« Tu les mettras en garde quant aux statuts et aux enseignements, tu leur feras savoir la voie où ils iront et l’action qu’ils feront. » (Chémot 18,20)

Yitro, le beau-père de Moché Rabbénou, vit le peuple juif attendre longuement de pouvoir demander à ce dernier de régler leurs différends. Yitro proposa à Moché de créer un système hiérarchique de tribunaux, afin d’alléger la charge de son travail. Il précisa qu’il convenait d’enseigner à ces juges « la voie où ils iront et l’action qu’ils feront ». La Guémara (Baba Metsia 30b) déduit que « la voie où ils iront » fait référence à la stricte loi et « l’action qu’ils feront » correspond aux actes qui sont au-delà de la stricte loi (Lifnim Michourat Hadin, qui signifie que même dans un cas où l’on pourrait trainer quelqu’un en justice et le forcer à rembourser une somme due, on est prêt à un compromis, à aller au-delà de la stricte loi). Yitro enseignait aux futurs juges la nécessité de transmettre tantôt la stricte loi et tantôt la possibilité d’aller au-delà.

Comment ce conseil se manifeste-t-il dans les actions des juges ?[1]  La Guémara[2] affirme que lors d’un différend, le Beth Din doit essayer d’encourager les colitigants à trouver un compromis. Cette approche est doublement bénéfique – tout d’abord, elle enseigne au peuple les bienfaits des concessions et incite à envisager un compromis. Ceci allège la charge du Beth Din, puisque les gens essaieront probablement de se débrouiller entre eux s’ils savent que le Beth Din aura recours à ce moyen. Deuxièmement, cela aide à maintenir la paix, vu que les différends monétaires mènent à la Ma’hloket (discorde) et que plus celle-ci traine, plus il sera difficile de rétablir de bons rapports. Cette Halakha s’applique même si le juge est certain que l’une des parties a raison et mérite de gagner le procès.[3]

Le Sma pose une question sur cette loi. Normalement, il est interdit de donner à quelqu’un un mauvais conseil, autant dans le domaine spirituel que dans le domaine matériel. C’est, entre autres, ce qu’interdit la Torah quand elle affirme « Lifné 'Iver Lo Titèn MikhcholTu ne placeras pas d’embuche devant un aveugle ». Ainsi, si quelqu’un a toutes les preuves qu’il mérite son argent, pourquoi ne serait-ce pas interdit, de la part des juges, de lui proposer un compromis, ce qui l’empêcherait de recevoir ce qui lui est dû ?

Le Sma explique que le compromis n’est jamais un mauvais conseil. Même si, d’un point de vue financier, l’un est gagnant, le « prix » de la victoire sera probablement un ressentiment de la part du perdant et, sur le long terme, la relation entre les deux parties ne sera plus jamais la même et risque même de devenir hostile. Ainsi, l’avantage, sur le long terme, d’une solution « entre amis » et non d’un différend entre ennemis surpassera de loin toute perte financière. L’accommodement est donc un très bon conseil. Rav Issakhar Frand exprime ainsi cette idée : « Certes, tu le condamneras, tu pourras le dépouiller de ses biens. Mais ensuite, essaie de t’assoir à sa table à un mariage. Essaie de rester dans la même pièce que lui. Ce ne sera plus jamais la même chose. Quand deux personnes vont au tribunal, le vainqueur gagne, mais il perd également. C’est la nature humaine, les gens n’oublient pas. »

Ce fut le conseil qu’Yitro donna à Moché. Allège le poids à travers le compromis et, plus important encore, préserve la paix au sein du peuple.

Inutile de préciser que ce conseil n’est pas réservé aux tribunaux. On doit souvent choisir entre le compromis, qui fait, certes, perdre quelque chose de mineur, mais qui permet de préserver la paix, ou bien la lutte et le risque d’un ressentiment. Si l’on opte pour le conseil d’Yitro, on réalisera que la « perte », sur le court terme s’avère finalement bénéfique sur le long terme. On accomplit en outre la Mitsva de « Vé'assita Hayachar Véhatov ».[4]

Lors d’un discours donné par un Rav de communauté, ce dernier raconta que l’un des fidèles, craignant D.ieu, vint discuter d’un différend avec son voisin. Ensuite, il demanda au Rav s’il avait le droit de faire une démarche techniquement permise par la Loi. Le Rav répondit, avec humour, qu’il lui était également « permis » d’aller au-delà de la stricte loi ! Ce faisant, en plus de la Mitsva accomplie, cet homme s’assurait un bénéfice bien plus grand que l’argent – la paix !

Puissions-nous mériter de suivre le conseil d’Yitro et de maintenir la paix au sein du peuple juif.

 

[1] Réponse entendue par Rav Issakhar Frand au nom du ’Hafets ’Haïm.

[2] Sanhédrin 6b.

[3] Choul’han Aroukh, ’Hochen Michpat, Siman 12, séif 2.

[4] Dévarim 6,18