Au cours de sa vie, l’homme se prépare pour toute sorte de rendez-vous. Certains sont espérés, d’autres sont redoutés, mais il est des rendez-vous dont l’importance est toute particulière : les rendez-vous avec soi-même.

Notre Patriarche Yaakov vit au début de notre Paracha un rendez-vous de cette nature. Alors qu’il s’apprête à retrouver son frère Essav et qu’il redoute de devoir l’affronter, notre texte nous dit qu’il passe la nuit précédente « seul », de l’autre côté de la rive où il a pris soin de répartir sa famille.

Ce face à face avec lui-même n’est pas anecdotique. Nos Sages y voient une métaphore de la vocation d’Israël dans le monde, qui est appelé à cultiver son autonomie, son particularisme, sans se confondre ni s’assimiler avec les autres nations.

Cet isolement va prendre une tournure encore plus capitale lorsque Yaakov va devoir affronter, seul dans la nuit, un homme, un ange nous dit-on. Le dénouement est bien connu : Yaakov sort victorieux de ce combat, et avant de le quitter, l’ange le bénit et lui donne un nouveau nom : Israël.

Plusieurs étymologies sont proposées par nos Sages pour comprendre la signification de ce nouveau nom. L’une d’entre elles propose de rapprocher ce terme de la racine « Yachar - droit, intègre ». Yaakov, dont le nom indiquait à l’origine une forme de ruse (« Ekev »), est désormais reconnu pour sa rectitude morale, sa fidélité aux commandements de D.ieu, et cela doit s’inscrire jusque dans son nom Israël.

Or, cette notion de droiture morale est l’un des fils conducteurs du livre de Béréchit, dans la mesure où elle désigne une qualité essentielle des Patriarches dont le peuple juif est invité à s’inspirer tout au long de son histoire. Nos Sages désignent ainsi le livre de Béréchit comme le « Séfer Hayachar - Le livre des justes » (Avoda Zara 25a).

Le roi Salomon rappelle dans l’Ecclésiaste que cette caractéristique est commune à l’ensemble des hommes (7, 29) : « D.ieu a créé l’homme Yachar (intègre) ». Mais, poursuit-il, l’homme ne s’est pas contenté de cela, il a cherché à dépasser cela à travers des « artifices », des quêtes vaines qui l’ont éloigné de sa véritable nature.

Aussi, l’homme est-il appelé à essayer de retrouver cet état de droiture morale qui se loge en lui-même, mais qui est parfois voilé par des projets concurrents qui se sont invités malgré lui dans son cœur et dans son esprit.

Cette droiture désignée par le terme Yachar est avant tout une forme de simplicité, de confiance que l’homme place dans son Créateur et qui lui permet de ne pas dévier de sa mission, de rester fidèle aux commandements de la Torah.

Cette fidélité, cette droiture morale est porteuse de bonheur pour l’homme car elles l’aident à faire corps avec l’essentiel, à coïncider avec l’essence de son âme. L’homme retrouve alors une forme de simplicité, de cohésion naturelle avec la Torah et le Créateur qui l’apaisent et le réjouissent.

Aussi, le Roi David a pu écrire : « Pikoudé Hachem Yécharim Méssamé’hé Lev - Les commandements de D.ieu sont droits, ils réjouissent l’âme ». Droiture et joie, intégrité et bonheur ne font effectivement qu’un dans la Torah.

L’auteur des Téhilim a ainsi eu recours au terme « Pikoudé » pour designer les commandements car ce terme tire sa racine, nous dit le Rav Chimchon Raphael Hirsh, du mot « Pikadone » qui signifie « dépôt ». Et il nous rappelle que l’homme a été placé à l’origine dans le Gan Eden avec pour mission principale de « le cultiver et de le garder », et les commandements divins que D.ieu a donnés à l’homme n’ont d’autre objectif que de l’aider à parvenir à atteindre cet objectif.

La Torah a ainsi été donnée à l’homme afin de « parfaire » la création, afin de faire des hommes des « associés » de D.ieu et participer à l’établissement d’une harmonie universelle. Cela passe non seulement par un rapprochement avec le Créateur grâce à l’étude de la Torah, mais aussi par un travail sur soi, un raffinement de ses « qualités », et une ouverture sur autrui avec les actes de ‘Hessed, de générosité.

Ces commandements sont donc bel et bien droits dans la mesure où ils permettent à l’homme d’accomplir sa mission originelle. A travers les lois de la Torah, il ne s’agit pas d’atteindre des principes extérieurs à l’homme, il s’agit davantage de retrouver en nous les valeurs morales qui sont la texture même de notre âme. Or, c’est précisément cette capacité à coïncider avec notre nature profonde que nous offre la Torah et qui est à l’origine de nos plus grands bonheurs.

La roi David exprime cela magnifiquement lorsqu’il écrit : « Or Zaroua Latsadik Oulyichré Lev Sim’ha - La lumière se répand sur les Justes, et la joie sur les cœurs droits », ayant toujours recours à cette notion de Yachar.

Ainsi, la Torah n’est pas un code de lois qui s’imposent à l’homme de l’extérieur, elle est bien au contraire la matière première dont nous sommes faits, l’énergie qui donne vitalité à notre corps entier et la lumière divine qui anime notre âme au quotidien.

Grâce à elle, l’homme a le sentiment de coïncider avec lui-même, il a la satisfaction d’avoir accompli ce qu’on attendait de lui. Quelle que soit l’échelle à laquelle nous agissons, vis-à-vis de nous-mêmes, de notre famille, notre communauté ou au-delà, lorsque nous percevons que nous avons accompli ce qui correspond à notre nature profonde, nous ressentons une joie intense et un apaisement merveilleux, à nul autre comparable.

C’est précisément à cela que veut nous mener la Torah. Cela est inscrit dans notre cœur, dans notre âme, et bien sûr, dans le nom que nous avons tous en commun, à partir de cette Paracha : Israël…