Dans la Paracha, Moché Rabbénou s’enfuit d’Égypte et rencontre Tsipora, la fille de Yitro. La Torah affirme : « Moché accepta (Vayoel) d’habiter avec l’homme, et il donna sa fille Tsipora à Moché. » [1] D’après le sens simple de ce verset, Moché souhaitait vivre avec Yitro, mais « Vayoel » n’est pas le mot habituellement employé pour exprimer le souhait. Son sens est plutôt ambigu et le Midrach fait une remarque intéressante. Ce mot nous montre que Moché fit un serment à Yitro. Il jura que le premier enfant, né de son mariage avec Tsipora, serait dédié à la 'Avoda Zara et que les autres enfants seraient consacrés à Hachem.[2]
Ce Midrach soulève deux questions évidentes. Premièrement, comment Moché a-t-il pu accepter l’idée que son enfant soit dédié à 'Avoda Zara ? Deuxièmement, déjà à cette époque, Yitro s’était repenti et avait reconnu l’unicité de D.ieu.[3] Alors, pourquoi insista-t-il pour que son petit-fils soit livré à l’idolâtrie ?!
Le Ba'al Hatourim explique que Moché savait que Yitro finirait par se convertir au judaïsme et qu’il accepterait alors que le fils de Moché se consacre pleinement à Hachem.[4] Mais quel était le raisonnement de Yitro derrière cette demande étrange ? Rav ’Haïm Chmoulewitz[5] répond que Yitro admettait la véracité de la Torah et qu’il ne voulait pas que son petit-fils soit idolâtre. Cependant, il estimait que la meilleure façon d’arriver à la Vérité était la manière dont il était lui-même parvenu, à savoir passer par l’idolâtrie pour réaliser le vide de cette approche, la remettre en question, et finalement la rejeter en s’attachant à la Vérité.
Quant à Moché Rabbénou, il avait une approche totalement différente. Il voulait élever son fils dès sa plus tendre enfance à être un 'Eved Hachem (servir Hachem) sans prêter attention aux autres conceptions du monde. Yitro savait que Moché élèverait ses fils de cette façon, et il l’a donc forcé à jurer que son premier fils, au moins, adopte sa propre méthode : arriver à la vérité en rejetant les fausses croyances par un raisonnement personnel. Rav Chmoulewitz ajoute que nous adoptons évidemment l’approche de Moché, car le but ultime est de servir Hachem.
Comment cet enseignement s’adapte-t-il aux deux types de Juifs respectueux de la Torah : ceux qui ont grandi toute leur vie dans l’observance et la pratique des Mitsvot et ceux qui ont grandi dans la laïcité, mais qui sont arrivés à la pratique par leurs propres recherches et raisonnements ? On pourrait penser que le deuxième groupe connaît un manque dans sa 'Avodat Hachem, mais si l’approche du Ba'al Téchouva est correcte, une fois qu’il a accepté la véracité de la Torah, il décide de servir Hachem de manière incontestable. Cela ne veut pas dire qu’il ne peut pas poser de questions et essayer de comprendre les raisons de l’approche toraïque sur divers sujets, mais au bout du compte, il sert Hachem parce qu’il sait que tel est son devoir, comme un 'Eved qui sert son maître. Or Yitro voulait que son petit-fils garde son approche même après avoir découvert la vérité ; que son observance dépende de sa logique et de son raisonnement et non de sa Hitbatlout (soumission) à la parole de D.ieu.
Quant à la personne qui a grandi dans un milieu pratiquant, elle a l’avantage d’avoir été élevée avec une vision juste, qui n’a pas été souillée par de fausses idéologies. Mais on peut se demander pour quelle raison elle respecte la Torah. S’il ne s’agit que d’une Émouna qui provient de son éducation, on ne peut être sûr qu’elle aurait rejeté une fausse approche si on lui avait proposé celle de la vérité, étant donné qu’elle suit aveuglément son mode d’éducation.
Dans ce cas, quelle est la « bonne » base de la Émouna d’une personne ? D’après Rav Its'hak Berkowitz, l’une des bases de la Émouna Péchouta est de voir de grands érudits en Torah, leur mode de vie, leurs Middot exemplaires dans le domaine du Ben Adam La’havéro ainsi que le Ben Adam Lamakom. Il est évident que la Torah est le principal catalyseur de cette grandeur. Aucune autre religion ou idéologie ne peut prétendre à une noblesse comparable chez ses principaux partisans. D’ailleurs, ceux-ci vivent très souvent des modes de vie totalement en désaccord avec les valeurs qu’ils prônent.
Rav Yérou’ham Leibovits, Machguia’h de la Yéchiva de Mir, rencontra un jour un professeur juif laïc, alors qu’il était en vacances à Marienbad. Rav Yérou’ham engagea la conversation, essayant de le rapprocher de la Torah. Après avoir orienté la conversation dans la direction qu’il désirait, le professeur demanda à Rav Yérou’ham s’il avait lu les œuvres d’Emmanuel Kant, un célèbre philosophe. Le Rav a répondu par la négative. Le professeur lui a ensuite demandé s’il avait lu les travaux de Sigmund Freud, le célèbre psychologue aux conceptions très éloignées de la Torah. Une fois de plus, Rav Yérou’ham répondit qu’il n’avait pas lu un seul livre, ni même un seul mot de Freud. Le professeur demanda alors à haute voix : « Eh bien, si vous n’avez pas lu les travaux de ces érudits, comment savez-vous que leur point de vue est incorrect ? Si vous n’êtes pas familier avec leurs idées, comment comptez-vous me convaincre que la vérité est de votre côté ? Peut-être que ce sont eux qui ont raison ?
- Je sais que notre Torah a produit un individu du calibre du 'Hafets 'Haïm ainsi qu’une longue succession d’autres justes, de grands chefs spirituels juifs… Tous furent des « produits » de l’étude de la sainte Torah… De tels individus ont-ils émergé de l’un des systèmes de valeurs que vous avez mentionnés ? Bien sûr que non ! Donc, il s’agit évidemment de bêtises ! Pourquoi devrais-je perdre mon temps à m’instruire à leur sujet ?! »
Rav Yérou’ham enseignait par là un fondement de notre Émouna : seul un mode de vie conforme à la Torah peut produire des personnes aussi vertueuses que le 'Hafets 'Haïm. Par ailleurs, selon l’avis du Séfer Ha’hinoukh, la meilleure façon d’accomplir la Mitsva de Émouna est d’intérioriser la Émouna à travers ses connaissances et son raisonnement, ce qui ne contredit aucunement l’idée d’élever nos enfants avec une Émouna inébranlable depuis leur plus jeune âge.
Puissions-nous mériter de construire une base solide pour notre Émouna.
[1] Chémot 2,21.
[2] Yalkout Chimoni, Chémot, Rémez 169.
[3] Chémot Raba (1:32).
[4] Ba'al Hatourim 2,16. Cependant, le Ba'al Hatourim note que Moché fut puni pour cela ; son petit-fils devint un prêtre d'’Avoda Zara (Baba Batra, 109b).
[5] Si’hot Moussar, Maamar 78.