Tirez un trait entre Ahmed el-Ahmed et Anthony Albanese.
Puis cherchez la différence.
Deux non-Juifs.
Deux hommes du premier quart du XXIᵉ siècle.
Deux réactions opposées, qui incarnent avec une précision troublante la manière dont les nations se positionnent, encore aujourd’hui, face au « problème juif ».
D’un côté, Ahmed el-Ahmed.
L’homme qui, lors de l’attentat de Bondi Beach, a désarmé le terroriste.
De l’autre, Anthony Albanese, Premier ministre de l’Australie, qui persiste à refuser de reconnaître la négligence de son gouvernement dans la protection de ses citoyens.
Les deux hommes incarnent, comme dans une expérience de laboratoire, deux attitudes fondamentales possibles face à l’Autre, au différent, à celui qui n’est pas de mon groupe.
Et l' « autre » par excellence a toujours été le Juif.
Quand Ahmed el-Ahmed comprend ce qui se passe, il ne se dit pas :
« Mince… on tire sur des Juifs. Je laisse faire. »
Il se dit :
« Mince. On tire sur des êtres humains. Des hommes comme moi. Des femmes. Des enfants. Des innocents. J’interviens. »

Il ne réfléchit pas en termes d’identités, de communautés, de conflits géopolitiques.
Il voit des hommes, pas des catégories.
Mais quand la communauté juive a supplié Anthony Albanese de renforcer la sécurité, suite à des menaces clairement identifiées, il a préféré temporiser.
L’histoire juive en diaspora est ballottée entre ceux qui reconnaissent l’urgence d’une situation et ceux qui estiment qu’il est toujours possible d’attendre, que rien ne presse, et qu’un communiqué formel et officiel sur « des mesures d’urgence prises » les rendra quitte.
Primo Levi, dans son chef-d’œuvre Si c’est un homme, relatant son incarcération dans l’univers concentrationnaire d’Auschwitz, décrit sur une page entière le regard du gradé SS qui le reçoit dans son bureau — chauffé ! — pour l’interroger sur ses compétences de chimiste.

Le SS pose sur le Häftling Levi un regard distant, technique, administratif, dans lequel ne se manifeste ni haine visible ni empathie.
Levi, soupesé, évalué comme un outil qui pourrait être éventuellement utile au Troisième Reich, comprend qu’il n’est pas perçu comme un homme, mais comme un objet potentiellement exploitable.
L’officier interroge Levi sur ses compétences de chimiste, et l’entretien est glaçant précisément parce qu’il est normal, bureaucratique, presque banal, alors qu'il se déroule dans les entrailles de l’enfer.
Levi explique comment le mal nazi et l’antisémitisme ne se présentent pas toujours sous la forme de la brutalité immédiate, mais plutôt sous celle d’une gestion rationnelle des hommes, réduits à des compétences, des chiffres, des affectations.
Si nous osons un conseil à Monsieur l’actuel Premier ministre Anthony Albanese (et confrères européens), la lecture de ce livre lui ferait grand bien.
Comment peut-on prétendre diriger un pays — un continent entier, l’Australie ! — sans avoir compris que chaque homme est digne d’une écoute, et que le rôle de tout chef d'État qui se respecte, est pour le moins, de donner une réponse concrète aux attentes sécuritaires de tous ses citoyens ?
Et ce qui se passe lorsque l’humanité l’oublie…





