S’il y a une fête qui ne rappelle aucun miracle surnaturel, aucun élément extraordinaire, mais plutôt une séquence d’événements naturels, c’est bien Pourim ; cette fête peut apparaître comme une suite totalement matérielle de circonstances historiques, et c’est pourtant la solennité juive qui traduit le mieux l’histoire du peuple juif. L’antisémitisme qui se profile encore aujourd’hui à l’horizon est à l’origine de cette fête, qui nous prouve que l’Histoire est un masque qui cache la réalité, c’est-à-dire la présence d’une Providence particulière, qui protège, au-delà des obstacles inhérents à l’Histoire, un petit peuple, peu nombreux, sans présence permanente sur son sol, mais qui défie les siècles, et ne cesse d’être attaché à sa Loi.

Tel est le sens de l’histoire d’Esther : la rencontre difficile entre le peuple juif et l’Histoire. Deux grands dramaturges européens se sont reliés à ce thème : Shakespeare, dans « Le Marchand de Venise » en stigmatisant de façon négative un Shylock ; Racine, de façon plus positive, en présentant l’histoire de la Méguila, dans sa pièce « Esther ». Dans l’Histoire de l’Europe, Napoléon a tenté de « régulariser » l’histoire juive, en convoquant un Sanhédrin, et en créant le Consistoire. L’assimilation qui fut la conséquence de son action, au 19ème siècle, a abouti à la fin du siècle à l’Affaire Dreyfus. Le baron Nucingen, riche banquier juif, dans Balzac, est un des avatars de cette triste mythologie. L’évocation des Juifs et des Juives dans « Jean-Christophe » de Romain Rolland n’est guère plus encourageante. Quant aux historiens, ils ont du mal à intégrer l’aventure du peuple juif dans leur perspective historique : aussi, Arnold Toynbee, l’un des grands historiens anglais au 20ème siècle, était antisémite, car il devait reconnaître l’impossibilité de comprendre rationnellement l’histoire d’Israël. Ce virus antisémite – brun pour les nazis, rouge pour les communistes, vert aujourd’hui pour les Jihadistes et… les écologistes, ce virus est résumé dans la déclaration d’Aman à Ahachvéroch : « Il est une nation répandue, disséminée parmi les autres nations dans toutes les provinces de ton royaume ; ces gens ont des lois qui diffèrent de celles de toute autre nation ; quant aux lois du roi, ils ne les observent point. Il n’est donc pas de l’intérêt du roi de les garder. Si tel est le bon plaisir du roi, qu’il rende un ordre écrit de les faire périr, et moi je mettrai dix mille kikars d’argent à la disposition des agents royaux pour être versés dans les trésors du roi » (Esther 3, 8-9). Telle est la charte de l’antisémitisme, qui transcende les siècles. L’inverse peut d’ailleurs être proposé : « Soyez gentils avec les Juifs ; ils s’assimileront et disparaîtront ». C’est la proposition faite par une matrone chinoise, dans « Pivoine » de Pearl Buck, afin d’assimiler une famille juive traditionnelle en Chine. Shoah noire ou blanche, c’est le destin historique d’un peuple qui « refuse » de s’assimiler !

Mais la réponse est l’observance de la Loi : Mordekhai refuse « de se prosterner devant Haman ». Le peuple juif avait participé à tort à un festin royal, la reine Vachti refusa d’apparaître devant les courtisans et fut répudiée. Esther, la juive anonyme, devient la femme du roi ; elle rapporte au roi « au nom de Mordekhaï » les complots des officiers qui attentent à sa vie. Haman monte en grade auprès du roi, il obtient un décret contre le peuple juif, Esther invite le roi et Haman à un repas le soir, puis le lendemain à un second repas. Entretemps, la nuit entre les deux repas, le sommeil fuit le roi, qui demande qu’on lui lise les annales relatant les événements passés. Le roi apprend que Mordekhai a révélé le complot, et invite Haman à décider quel honneur doit-on faire à « quelqu’un que le roi veut honorer ». Haman pense que c’est lui que le roi veut honorer, et propose un honneur considérable, et le roi lui dit de rendre cet honneur à… Mordekhaï. Haman ne peut que s’exécuter. Puis après qu’Haman soit arrivé au second repas où l’avait invité Esther, le roi demande à Esther ce qu’elle désire, et alors elle dévoile son appartenance au peuple juif et désigne Haman comme l’instigateur du décret de mort contre les Juifs. Colère du roi contre Haman, qu’il accuse même de vouloir violenter Esther, et il fait révoquer le décret concernant l’assassinat du peuple juif et pendre Haman. 

Tous ces faits n’incluent aucun miracle, et cela peut apparaître comme une séquence due au hasard, si l’on refuse de « voir plus clair », «d’ouvrir les yeux ». Or, c’est précisément ce que l’histoire d’Esther veut nous enseigner à chaque époque, à chaque période de l’histoire. Il importe de LIRE au-delà des événements naturels ! Un voyageur qui devait prendre un avion arrive en retard à l’aéroport, rate l’avion. Et ensuite, l’avion a un accident, tombe sans laisser de survivant. Il est arrivé en retard ! Est-ce un hasard, ou un effet de l’acte de la Providence ?

Le terme « hasard » – « Mikré », מקרה en hébreu – est utilisé pour raconter l’attaque d’Amalek, à la sortie d’Egypte avant la Révélation du Sinaï. « Il t’a attaqué et t’a surpris (« par hasard », traduisant le mot « t’a surpris »), sur le chemin, lors du voyage, au sortir de l’Egypte » (Devarim 25, 17). Or le terme מקרה – Mikré, hasard – on peut le lire en inversant les lettres : רק מה' – Rak (seulement) en provenance d’Hachem, ou encore רקם ה' – Rakam, a tissé cela, l’Eternel. Il importe de se souvenir que c’est l’Eternel, et non le hasard, qui tisse le tissu de l’Histoire. Seul Lui est à l’origine de tous les événements naturels. Ceux qui ne veulent pas Le reconnaître restent aveugles mais ceux qui savent « lire » comprennent le devenir de ce peuple qui ne s’intègre pas dans l’histoire universelle. Tel est le sens, à chaque époque, hier comme aujourd’hui, de la fête de Pourim.