Le quartier de Boro Park est plongé dans un silence glacial. Dans ses rues désertes, de rares passants pressent le pas comme pour fuir les grandes affiches qui placardent les murs.

Soudain, comme sur un signe, les rues se remplissent d’une multitude de personnes. Des hommes affluent de tous côtés, mais le silence total, entrecoupé de sanglots, continue de régner. La foule avance doucement…

C’est l’un des plus grands enterrements qu’a connu la ville de New-York. Ceux qui ont connu le défunt lorsqu’il courait d’un endroit à l’autre pour aider, réconforter et soulager ses semblables, refusent de croire que cet homme de ‘hessed n’est plus parmi eux. Il a été fauché à la fleur de l’âge, en pleine activité. Du joyeux voyage qu’il voulait entreprendre, il ne reste plus qu’une voiture défoncée, de vitres brisées et le terrible vide laissé par la disparition d’un grand homme.

Des milliers de personnes sont venues prendre part aux funérailles et, par reconnaissance, rendre un dernier hommage à celui qui a été le soutien de tant d’éprouvés. Les oraisons funèbres se déroulent les unes après les autres, soulignant le dévouement exceptionnel du défunt.

 

Le cortège traverse les rues du quartier et, à chaque coin, des juifs de tous les milieux se joignent à lui. Tout le monde connaissait le défunt et l’appréciait. Devant chaque synagogue, un Kadish est récité avec une ferveur rarement égalée. Dans un cri du cœur, des milliers de personnes répondent « Amen, Yéhé chémé rabba… ! »-« Que le Nom d’Hachem soit loué et sanctifié... ! » apportant ainsi un grand mérite au défunt qu’ils aimaient tant…

Le cercueil est porté de main en main, avec beaucoup d’honneur, jusqu’au cimetière. L’enterrement dure longtemps, plusieurs heures ont déjà passé.

 

Au même moment ont été fixées les funérailles d’un autre juif qui avait trouvé la mort dans ce même accident de voiture. Cet homme n’était pas du tout pratiquant.

Peu à peu, un petit groupe d’amis et de proches se forme, attendant l’arrivée de la ‘hévra kadisha (Organisme qui prend en charge les enterrements juifs). Si le défunt n’a pas vécu comme un juif, qu’il soit au moins enterré comme tel !

Les membres de la ‘hévra kadisha entrent prendre le corps, et soudain c’est la stupéfaction ! Peut-être à cause de la précipitation ou parce que l’on a procédé à la tahara (la toilette mortuaire) presqu’en même temps, les deux corps ont été échangés ! Il s’avère que l’enterrement de l’homme de ‘hessed est en réalité l’enterrement de l’autre défunt (l’homme non-pratiquant).

Le chef de la ‘hévra kadisha ordonne que l’on prenne immédiatement le cercueil et que l’on essaye de réparer l’erreur au plus vite, avant qu’il ne soit trop tard. Le corbillard s’élance sur la route à toute vitesse. Il faut à tout prix arriver avant que le corps soit mis en terre.

Là-bas, au cimetière, on s’apprête à descendre le cercueil dans la tombe. Soudain, un violent coup de frein se fait entendre. Les hommes sortent en trombe de la voiture et s’écrient : « Un instant ! Attendez ! Il y a une erreur… les cercueils ont été confondus ! »

L’échange se fait rapidement et devant le "vrai" cercueil, on prononce à nouveau des oraisons funèbres, on récite un kadish, puis on ferme la tombe.

 

L’histoire ne s’arrête pas là. Elle se propage rapidement et pendant la semaine du deuil, elle fait l’objet de toutes les conversations. Peu à peu, les informations commencent à fuser, reconstituant les pièces d’un puzzle qui dévoile les voies de la Providence.

A la libération, le juif non-pratiquant (qui a mérité d’un si grand enterrement) s’était soucié, au prix de grands efforts, de donner une sépulture juive aux victimes qui succombaient autour de lui suite à la guerre. Il s’était aussi occupé de réunir, chaque fois, un minyane qui répondra au kadish récité pour l’élévation de l’âme des défunts.

Dans les conditions précaires et même dangereuses d’alors, il était très difficile de trouver un minyane, mais cet homme ne s’était pas découragé. Il avait pris à cœur d’accomplir cette mitsva pour donner du mérite aux disparus.

Quand est venu le moment de cet homme de quitter le monde, Hachem l’a récompensé. Grâce à la sépulture juive qu’il avait donné à des dizaines de personnes, il a mérité des funérailles grandioses. Des dizaines dekadishim ont été récités, des milliers de personnes ont sanctifié le Nom d’Hachem devant sa dépouille en répondant "Amen yéhé chémé rabba mévarakh… !". Sans aucun doute, ces "cris" ont grandement contribués pour l’élévation de son âme.