Quel est le lien entre un prince africain, un Juif orthodoxe de Bné Brak et Heinrich Heine ? Que trouve-t-on chez les convertis qui est absent chez nous ? Et pourquoi n’a-t-on pas besoin de preuves pour attester de la vérité de la Torah ?

A l’issue d'une conférence, je sortis dans le jardin de l’hôtel pour prendre un peu l’air. Un merveilleux paysage italien s’offrait à mon regard dans toute sa splendeur et se reflétait dans les eaux du lac en face de moi. Il était assis sur ma gauche dans un fauteuil ancien en face d’une fontaine en marbre, protégé par l’ombre d’un figuier ancien, on aurait dit qu’il voulait fuir la chaleur gênante. Ses yeux étaient à demi-fermés et sur ses genoux reposait l’ouvrage « Le guide des égarés » du Rambam. Je m’assis dans le fauteuil à côté de lui et je l’observai.

C’est un homme jeune de mon âge, très intelligent et brillant, il maîtrise plus de douze langues et est très timide. Nous sommes arrivés ensemble en Italie pour participer à un séminaire de l'association Arakhim et donner des conférences à des Juifs locaux sur les valeurs du judaïsme ; nos points communs s’arrêtent là. Je suis pour ma part orthodoxe de naissance, contrairement à lui. Je suis Israélien de naissance, et lui, non. Je suis Juif de naissance et… lui, non.

Il est né en Swaziland, en Afrique, c’est le fils d’une famille royale, son père et sa mère régnaient sur une immense tribu d’Afrique, dont, pardonnez- le moi, je suis incapable de prononcer le nom en bonne et due forme. Son initiation à la langue hébraïque l’a conduit à des études sur le judaïsme, et à partir de là, le chemin a été rapide vers la conversion ; intelligent, ai-je dit ?

Il ne se contenta pas de la conversion, il se mit à apprendre la Torah jusqu’à ce qu’il diffuse les enseignements de Torah aux autres. Puis la Providence l’a conduit jusqu’au bord de la piscine de l’hôtel situé dans cette jolie ville italienne où nous sommes assis l’un à côté de l’autre, tellement différents l’un de l’autre, et malgré tout semblables.

Je m’assis et me concentrai sur son apparence : fatigué, noir de peau, des cheveux frisés et courts, de taille moyenne et de stature quelque peu fragile, je le regardai avec admiration. Tu es millionnaire ! pensais-je. Regarde, regarde Aharon, regarde ce que fait un homme pour arriver à quelque chose que tu trouves tellement naturel, qui va de soi. Il a abandonné la puissance, le pouvoir, l’argent, le royaume, que n’a-t-il pas laissé derrière ? Uniquement pour compter parmi les tiens, pour être membre du peuple juif. Que lui a-t-on demandé pour arriver à cela ? Aller à l’école ? À la Yéchiva ? Aller étudier ? A quoi as-tu renoncé pour être un Juif qui respecte la Torah et les Mitsvot ? A quoi ? A rien !!! Toi aussi, tu aurais été prêt à renoncer à tant de choses ??? Hum…. J’avais honte de la réponse.

Je me raclais la gorge et il se réveilla de sa torpeur. « Ah, Aharon, je n’ai pas fait attention que tu étais là, pardon, je n’ai pas vu que tu étais assis à côté de moi, as-tu déjà fini la conférence ? On t’a compris ? »

« J’espère que oui », répondis-je.

  • Je peux te demander quelque chose ?

  • Oui, avec joie, me répondit-il le visage bienveillant tout en se redressant.

  • Une question personnelle, c’est bon ?

L’éclat de son visage resta identique et il me répondit en souriant : « C’est bon, Aharon, aucun problème, ce que tu veux, mets-toi à l’aise, j’ai l’habitude. »

  • Lorsque tu as fait un petit somme, je t’ai observé, j’ai essayé de comprendre ce qui pousse un homme tel que toi à quitter la maison de ses parents avec tout ce que cela implique et à te joindre au peuple juif. Tu seras d’accord avec moi que ce n’est pas très naturel… tu comprends ? La mentalité, les sentiments, la culture, tu vois ? ça n’a rien de simple. Avec tout le respect, mon cher ami, pour les études d’hébreu à l’université d’Afrique du Sud et le fait de franchir un tel pas, il y a un fossé. Tu seras d’accord avec moi que toute personne qui apprend l’hébreu ne devient pas juive, et encore moins, ‘harédite, tu saisis ? »

  • Je comprends, bien sûr, me répondit-il avec timidité. Qui mieux que moi peut le comprendre ?

  • Alors pourquoi, lui demandai-je, qu’est-ce qui t’a poussé à traverser l’océan ?

  • La vérité !!! Aharon, la vérité !!!

Je gardai le silence.

