J’ai appris à tenir.
À serrer les dents.
À rester debout.
Même quand tout vacille à l’intérieur.
On m’a dit :
« Tu es forte. »
Alors j’ai joué le rôle.
Pas de larmes.
Pas de failles.
Sur le ring de la vie,
toujours debout.
Puis elle est arrivée.
Ma fille.
Trisomie vingt-et-un.
Et soudain,
le décor a tremblé.
La fragilité,
je croyais que c’était une erreur.
Un bug.
Quelque chose à réparer vite,
pour que la vie rentre à nouveau dans les cases.
Parce qu’ici,
on aime ce qui avance droit.
Ce qui va vite.
Ce qui tient tout seul.
La fragilité dérange.
Elle rappelle qu’on ne contrôle pas tout.
Qu’un corps peut flancher.
Qu’un mental peut craquer.
Qu’un avenir peut prendre un autre chemin,
sans demander la permission.
À un an et demi,
ma fille n’est pas debout.
Pas à quatre pattes non plus.
Elle avance autrement.
À son rythme.
Loin des normes.
Loin des chronos.
Et ce rythme-là,
il m’a arrêtée net.
J’ai dû lâcher la course.
Les comparaisons.
Les « elle devrait déjà ».
Les « il faudrait que ».
Et là,
face à elle,
j’ai compris.
Ce n’était pas elle, la fragile.
C’était moi qui refusais de l’être.
Je me vois en miroir dans ses yeux.
Dans son besoin d’amour,
je reconnais le mien.
Parce que oui.
Moi aussi, parfois,
j’ai besoin d’un câlin.
Comme un bébé d’un an.
Pas pour être forte.
Pas pour être exemplaire.
Juste pour être tenue.
Rassurée.
Aimée.
La fragilité de ma fille
n’empêche pas l’amour.
Elle l’appelle.
Elle le rend nécessaire.
Elle crée un espace
où on ne peut plus tricher.
Où on aime sans performance.
Sans projet à rentabiliser.
Sans avenir à prouver.
Elle ne m’aime pas pour ce que je fais.
Elle m’aime pour ce que je suis.
Et moi,
je ne l’aime pas pour ce qu’elle deviendra,
mais pour ce qu’elle est.
Maintenant.
À travers elle,
j’ai compris que la fragilité
n’est pas l’exception.
C’est la règle.
On est tous vulnérables.
Tous dépendants.
Tous, un jour,
dans le besoin d’être portés.
Ma fille m’apprend un autre langage.
Celui de la lenteur.
De la présence.
De la confiance.
Alors je pose la question.
Doucement.
Sans réponse toute faite.
Et si la fragilité
n’était pas un manque…
mais l’endroit exact
où l’amour commence ?
La Maman de Sheyna




