La Paracha de cette semaine est particulièrement émouvante car elle vient apporter le message de la délivrance aux Bné Israël, asservis depuis longtemps en Egypte. Dès les premiers mots de notre Paracha, D.ieu demande à Moché Rabbénou d’aller annoncer la bonne nouvelle auprès du peuple hébreu.

Cependant, celui-ci n’est pas en mesure d’accueillir cette information de manière enthousiaste. Effectivement, le texte indique que les Bné Israël n’écoutèrent pas Moché à cause « du souffle court et de la dure servitude » (Chémot, 6.9). Rachi commente cette explication de la manière suivante :

A cause du souffle court : Lorsqu’une personne se trouve dans la détresse, son souffle est court, sa respiration haletante, et il n’arrive pas à prendre de longues inspirations.

Cette analyse de Rachi est saisissante de réalisme sur l’état psychologique d’une personne opprimée. Cette condition se caractérise effectivement par un « souffle court », dans la mesure où l’oppression qu’elle ressent est aussi bien physique que psychologique. La lourdeur et la difficulté des tâches qui lui incombent mobilisent toutes ses forces, occupent tout son temps et parasitent toutes ses pensées.

Sa situation l’empêche de prendre le recul nécessaire pour imaginer un avenir meilleur, ou encore espérer l’accomplissement des promesses faites aux Patriarches. Voilà donc pourquoi la bonne nouvelle annoncée par Moché Rabbénou n’eut pas l’effet escompté sur le peuple : celui-ci n’avait plus la disponibilité d’esprit nécessaire afin de nourrir une espérance et se réjouir de sa future libération.

Cette leçon qui nous est donnée ici a probablement une valeur intemporelle. Ainsi, peut-être pouvons-nous la transposer à d’autres contextes, certes bien moins difficiles que l’esclavage égyptien, mais qui peuvent également contribuer à donner « le souffle court ».

Le Talmud enseigne (traité Kiddouchine page 29a) les cinq devoirs principaux du père à l’égard de son fils, à savoir : la Brit-Mila, le Pidyone Haben, lui enseigner la Torah, le marier, et lui apprendre un métier. La Guémara ajoute un sixième devoir : lui apprendre à nager.

Nos Sages expliquent que ce rajout n’est pas fortuit, et que s’il a été placé immédiatement après le devoir d’apprendre un métier, il s’agit d’une mise en garde pour l’homme : celle de toujours prendre soin de maintenir « la tête hors de l’eau » face à son travail, et de savoir s’orienter dans le fleuve de la vie sans avoir le sentiment d’être noyé. En effet, nos Sages n’ignorent pas que toute occupation matérielle, qui plus est si elle peut apporter de l’argent, menace de happer l’homme dans un cercle vicieux qu’il ne maîtrise pas et qui réduira son horizon spirituel et psychologique.

Notre époque, qui a vu fleurir des expressions telles que « je suis sous l’eau » pour désigner sa charge de travail considérable, ou encore des pathologies comme le « burn-out », témoigne de la modernité de cette problématique mise en lumière par la Torah.

Nous pouvons peut-être encore aller plus loin, et suggérer que cette incapacité du peuple hébreu à entendre la parole de Moché renvoie plus globalement à l’incapacité des hommes à entendre la parole de D.ieu lorsqu’elle s’adresse à eux. Absorbé par le tourbillon de la vie matérielle, persuadé de son intelligence et de ses capacités, l’homme se met à habiter le monde matériel de manière déraisonnable en supportant mal qu’on vienne limiter le champ de ses aspirations.

Il a vite fait d’avoir bonne conscience en cantonnant le « spirituel » à un petit pré carré qui le rassure, et en dehors, il souhaite investir son énergie dans ses projets matériels. Et surtout, qu’on ne vienne pas lui dire que la Torah demande autre chose. Les prophètes en ont fait la dure expérience. Rappelons-nous ces propos de Yé’hezkel (3.4) :

« Il me dit encore : "Fils de l'homme, debout ! Va auprès de la maison d'Israël et communique-leur mes paroles. (…) Ce n'est pas à des peuples nombreux au langage obscur et à la langue lourde, dont tu ne comprends pas les paroles ; si à ceux-là je t'envoyais, eux, ils t'écouteraient. Mais la maison d'Israël ne consentira pas à t'écouter, car ils ne veulent pas m'écouter ; car la maison d'Israël toute entière a le front rétif et le cœur endurci” ».

La surdité de l’homme face à la parole divine n’est ainsi pas seulement due à des causes externes où à l’oppression donnant à l’homme « le souffle court ». Elle peut être également liée à un cheminement intérieur, une forme de douce servitude volontaire suggérée par le Yétser Hara (mauvais penchant) qui se joue des passions et des envies des hommes pour les éloigner, à D.ieu ne plaise, de la pureté originelle de leur Néchama et de leur proximité avec Hachem.

Puissions-nous avoir le mérite, avec l’aide d’Hachem, de faire échec à ces stratégies du Yétser Hara en ne connaissant ni « le souffle court » en raison de l’oppression étrangère, ni « le cœur endurci » par nos calculs, afin de toujours pouvoir accueillir la parole divine, l’entendre, la comprendre et lui faire une place de choix dans notre vie.