Dans la première partie, nous avons vu que les enfants de Léa et ceux de Ra’hel jouent un double rôle dans le développement de l’histoire qui aboutira à la venue du Machia’h.

Nos Sages et les livres saints nous enseignent que deux Messies vont délivrer le peuple juif : le Machia’h ben Yossef et le Machia’h ben David. Le Machia’h ben Yossef incarnera l’aspect de « Sour Méra’ - éloigne-toi du mal » en triomphant des ennemis de la nation. De cette manière, il tracera la voie au Machia’h ben David pour compléter l’aspect du « ‘Assé Tov - fais le bien » en déclenchant le rassemblement des exilés et la reconstruction du Beth Hamikdach. En outre, les sources nous apprennent qu’à chaque génération, au fil de l’histoire, certains individus ont eu le potentiel de jouer ces rôles, mais ont échoué, soit en raison de leurs propres fautes, soit par les défauts du peuple dans son ensemble. Dans la même veine, le roi Chaoul était destiné à assumer le rôle du Machia’h ben Yossef en éliminant ‘Amalek. Il n’aurait dû combattre aucune guerre et aurait érigé le Beth Hamikdach. Mais après que Chaoul a échoué dans cette mission, David a dû assumer le rôle du Machia’h ben Yossef et mener les guerres. Mais en raison du sang qu’il versa ce faisant, Hachem l’informa qu’il ne pourrait pas construire le Beth Hamikdach.[1]

La seule question sur cette analyse : Chaoul était issu de la tribu de Binyamin, et non Yossef. Le premier point pour répondre à cette question est que Binyamin était également un descendant de Ra’hel et a donc hérité de cette même propension à détruire le mal. À un niveau plus profond, il est clair que Binyamin représente une sorte de prolongation de Yossef. On le constate sur différents points : par exemple, nos Sages nous enseignent que Yossef était destiné à avoir douze fils qui constitueraient douze tribus. Or, au cours de l’incident avec la femme de Potiphar, dix gouttes de semences furent perdues et, en conséquence, Yossef n’engendra que deux fils, Ephraïm et Ménaché. Son frère Binyamin eut, de son côté, dix fils, ce qui complète - à eux deux - le total de douze fils. De plus, la Guémara nous explique que tous les noms des fils de Binyamin étaient liés à la perte de son frère bien-aimé, Yossef.[2]

En conséquence, on comprend que le remplaçant le plus proche d’un descendant de Yossef serait un fils de son frère, Binyamin. Mais la question demeure : pourquoi le premier roi ne pouvait-il être un fils de Yossef ?

Le Chem Michmouel aborde ce problème de manière fascinante.[3]

Il commence par citer un concept abordé par le Ramban qui s’appuie sur le verset de la Paracha Nitsavim : « Il pourrait exister parmi vous quelque racine d’où naîtraient des fruits vénéneux et amers. » D’après le Ramban, c’est une allusion au fait qu’une faiblesse très mineure ou un défaut à la racine peut se développer avec le temps et devenir bien plus important et plus pernicieux qu’au départ. En s’appuyant sur cette idée, le Chem Michmouel explique que le roi mécréant Yérovam [4] de la tribu d’Ephraïm[5] pouvait être issu du vertueux Yossef. Il remarque comment la Torah consigne que Yossef avait parlé de ses frères en termes péjoratifs.[6] Il est évident que Yossef a commis une faute très mineure en cette occurrence, car il a perçu qu’ils agissaient de manière incorrecte dans un certain nombre de domaines. Il va également de soi que les intentions de Yossef étaient pures, mais à un niveau subtil, elles étaient inappropriées, et pour un homme de sa stature spirituelle, la Torah considère qu’il avait émis de réels propos de Lachone Hara’, de médisance.

Le Chem Michmouel explique que les carences majeures de Yérovam émanaient du défaut initial et mineur de Yossef dans sa conduite envers ses frères. De cette manière, une faiblesse très mineure à la racine a pris de l’ampleur dans les générations postérieures d’une manière bien plus destructrice.[7] Le Chem Michmouel poursuit en expliquant que Yérovam devint roi après la construction du Beth Hamikdach, et qu’il fut à l’origine de torts considérables portés au niveau spirituel du peuple juif. Il cite nos Sages traitant d’une rébellion plus ancienne de l’époque du roi David, d’un certain Chéva’ bin Bi’hri, qui eut lieu avant la construction du Temple. Nos maîtres affirment qu’en réalité, la révolte de Yérovam aurait dû intervenir à l’époque de Chéva bin Bi’hri, mais si elle avait eu lieu à ce moment-là, cela aurait créé des torts spirituels si forts que le Beth Hamikdach n’aurait pas du tout été construit. En se reposant sur cette réalité, le Chem Michmouel explique qu’à plus forte raison, si Yérovam était devenu roi avant le roi David, de terribles préjudices auraient été infligés, qui auraient empêché la création de la dynastie de David et le Beth Hamikdach qui en a découlé.

Par conséquent, il n’était pas possible pour un roi issu de la tribu de Yossef de devenir souverain avant David, car si ce scénario s’était réalisé, il aurait souffert de la même faiblesse spirituelle que Yérovam, reposant sur le défaut à la racine de Yossef, avec des conséquences désastreuses. Il était donc essentiel qu’un descendant de Ra’hel soit couronné roi, sachant que les fils de Ra’hel étaient dotés d’un pouvoir spécial pour lutter contre ‘Amalek, et le premier roi ne pouvait être issu de Yossef, mais du seul autre descendant de Ra’hel, à savoir Binyamin.


[1] Divré Hayamim I, Chapitre 22, versets 6-10.

[2] Sota 36b.

[3] Chem Michmouel, Vayéchev, 5677.

[4] Il était le premier roi des tribus du Nord d’Israël. À l’origine, c’était un très grand érudit et un homme vertueux, mais lorsqu’il redouta de perdre son royaume, il interdit au peuple de se rendre à Jérusalem et installa deux veaux d’or à adorer. En conséquence, les tribus du nord plongèrent profondément dans la ‘Avoda Zara, le culte des idoles. Il est considéré comme le paradigme de l’homme qui incite les autres à fauter (Avot 5 :21).

[5] Yossef avait deux fils – Ephraïm et Ménaché. Tous deux ont mérité de devenir les pères de tribus portant leur propre nom.

[6] Béréchit 37, 2.

[7] Le Chem Michmouel souligne que cela ne signifie pas que Yérovam n’avait pas de libre-arbitre, car, dans le cas contraire, il n’aurait pas pu être puni pour ses fautes. En revanche, cela signifie que les hommes exceptionnels possèdent un niveau supplémentaire de protection spirituelle pour les aider à surmonter leur mauvais penchant. Or, il ne disposait pas de cette protection, car le défaut à la racine de l’ancêtre de Yérovam l’attira vers la faute et il ne résista pas à cet attrait.