aventure humaine au service de l’Eternel.

Nous pourrons ainsi comprendre le sens de ces fameux mots du roi David : « Qu’il est bon et agréable à des frères de vivre dans une étroite union » (Ps. 133.1).

Puisse l’Eternel nous permettre de cheminer dans cette direction et raffiner notre relation à notre prochain.