Nos Sages avaient tellement raison en affirmant : « Les convertis sont pénibles pour le corps d’un Juif comme une plaie ». C’était pour moi un genre de claque au visage. Le ton sur lequel il prononça le mot « Emet, vérité », était empreint d’un brin de remontrance, comme s’il sous-entendait : « Je ne m’attendais pas à une telle question de ta part. Toi qui fais le tour du monde et donne des conférences aux Juifs sur leur judaïsme, tu me demandes pourquoi ? »

Je me remis quelque peu et tentai une nouvelle fois : « Non, je visais autre chose, hum… je vais essayer de m’expliquer. »

  • C’est bon, me répondit-il en souriant, commençons depuis le début.

  • Il est tout à fait clair, repris-je, que la vérité vaut tout ces efforts, mais…comment t’expliquer…bon, ne te vexe pas maintenant…, mais disons, si tu étais bulgare, scandinave ou même grec, je n’aurais pas posé cette question, mais tu es africain, tu comprends ?

  • Quel est le rapport ?

  • Tu vas comprendre le rapport, répondis-je. Si tu étais grec, après ta conversion tu serais monté en Israël, et te serais mêlé à la population juive, tu aurais envoyé tes enfants à l’école juive, même orthodoxe, en une ou deux générations, tu serais devenu membre du judaïsme à part entière, personne n’aurait su d’où tu venais. Mais toi… comment dire…. Tu es africain… tu comprends ? Ce n’est pas que je suis raciste, que D.ieu préserve…tu comprends, vivre parmi les ‘Harédim, ce n’est pas évident, même si tu avais été scandinave, mais tu n’es pas comme ça, tu es…noir, tu sais… cela ne part pas avec la conversion. Tu es un homme intelligent, tu savais certainement avant la conversion que jamais tu ne te fondrais dans la communauté à laquelle tu aspires. Tu savais que l’on te montrerait du doigt dans la rue, tu savais qu’on dirait que tu es différent, tu savais que dans ton dos, on murmurerait : c’est une bonne âme, un Guer Tsédek, un converti. Tu es un homme intelligent, tu savais tout cela, et malgré tout, tu as fait le pas ? C’est un grand sacrifice, tu l’admettras, n’est-ce pas ?

Il se tut et observa l’eau de la piscine. « J’espère que tu n’as pas été blessé, dis-je pour le consoler, peut-être n’aurais-je pas dû m’exprimer ainsi. »

De son côté, il continuait à se taire.

  • Tu sais quoi, Aharon ? Je n’ai jamais évoqué cette question avec personne, il est intéressant de savoir comment tu as touché ce point sensible. Tu as certainement raison, j’ai longuement médité sur cette question. J’ai gardé le silence, car j’ai été surpris de ta question directe, j’ai eu l’impression que mes pensées étaient exposées aux yeux de tous. J’ai beaucoup hésité sur ce point, mais comme tu le constates, malgré tout, je suis venu et je suis ici pour toujours. Tu me demandes pourquoi ? Car la vérité vaut même cela !!! Oui, oui… elle vaut tout, même ça. Elle vaut la honte, la marginalisation, la mise à l’écart, les conversations à voix basse, l’étrangeté forcée, oui Aharon… la vérité vaut tout.

Ainsi, assis tous deux l’un à côté de l’autre sur la terre de l’ancien empire romain pervers, nous nous plongeâmes dans les propos du Rambam. Deux Juifs, un Israélien et un Africain, l’un né fils de roi, et moi, né comme fils de Roi. L’un a acquis son rang par lui-même et moi non, l’un a payé pour l’obtenir et moi, non.

  • Tu sais, lui dis-je sur un ton méditatif. Je viens de finir une conférence sur les preuves de l’authenticité de la Torah. Au lieu de parler pendant trois heures de suite, j’aurais dû t’asseoir à côté de moi et me taire. Les auditeurs auraient dû se contenter de t’observer, rien de plus, s’ils l’avaient fait, ils auraient su clairement que la Torah est vraie, même si tu t’étais tu. 

Il sourit. « C’est vrai, Aharon, mais pour payer le prix de la vérité, le cœur ne suffit pas, il faut aussi l’esprit. »

Le judaïsme demande du courage

La Méguila de Ruth nous dévoile les difficultés et les luttes auxquelles a fait face Ruth la Moabite, la « mère de la royauté » dans son cheminement vers le peuple juif. Elle quitte la maison du Roi de Moav, abandonnant une vie de splendeur et de puissance, renonçant à une vie de luxe et de richesse pour la remplacer par une vie de pauvreté et d’errance. Plutôt que de s’attacher à ses parents, elle accompagne Naomi, la mère de son défunt mari, qui rentre à Beth Lé’hem depuis les champs de Moav, démunie de tout. Elle sait que sa conversion est sujette au doute et que les Sages d’Israël sont partagés sur la question de sa possible conversion, et pourtant, elle ne renonce pas. Sa belle-mère qui voit juste, est au fait de cette réalité complexe, elle tente de la convaincre de renoncer à son rêve étrange, mais elle prétend au contraire : « Partout où tu iras, j’irai, où tu demeureras, je veux demeurer, ton peuple sera le mien et ton D.ieu, Le mien. Là où tu mourras, je veux mourir aussi et y être enterrée. Que D.ieu m’en fasse autant et plus, si jamais je me sépare de toi autrement que par la mort. »

