« Maman, pourquoi souris-tu ? »

Rina se tourna.

« Je souris parce que je suis contente », essaya-t-elle d’expliquer à sa fille de trois ans.

« Mais pourquoi es-tu contente ? »

Elle se tut un instant avant de répondre. L’invitation était posée sur la table face à elle. Son nom y était inscrit en noir sur blanc, à côté y figuraient son nom de jeune fille et plusieurs lignes pour l’informer de la rencontre des filles de sa promotion.

Oh… Cela promettait d’être très intéressant… C’est passionnant d’entendre où chacune habite, combien d’enfants elle a et quel emploi elle occupe.

Elle se rendait rarement à des cérémonies, même les mariages, ce n’était pas son fort – mais ce rendez-vous, elle n’était pas prête à le manquer.

C’était clair.

Elle inscrivit la date sur le calendrier et retourna joyeusement vers la montagne de tâches qui l’attendait. Le déjeuner se passa dans la bonne humeur, comme toujours, alors qu’elle s’attendrissait des conversations des enfants et des compliments de son mari.

Elle rangea la cuisine et examina son intérieur modeste – mais décoré avec beaucoup de goût, à son goût.

Et elle remercia de nouveau Hachem de lui avoir donné un travail si agréable – elle secondait une jardinière d’enfants – qui lui permettait de gagner sa vie et d’avoir du temps libre, de jour comme de nuit, pour remplir son rôle, le vrai.       

Son existence, elle l’aimait et en était pleinement satisfaite –

Mais la richesse n’est pas éternelle.

Le jour de la rencontre, elle était fin prête. Elle se rendit paisiblement chez Myriam, comme précisé sur l’invitation.

Un coup hésitant et une main posée sur son épaule. C’était Esther, qui arrivait elle aussi…

Elles entrèrent et Rina fut fascinée – elle n’avait jamais imaginé qu’il put exister de si belles maisons… Elle jeta un regard émerveillé sur le canapé en cuir, la table de salon sculptée, le rideau épais et le tapis… Elle regarda la vitrine et fut subjuguée par les miroirs…

Elle essaya un instant de comparer avec l’intérieur qu’elle avait laissé derrière elle – elle ria intérieurement d’avoir pu vouloir comparer. Il n’y avait absolument rien de semblable entre les deux maisons.

Bientôt, les voix de ses amies l’entrainèrent. Elles discutaient avec animation, assises sur le canapé, comme si elles ne s’étaient jamais quittées depuis le séminaire.

Myriam, la maîtresse de maison, suggéra que chacune racontât quelque chose sur elle-même et sur son métier - proposition acceptée à l’unanimité.

Ruth raconta qu’elle était directrice d’un établissement scolaire, sa prestance montrait l’importance de sa position…

Guila occupait un poste élevé dans une société de High Tech. Elle ne s’étendit pas sur le sujet, mais on sentait bien que son salaire devait être plusieurs fois supérieur à d’autres sur le marché. Un regard rapide sur son apparence suffisait pour se faire une idée de sa bonne situation.

Léa organisait des réceptions prestigieuses, elle était connue dans le monde entier…

Cynthia avait plusieurs enfants doués qui brillaient chacun dans leur domaine…

Le tour de Dina se rapprochait, elle eut soudain le cœur lourd.

Que dire ? « Rina seconde une jardinière d’enfants et gagne environ 425 euro par mois, elle est mère de trois enfants adorables, l’un d’eux a besoin de rééducation, et le troisième souffre d’un léger retard dans son langage… Elle habite dans un appartement loué, au troisième étage… »

Chaque phrase lui semblait plus médiocre que la précédente.

Entre temps, son tour arriva, alors qu’elle bégayait embarrassée et ne trouvait rien à dire dont on pouvait s’enorgueillir… Elle passa le reste de la soirée silencieuse – elle s’était sentie diminuée par chaque récit de réussite qu’elle avait entendu…

Quand son mari la rejoignit, à peine une heure après la fin de la réunion, il retrouva une femme accablée, aux épaules tombantes et dont le visage aigri paraissait le plus malheureux du monde…

« J’ai laissé partir une femme heureuse et j’en récupère une, triste et remplie d’amertume. Puis-je savoir pourquoi ? »

Elle s’empressa de tout lui raconter.

« Tu sais », lui dit-il et il réfléchit un peu, « un jour, Rabbi Naftali Amsterdam, le disciple de Rabbi Israël Salanter, se présenta à celui-ci et dit : si j’avais le cerveau de l’auteur du ‘Chaagat Arié’, le cœur de celui du ‘Yésod Véchorech Ha’avoda’ et les traits de caractère de vous, Rabbi, alors je pourrai servir Hachem

Et Rabbi Israël lui répondit : avec ton intelligence, ton cœur et tes traits de caractère conjugués à ta force, tu peux être un authentique serviteur de D.ieu ! »

 

Le petit miroir accroché dans le couloir (oui, celui qui avait été acheté au bazar près de la maison…) reflétait l’image d’une femme jeune mais au visage fatigué. Elle ne pourra pas se détacher facilement de tout ce faste qui avait été exposé devant elle ce soir-là. Cependant, lui semblait-il, ces quelques heures lui avaient appris certaines choses, qu’elle commençait à intérioriser.

 

Celle d’entre nous qui réussira à ouvrir son cœur à de telles réflexions, pourra se défaire de ce sentiment d’infériorité qui nous submerge de temps à autres.

Parfois, ce sont nos amies qui nous impressionnent avec leur réussite, parfois ce sont nos sœurs auprès desquelles nous paraissons quelque peu effacées. Et il est impossible de faire abstraction de la comparaison avec nos mamans qui accomplissaient leur rôle à la perfection, ce qui nous laisse plus d’une fois pataugeant à l’arrière…
 

Extrait du futur livre "Une Vie de femme, près d'Hachem", aux Editions Torah-Box