L’un des thèmes récurrents de l’histoire de Pourim est le conflit idéologique qui oppose le peuple juif à 'Amalek. Les Bné Israël croient en la Providence divine Qui gère le monde, rien n’est dû au hasard. À l’inverse, 'Amalek estime que tout est fortuit.

Le rav Yaacov Kamenetsky zatsal développe une idée fascinante concernant ce « clash » idéologique. Il rapporte tout d’abord un passage de Parachat Mikets, dans lequel Ya'acov Avinou refuse d’envoyer Binyamin en Égypte. Il explique sa peur en disant : « [Peut-être] qu’un malheur va lui arriver »[1] Rav Kamenetsky note que le terme employé est keraouhou, du mot mikré (hasard), qui s’écrit avec la lettre « Alef ». Dans Parachat Vayigach, Yéhouda répète les propos de Ya'acov au vice-roi égyptien.[2] « Si vous me prenez aussi celui-ci [Binyamin], une catastrophe surviendra. »[3] Cette fois, le Alef est absent du mot « karahou ». Pourquoi un tel changement ?

Rav Kamenetsky explique que le mot « mikré » s’épelle généralement sans Alef, et il signifie alors « pure coïncidence ». En revanche, quand le Alef est ajouté, on obtient le mot « kara ». Cela implique qu’un événement survient et est orchestré par le Ciel, qu’il n’est pas dû au hasard.

Grâce à ce commentaire, nous pouvons comprendre la différence d’épellation du mot « mikré ». Quand Ya'acov parle à Yéhouda, il dit craindre que si Binyamin descend en Égypte, Hachem décrète qu’une catastrophe ne lui arrive. Ya'acov était tout à fait conscient que rien n’arriverait par chance. Quand Yéhouda répète les propos de son père, il s’adresse à Yossef, qu’il imagine être un non-juif qui ne croit pas en la Providence divine. C'est pourquoi il ne pouvait pas exprimer cette certitude de Ya'acov quant à la Providence divine, parce qu’il savait qu’un non-juif n’adhérerait pas à un tel concept. Donc il employa le mot « karahou » sans Alef, pour faire référence au hasard.[4]

Le Dayan ‘Hanokh Erentrau chlita fit remarquer au rav Kamenetsky qu’un Passouk de la Méguilat Esther semble contredire l’explication donnée sur le mot « mikré » sans Alef, en référence à la coïncidence. Quand Mordékhaï eut vent du décret royal d’anéantir le peuple juif, il s’endeuilla. Esther envoya un messager pour savoir ce qui était arrivé. « Mordékhaï lui rapporta tout ce qui s’était passé. »[5] Le mot « karahou » est alors écrit sans Alef, ce qui laisse sous-entendre une croyance au hasard. Selon le développement ci-dessus du rav Kamanetsky, ceci supposerait que Mordékhaï décrivait les événements comme le résultat d’une pure coïncidence et non comme le fruit de la Providence divine !

Le rav Kamenetsky lui répondit que le Midrach soulève ce problème. Il évoque l’utilisation du mot « mikré » et explique que Mordékhaï faisait allusion au fait que l’anéantissement du peuple juif était prescrit par le peuple qui incarnait la croyance au hasard. Il s’agit d’'Amalek, à propos de qui la Torah écrit « qui te rencontra par hasard (karkha) en chemin. » Ainsi, Mordékhaï n’attribuait pas cette proclamation au hasard, mais il insinuait plutôt à Esther que le décret avait été édicté par un membre du peuple d’'Amalek (Hamann), qui croit au « mikré » (hasard).[6]

Une analyse plus approfondie indique que Mordékhaï disait à Esther pourquoi 'Amalek fut en mesure de menacer la vie des Juifs, à l’époque de la Méguila, mais aussi lors de leur traversée du désert. Les Bné Israël émirent des doutes quant à la Présence d’Hachem à leurs côtés, quand ils demandèrent : « Hachem est-Il parmi nous ou non ?! »[7] Quand le peuple juif attribue un phénomène au hasard, Hachem le laisse, mesure pour mesure, être sujet aux lois du hasard et cesse de le protéger. Donc, l’interrogation du peuple concernant la Providence divine permit à 'Amalek, le pire des mécréants, d’attaquer.

Aussi, au début de l’histoire de Pourim, le peuple juif était bien moins conscient de la Présence d’Hachem, à cause de la destruction du Temple et de l’exil. Le déclin de la foi en la Providence divine donna à Haman la force de menacer leurs vies. Ce n’est qu’après avoir reconnu qu’Hachem dirige tout, les événements heureux autant que les plus tristes ou fâcheux, qu’ils méritèrent d’être sauvés.

Puissions-nous mériter de voir la Main d’Hachem dans tout ce qui se déroule autour de nous.


[1] Parachat Mikets, Beréchit, 42:38.

[2] Il s’agissait de Yossef, mais Yéhouda ne le savait pas encore.

[3] Parachat Vayigach, Beréchit, 44:29.

[4] Emeth LeYaacov, Parachat Mikets, 42:38, p. 216.

[5] Esther, 4:7.

[6] Esther Raba, 8:5.

[7] Parachat Béchala’h, Chémot, 17:7.