Pourquoi cette princesse de Moav a-t-elle voulu échanger les plaisirs de la maison de son père pour les champs de Béth Lé’hem ? En effet - ainsi s’est exprimé mon ami : « la vérité », les amis…. « la vérité !!! »

Il est vrai, vous avez totalement raison, certains ont fait le parcours inverse, au fil des générations, certains Juifs se sont convertis à d’autres religions, sont devenus chrétiens ou musulmans, c’est vrai, mais voulez-vous vérifier pourquoi ? Si vous recherchez la raison à ce phénomène, vous découvrirez que leurs actes étaient motivés par tout autre chose, ni la splendeur, ni la spiritualité, mais des raisons humains et basses. La vérité n’est pas ce qui a guidé leurs pas, mais le confort. Ils en avaient assez de la vie de stress, de l’éloignement culturel, ils en ont eu assez de la vérité et ont fui vers le confort. Vous savez certainement, mes chers amis, qu’être Juif, ce n’est pas toujours facile.

En revanche, ceux qui sont venus vers nous ne l’ont pas fait pour des raisons de confort, mais dans une démarche de recherche constante et éprouvante après la vérité, car s’ils recherchaient le confort, ils ne se seraient pas attachés à nous. Preuve de cette affirmation : on la trouve dans la formulation de la question présentée par les Dayanim (juges rabbiniques) aux candidats à la conversion : « Qu’avez-vous vu qui vous a poussé à vous convertir ? Ne savez-vous pas que les Juifs, en cette période, sont tristes, acculés, poursuivis, et qu’ils traversent des épreuves douloureuses ? » Dites-moi, les amis, quel confort y a-t-il dans une nation triste et angoissée, qui traverse des épreuves ?

Ceux qui ont quitté le giron du judaïsme ne l’ont pas fait par amour de la vérité, qui ne se trouve ni dans le christianisme, ni dans l’islam. Ils ont franchi le pas pour des raisons de confort. Remarquez la petite différence !

Leur recherche pure de la vérité est ce qui nous pousse à respecter, honorer et admirer ces convertis venus s’attacher au peuple juif. Ils sont admirables pour le courage dont ils ont fait preuve et en ce qu’ils nous rappellent ceci : nous sommes chanceux, nous sommes des fils de Roi, et celui qui est l’objet d’un miracle ne reconnaît pas son miracle.

Nous n’avons pas besoin de cet ami pour reconnaître les miracles, car nous avons autour de nous des « convertis » d’un autre genre, dont nous ne savons pas toujours admirer le courage et la révolution immense qu’ils ont accomplie : ce sont les Ba’alé Téchouva.

Les Ba’alé Téchouva sont pour moi des héros tout autant que les convertis, et parfois même plus. Ils accomplissent dans leur vie une immense révolution, presque impossible. Ils abandonnent leurs amis et connaissances, et parfois même une carrière professionnelle et brillante, nous sommes-nous interrogés sur la raison qui les poussent à faire ce pas ? Ils veulent compter parmi ceux qui reçoivent la Torah concrètement et non seulement par la force. Même le prix qu’ils sont obligés de payer pour leur décision n’est pas faible, et, parfois, il est même plus fort que celui payé par les convertis. La société orthodoxe est méfiante par nature, et les « douleurs de l’enfantement » vécues par les Ba’alé Téchouva lorsqu’ils entrent au contact avec cette société ne sont pas aisées. Malgré tout, ils sont prêts à payer le prix de la vérité et ils reviennent. Les Ba’alé Téchouva sont héroïques, car la aura de la conversion ne brille pas sur leur front comme une couronne, ils ne franchissent pas l’océan, ils « se contentent » de revenir à leurs sources.

Est-ce que nous les accueillons ? Admirons-nous leur sacrifice ? La Mitsva d’« aimer le converti » s’applique-t-elle également à eux ?

Lorsque nous lisons la Méguila de Ruth à Chavou’ot, nous nous souviendrons des convertis qui se sont joints à notre peuple ayant eu le désir pur d’accéder à la vérité. Et, si vous me le permettez, mes amis, si ce n’est pas difficile pour vous, bien sûr, nous aurons également une pensée pour les milliers de Ba’alé Téchouva qui se dévouent pour l’authenticité de la Torah donnée ce jour-là.

Si la tâche est trop ardue, pensons à ce qui se serait passé si nous étions à leur place. Serions-nous revenus ?...

‘Hag Saméa’h !

Rav Aharon Lévy