Un des enseignements les plus populaires du judaïsme est sans doute celui qu’on entend avant de prononcer un Kaddich,  qui est la prière principale de sanctification du nom divin, récitée par les endeuillés pour l'élévation de l'âme d'un proche.

Que ce soit pour l’élévation de l’âme d’un défunt, ou pour clôturer une session d’étude, il y en a toujours un pour se lever et balayer l’assemblée du regard pour vérifier qu’il y a bien dix hommes, avant de se mettre à le réciter. Le fameux “Rabbi ‘Hanania ben Akachia Omer…” qui précède la récitation du Kaddich

Mais si la mélodie de cette maxime est bien connue, son contenu ne l’est pas tout autant. Essayons d’en savoir plus sur cette phrase mythique et sur la portée de son enseignement.

Rabbi ‘Hanania ou l’histoire d’un paradoxe

L’enseignement de Rabbi ‘Hanania se trouve être une Michna, la dernière du traité de Makot qui traite notamment des sanctions infligées aux faux témoins ainsi qu’aux villes de refuges. 

Voici ce que dit la Michna : « Rabbi ‘Hanania ben Akachia dit : « D.ieu voulu rendre méritant le peuple d’Israël ; par conséquent, Il multiplia pour lui les enseignements en Torah ainsi que les préceptes, comme il est dit : “D.ieu chercha son bien, Il grandit la Torah au point de la rendre monumentale” (Isaïe 42, 21)

En surface, cet enseignement est un grand témoignage d’amour. D.ieu a voulu nous rendre méritant, donc Il nous donna tout plein de Mitsvot, des préceptes… Mais à s’y pencher de plus près, cet enseignement demande des explications car il renferme en lui, a priori, une énorme contradiction !

Que feriez-vous si vous étiez un ingénieur de génie en charge de créer un jeu vidéo dont le but serait que tous les participants en sortent vainqueur ? Multiplierez-vous les parties du jeu en 613 niveaux, impliquant de fait 613 possibilités d’échecs ou seriez-vous minimaliste avec un ou deux niveaux pour la forme mais sans trop grand risque d’échec ? 

La réponse est évidente. Plus il y a d’exigences, plus il y a de risques de se rater. Pourquoi Rabbi ‘Hanania nous dit donc que, parce qu’Hachem souhaite que nous réussissions, Il multiplia pour nous la Torah et les Mitsvot ? L’inverse semblerait plus logique, vous ne croyez pas ?

Il semblerait que nous n’ayons pas très bien compris Rabbi ‘Hanania. 

Ce qu’en dit le Rambam

En bon rationaliste, le Rambam se pencha sur la question et expliqua que la multitude de préceptes nous a été donnée pour qu’il y en ait au moins un parmi tous que nous soyons à même de réaliser avec tout notre cœur ; ainsi, nous serions à même d’atteindre le salut. Ainsi dit-il dans son commentaire sur la Michna : “Les lois étant nombreuses, il est impossible qu’un homme n’en accomplisse pas une parfaitement une fois dans sa vie, et c’est en la réalisant que son âme vivra par cette même action.” (Rambam, commentaire sur la Michna) 

Le Rambam nous explique donc que D.ieu mit à notre disposition une multitude de commandements pour qu’il y en ait au moins un qui nous touche particulièrement, pour qui on serait prêt à mettre tout notre cœur. En quelque sorte, D.ieu parla à toutes les sensibilités, les intellectuels avec l’étude de la Torah (et bien qu’elle ne soit pas réservée qu’à eux, mais puisqu’il s’agit là d’avoir un rapport personnel avec la Mitsva, presque intime, ils ont donc un sacré avantage), les généreux avec le ‘Hessed (la bonté), le bon vivant avec les fêtes... chacun selon ses appétences. D’ailleurs, le Talmud ramène plusieurs Sages qui mettaient en avant une Mitsva qu’ils chérissaient particulièrement comme étant celle censée les conduire au salut. Rav Na’hman disait : “Donnez-moi le salaire des trois repas de Chabbath que j’ai parfaitement réalisés”, ou encore Rav Houna, fils de Rav Yéochoua concernant la Mitsva des Téfilines... (Traité Chabbath page 118)

Le trésor 

Mais il y a plus que ça dans cet enseignement du Rambam, quelque chose de grandiose…

Le Rambam dit : “[…]il est impossible qu’un homme n’en accomplisse pas une parfaitement une fois dans sa vie”, c’est-à-dire qu’en une seule et unique action réalisée parfaitement, l’homme peut atteindre le salut, c’est-à-dire gagner sa place au monde futur en une seule action !

Vous allez sûrement me dire que j’exagère ? Lisons ensemble la suite du commentaire du Rambam : “C’est ce qu’a demandé Rabbi ‘Hanania ben Téradione : “Qu’en est-il de ma place au monde futur ?” Rabbi Yossi Ben Kisma lui a répondu : “T'es-t'il arrivé une fois dans ta vie de réaliser une Mitsva de façon parfaite” ? Et il lui répondit qu’il lui est arrivé une fois de réaliser parfaitement la Mitsva de charité. Par elle il a acquis sa place au monde futur. ”

L’extrait de Guemara cité ici par le Rambam se trouve dans le traité ‘Avoda Zara, page 18. Le Talmud relate une discussion entre deux géants de la Torah, Rabbi ‘Hanania ben Téradione et Rabbi Yossi ben Kisma.

Rabbi ‘Hanania ben Téradione est mort en martyr, brûlé vif par les romains après avoir été entouré par le parchemin d’un Séfer Torah pour avoir enseigné la Torah en public contre le décret. Et pourtant, lorsqu’il demanda à son maître, Rabbi Yossi ben Kisma, qu’en est-il de sa part au monde futur, ce dernier ne fit absolument pas cas de toute cette Torah d’une valeur pourtant inouïe. Il lui demanda s’il avait accompli une Mitsva, une fois dans sa vie, de façon parfaite. Et Rabbi ‘Hanania ben Téradione n’avança pas non plus ses innombrables mérites acquis en Torah ou autres, il lui répondit qu’une fois, de l’argent qu’il avait consacré aux pauvres se mélangea avec son propre argent, il décida donc de tout donner aux pauvres… Voilà l’action qui lui garantit l’accès au monde futur. 

Nous avons donc appris là un immense principe : il suffit d’une seule Mitsva, faite à la perfection, c’est-à-dire avec une parfaite piété de cœur et en respectant méticuleusement ses normes Halakhiques, pour que les portes du paradis s’ouvrent devant une personne… et ce même si elle n’a réussi cet exploit qu’une seule fois dans toute sa vie !

Bien sûr, il va sans dire que nous ne sommes pas exemptés de réaliser tous les commandements de la Torah et que nous ne pouvons pas espérer la “perle rare” en se détournant des autres Mitsvot qui peaufinent tout l’aspect spirituel d’une personne. Le moindre manquement intentionnel est, à lui seul, la cause de l’échec, le but de mon propos est de sensibiliser à la valeur d’une Mitsva faite dans les règles de l’art…