« Ne te venge ni ne garde rancune aux enfants de ton peuple. »[1]Il est inévitable dans la vie quotidienne de se sentir parfois lésé : comment réagir à de tels incidents ? La Torah nous demande de ne pas nous venger, ni de garder rancune. Le Talmud donne des exemples de ces transgressions : John demande à Brian : « Peux-tu s’il te plaît me prêter ta pelle ? » et Brian, sans aucune raison apparente, répond : « Non. » Le lendemain, Brian lui demande de lui prêter un objet et John répond : « Tout comme tu ne m’as pas prêté ce que je t’ai demandé hier, moi non plus je ne te prête pas ce que tu veux aujourd’hui. »[2]

Garder rancune est légèrement différent : après que Brian a refusé de prêter sa pelle à John, Brian demande à John de lui prêter autre chose le lendemain. Cette fois-ci, Brian répond : « Je vais te le prêter, contrairement à toi qui a refusé de me prêter l’objet que je t’avais demandé hier. » Se venger, c’est passer à l’action suite au refus de notre prochain de nous aider. Garder rancune, en revanche, est simplement le sentiment de rancœur ressenti envers celui qui nous a opposé un refus, mais sans se lancer activement dans la revanche.

Les commentateurs se demandent si l’interdiction de se venger et de garder rancune s’applique dans toutes les circonstances. En s’appuyant sur un cas du Talmud, ils tombent tous d’accord que cette Mitsva s’applique à ce qui a trait aux biens et à l’argent ; il est interdit de se venger d’un refus de donner ou de prêter des objets ou de l’argent. Il est moins clair si cet ordre s’applique également à la sphère des émotions, par exemple, si quelqu’un nous a causé de le peine au niveau affectif en nous embarrassant ou en nous causant du tort d’une autre manière. De nombreux commentateurs argumentent qu’il n’y a pas d’interdit réel de se venger de telles actions.[3] D’autres prétendent qu’il est interdit de se venger ou de garder rancune même dans ces circonstances.

Puisque la plupart des commentateurs adoptent une approche permissive, la loi stipule qu’il est techniquement permis de se venger ou de garder rancune lorsque quelqu’un nous a réellement lésés en nous blessant ou en nous faisant de la peine sous une autre forme que financière. Il est néanmoins très louable d’éviter de se venger ou de garder rancune dans tous les cas.[4]

Quelle est l’explication justifiant l’ interdit de se venger ou de garder rancune lorsque quelqu’un nous cause du tort dans un domaine autre que l’argent ou les biens ? Lorsque quelqu’un nous énerve en nous embarrassant ou nous fait de la peine d’une autre manière, on peut trouver un élément de justification de vouloir redresser un tort évident que nous avons subi. Mais lorsque quelqu’un choisit de ne pas nous donner ou prêter un objet, nous n’avons aucunement le droit d’être en colère contre cette personne - nous pourrions être tentés de penser qu’il aurait dû nous prêter cet objet et qu’il a eu tort de s’en abstenir. La Torah nous enseigne qu’il s’agit d’une attitude erronée - nous n’avons pas un droit conféré par D.ieu d’utiliser les biens d’autrui et nous devons accepter lorsque notre interlocuteur ne désire pas accomplir un acte de bonté avec nous, il s’agit de sa prérogative.

La question se pose lorsqu’un individu nous fait de la peine, il nous est interdit de nous venger activement et même de ressentir une animosité dans notre cœur. On pourrait s’interroger : « Qu’y a-t-il de mal à se venger de quelqu’un qui nous a causé du tort - ne mérite-t-il pas d’être sanctionné pour ses actions ?! » L’auteur du Séfer Ha’hinoukh[5] répond à cette question en nous enseignant un principe fondamental du judaïsme : tout ce qui nous arrive est le résultat de l’intervention de la Providence divine. D.ieu ne s’est pas contenté de créer le monde puis l’a laissé se débrouiller par ses propres moyens. D.ieu exerce constamment Sa supervision sur le monde, dirigeant les événements et rien ne se déroule sans Son intervention. La coïncidence n’existe pas. En conséquence, si quelqu’un nous inflige une souffrance, c’était pour une certaine raison et il est futile, même interdit, de ressentir de la rancœur envers le coupable.

Mais une question s’impose : ceci semble contredire un autre concept majeur du judaïsme : le libre-arbitre. Nous avons la faculté de choisir entre le bien et le mal, et de ce fait, nous sommes responsables de nos actions. Comment le Séfer Ha’hinoukh peut-il prétendre que lorsqu’un individu nous cause des souffrances, tout vient de D.ieu ? D.ieu n’a pas forcé cette personne à nous faire du mal, elle avait la faculté de choisir d’agir comme elle l’entendait ! En effet, il avait le libre-arbitre de faire un mauvais choix, mais si Hachem n’avait pas voulu que cela nous arrive, Il l’aurait facilement évité. Le fait qu’Il ait permis cet incident est le signe qu’Il voulait qu’il en soit ainsi. Certes, l’agresseur devra assumer la responsabilité de ses actions, mais ce n’est pas notre problème - ce qui est important pour nous est le fait que D.ieu a permis à cet incident d’advenir - Il nous parle à travers Sa Providence.

L’idée que Hachem nous place parfois de manière délibérée dans une situation inconfortable révèle un nouveau problème. D.ieu est pure bonté, pourquoi voudrait-Il que de telles choses nous arrivent ? Nous sommes dans ce monde pour progresser - améliorer nos traits de caractère, développer des relations saines avec D.ieu et Ses créatures, et réaliser notre potentiel. Nous tâtonnons parfois dans ces tâches. En réaction, D.ieu juge opportun de nous envoyer un coup de semonce : un message destiné à nous conduire à une introspection et à évaluer si nous pouvons améliorer notre conduite d’une certaine manière.

Si nous abordons la vie avec l’attitude que tout ce qui nous arrive est justifié, nous pourrons accepter les tribulations de la vie avec bien plus de sérénité et les traiter comme des occasions de devenir meilleur.

 

[1] Paracha Kédochim, 19:18.

[2] Yoma, 23a.

[3] Bien entendu, même selon ces opinions, il y a des limites significatives sur la forme de la revanche.

[4] Cette décision repose sur l’opinion de Rabbi Its’hak Berkovits Chlita.

[5] Séfer Ha’Hinoukh, Mitsva 241. Il a vécu il y a environ 800 ans et est l’auteur d’un ouvrage qui commente toutes les Mitsvot de la Torah.