Esther est à la fois une figure exemplaire et tragique. Contre son gré, elle a été contrainte d’épouser le roi non-juif A’hachvéroch, afin de faire advenir le salut du peuple juif, et même après les événements miraculeux, elle a été contrainte de rester son épouse pour le reste de sa vie. Mais l’aspect le plus inspirant de sa vie et de ses actions est peut-être son incroyable Méssirout Néfech (sacrifice de soi) pour le peuple juif, en dépit du fait que ce rôle a été bien entendu extrêmement difficile à assumer.

Nos Sages ont révélé ses sentiments sur sa situation, en s’appuyant sur les termes des Téhilim dans le chapitre dont l’écriture lui a été attribuée : Laménatséa’h Ayélet Hachakhar.[1] Elle a dit : « Mon D.ieu, mon D.ieu, pourquoi m’as-Tu abandonnée ? » Le Midrach développe ce point :

« Esther a dit devant D.ieu, béni soit-Il: "Pourquoi l’ordre du monde n’a-t-il pas été modifié en ma faveur ? Sarah a été détenue par Pharaon pendant une nuit, et il a été puni à ce titre. J’ai côtoyé cet homme pervers pendant toutes ces années, et Tu n’as fait aucun miracle pour moi ? Tu as donné aux femmes trois commandements (particuliers) : les lois liées aux menstruations, le prélèvement de la pâte, et l’allumage des bougies de Chabbath. Bien que je me trouve dans la maison de cet homme pervers, je n’en ai transgressé aucune. »[2]

Esther a été placée dans une situation catastrophique, forcée de vivre avec un homme non-juif, mais elle n’a pas mérité de vivre la même Siyat Dichmata, l’aide divine, dont son ancêtre, Sarah, avait bénéficié dans le peu de temps où elle avait été kidnappée par le pervers Pharaon. Ce défi symbolise la nature périlleuse du Nissayon (épreuve) d’Esther - elle n’a vécu aucun miracle pour la sauver ou lui indiquer une Hachga’ha Pratit (Providence divine). En réalité, son nom même indique le défi à la fois du peuple juif en tant que collectivité et son défi personnel. La Guémara explique qu’il est fait allusion au nom d’Esther dans la Torah, au verset : « Mais alors même, Je persisterai, Moi, à dérober Ma face (Hasater) à cause du grave méfait qu'il aura commis en se tournant vers des dieux étrangers. »[3] Rachi explique que ceci fait allusion au fait qu’à l’époque d’Esther, la Hachga’ha directe cesserait d’exister, et il semblerait que Hachem se soit dissimulé et ait permis à nos ennemis de nous causer du tort. Esther, dans sa grandeur, a néanmoins maintenu sa détermination et a respecté les 3 Mitsvot liées aux femmes.

La Méssirout Néfech d’Esther a été jusqu’au point où elle a été prête à renoncer à sa propre vie si cela pouvait sauver le peuple juif. La Guémara se demande pourquoi Esther a invité Haman au festin avec A’hachvéroch. L’une des réponses est qu’elle voulait qu’A’hachvéroch soupçonne Esther et Haman d’œuvrer de pair pour éveiller sa jalousie et en conséquence, il les tuerait tous deux. Ainsi, Esther se serait sacrifiée pour sauver le peuple juif.[4]

Il est évident qu’Esther a sincèrement cru qu’elle souffrirait de sa Méssirout Néfech, mais elle était néanmoins prête à faire ce qui était nécessaire. Nous le voyons lorsqu’elle relate à Mordékhaï son projet de se rendre chez A’hachvéroch, même s’il n’avait envoyé personne pour la chercher, une démarche qui aurait aisément pu se solder par sa mort. Elle a alors déclaré : « Kaacher Avadeti, Avadeti - qui, traduit littéralement, signifie : «si je dois périr, je périrai. »[5] Rachi[6] propose deux explications : la première est qu’Esther savait qu’elle pourrait être mise à mort à ce titre. La seconde, s’appuyant sur la Guémara[7] est que puisqu’elle venait de son plein gré vers son mari, elle serait interdite à son réel mari, Mordékhaï, à partir de ce moment-là.[8] D’après ces deux explications, Esther était bien consciente des conséquences négatives de ses actions, en dépit de leur grande nécessité, compte tenu de la situation dramatique.

En dépit de tout ceci, les commentateurs[9] relèvent qu’elle a été gagnante de manière extrêmement significative par sa manière d’aborder A’hachvéroch. La Guémara déclare qu’Esther est l’une des sept femmes prophètes, et la source se trouve dans les termes de la Méguila, où il est dit qu’elle a porté la « Malkhout », la royauté. D’après la Guémara, cela signifie qu’elle a bénéficié alors du Roua’h Hakodèch, l’esprit prophétique. En conséquence, ce fut précisément au moment où elle pensait tout perdre qu’elle a atteint en réalité la prophétie, le niveau le plus élevé possible de proximité avec Hachem.

Le Michbétsot Zahav[10] établit un constat intéressant : Esther a en réalité imité son ancêtre Ra’hel dans cet aspect de sacrifice de soi qui lui a finalement valu une récompense inattendue. On sait que Ra’hel était destinée à épouser Ya'acov, qui lui donna des signes pour s’assurer que Lavan n’échangerait pas Ra’hel avec sa sœur aînée Léa. Mais Ra’hel, par sensibilité pour sa sœur Léa, lui a confié les signes afin que Léa puisse épouser Ya'acov. Au moment où Ra’hel agit ainsi, elle pensait perdre tout, dans le sens où elle ne pourrait épouser Ya'acov, et serait même contrainte d’épouser Essav à la place ! Mais plus tard, après s’être mariée à Ya'acov, la Torah nous relate qu’après de longues années de stérilité, Hachem se souvint de Ra’hel et Il la rendit féconde.[11] Rachi écrit que Hachem s’est souvenu de l’acte noble de Ra’hel qui avait transmis les signes à Léa. Il en ressort que la nature de Ra’hel était d’être stérile, et si elle n’avait pas donné les signes à Léa, elle n’aurait peut-être pas mérité l’intervention miraculeuse qui lui a permis d’avoir des enfants. En conséquence, par l’acte même où elle pensait avoir donné tout, elle avait en réalité tout gagné.

Inutile de préciser que nous ne serons jamais, nous l’espérons, placés dans une situation comparable de loin ou de près à celle d’Esther, mais néanmoins, son immense Méssirout Néfech est un exemple pour chacun à son niveau d’être prêt à renoncer à quelque chose pour une cause plus noble. De plus, elle nous rappelle qu’au final, nous serons gagnants tout comme elle uniquement en agissant de cette manière.

 

[1] Téhilim, 22.2

[2] Midrach Chokher Tov, 22:16.

[3] Devarim, 31:18.

[4] Méguila, 15b.

[5] Esther, 4:16

[6] Ibid.

[7] Méguila, 15a.

[8] Ceci repose sur des concepts halakhiques qui dépassent le cadre de cet article.

[9] Voir Michbétsot Zahav, Esther, p.133.

[10] Ibid.

[11] Béréchit, 30:22.