« D. fit du bien aux sages-femmes ; le peuple se multiplia et devint très puissant. Et puisque les sages-femmes avaient craint le Seigneur, Il leur fit des maisons. » [1]

Yokheved et Myriam risquèrent leurs vies pour sauver celles des bébés juifs menacés par les Égyptiens. Hachem les récompensa en leur faisant des « maisons » — Rachi explique qu’elles méritèrent de devenir les matriarches des Kohanim, des Léviim et des Melakhim (rois).

Le rav Moché Feinstein zatsal demande pourquoi, si leur récompense principale était leurs « maisons », la proposition « le peuple se multiplia et devint très puissant » interrompt le récit de cette gratification. Le verset aurait dû annoncer directement : « D. récompensa les sages-femmes et Il leur fit des maisons ».

Rav Feinstein répond que l’élément essentiel de leur récompense n’était pas les maisons, mais plutôt l’accroissement de la population juive, car leur vraie joie et leur désir le plus cher étaient de voir le peuple juif se multiplier. Par conséquent, le passouk affirme, juste après l’annonce de la récompense d’Hachem, que le peuple juif grandit considérablement – c’était leur gratification principale, les maisons n’étaient que des avantages secondaires de leur grande crainte du Ciel. [2]

Plusieurs facteurs peuvent motiver une personne à accomplir une bonne action – cela peut être le fait de savoir que c’est une mitsva de prodiguer du ‘hessed ; c’est peut-être parce qu’elle est redevable envers quelqu’un qui lui a accordé une faveur, ou diverses autres raisons. Nous apprenons du commentaire du rav Feinstein que la principale motivation à avoir quand on aide autrui (c’est l’intention à avoir en accomplissant toute autre mitsva) est qu’il bénéficie de notre action. Yokheved et Myriam ne se souciaient pas du salaire qu’elles recevraient en sauvant des vies juives – elles voulaient simplement que ces vies soient épargnées. Hachem les récompensa en permettant à leur plan de fonctionner et, par conséquent, le peuple juif s’accrut.

Le fils de Yokheved, Moché Rabbénou, hérita de ce même dévouement pour les autres. Il vit la souffrance de ses frères et risqua sa vie pour eux. Il convainquit Pharaon de leur accorder un jour de repos pour qu’ils puissent respecter le Chabbat. Par ailleurs, il montra une grande préoccupation pour l’un des moutons de son troupeau. C’est par le mérite de ces actions qu’Hachem se révéla à lui dans le buisson ardent et le nomma dirigeant du peuple juif. Il voulait seulement alléger le joug de l’esclavage égyptien et il fut récompensé en devenant celui qui en libéra la nation.

Cet enseignement est pertinent dans plusieurs domaines de nos vies, mais certainement plus encore en ce qui concerne notre carrière. Plusieurs personnes ont la chance d’exercer un métier dans lequel elles viennent en aide aux gens. Il est néanmoins très facile de ne se concentrer que (ou essentiellement) sur l’argent que l’on gagne pour ces services. Le rav Pam zatsal se faisait un jour soigner par un dentiste et vit combien celui-ci rendait service aux gens en pratiquant cette profession.

Ce dernier lui répondit que c’était un « bénéfice secondaire sympathique », ce qui laissait entendre qu'il travaillait principalement pour toucher ses honoraires. Rav Pam rétorqua qu’en réalité, l’argent qu’il gagnait était l’avantage secondaire et que le but principal devait être d’aider les gens à avoir des dents saines.

Malheureusement, on a souvent tendance à mettre l’accent sur les intérêts financiers de nos bonnes actions, même quand il s’agit des activités les plus saintes, comme l’étude ou l’enseignement de la Thora. La michna dans Pirké Avot (Maximes des Pères) montre l’aspect négatif d’une telle attitude, quand elle nous enjoint : « N’en fais pas [de la Thora] une couronne pour t’en grandir, ni une pioche pour creuser [un outil pour arriver à tes fins]. [3] »

Plusieurs commentateurs expliquent que la michna n’interdit pas de gagner de l’argent grâce à l’étude ou l’enseignement de la Thora, mais ils s’accordent tous à dire que cela ne doit pas être la motivation première de l’homme. Le Rambam, en particulier, souligne l’aversion pour une implication dans la Thora dans le but de gagner sa vie. Cependant, même lui n’interdit pas une telle étude ou un tel enseignement si l’on a les bonnes intentions. Dans Hilkhot Chemita VeYovel, il écrit que la tribu de Lévy est écartée des autres pour que ses hommes puissent « servir Hachem et enseigner Ses justes voies au peuple, comme il est dit : "Ils enseigneront Tes lois à Yaacov et Ta Thora à Israël." [4] »

Il poursuit en affirmant que ce rôle n’est pas réservé exclusivement aux Léviim, mais que toute personne qui désire étudier la Thora avec les mêmes motivations peut mériter de remplir cette même fonction. Le ‘Hafets ‘Haïm zatsal statue qu’une telle personne a le droit de recevoir de l’argent pour son étude de la Thora ; ceci, semble-t-il, parce qu’elle le fait sans arrière-pensées, sans risque d’agir par intérêt. [5]

Nous savons que la récompense suprême de Yokheved et de Myriam allait être dans le Olam Haba – la conséquence de leurs intentions pures. Si quelqu’un fait du ‘hessed avec de telles motivations, il peut être assuré d’une gratification considérable dans le Monde Futur.

Le Alter de Slabodka remarqua une fois la messirout néfech (dévouement, sacrifice de soi) des boulangers – à cette époque, ces derniers se levaient très tôt pour procurer du pain à la communauté. C’était un bienfait incroyable de leur part de se lever si tôt pour fournir aux gens cette denrée essentielle. Pourtant, il disait que si le boulanger agissait uniquement pour gagner sa vie, il perdait la majeure partie de son Olam Haba.

Le fait de prodiguer des bienfaits est une grande chose, qui mérite une prestigieuse récompense, mais il ne faut pas perdre de vue l’intention à avoir — celle d’aider autrui. Les bénéfices secondaires viendront, mais le fait d’améliorer la qualité de vie de nos frères juifs est une belle récompense en soi.



[1] Chemot, 1:20-21.

[2] Darach Moché, Parachat Chemot.

[3] Pirké Avot, 4:7.

[4] Hilkhot Chemita VeYovel, Ch. 13, halakha 12-13.

[5] Biour Halakha, siman 156.