Rav Dov Berish Weindenfeld, le Rav de Tchebin, était âgé et fragile. Il ne se sentait plus capable de recevoir des visiteurs aussi souvent qu’il en avait l’habitude, mais celui-ci était différent. L’un de ses élèves avait eu un enfant après de longues années et il était sur le point de commencer la Yéchiva. Le père conduisit son enfant bien-aimé pour obtenir une Brakha particulière. Le Rabbi de Tchebin se leva difficilement, se rendit dans la cuisine et en sortit pour donner la bénédiction tant désirée. Il embrassa l’enfant sur le front et le bénit de tout cœur afin qu’il devienne un grand Talmid ‘Hakham (érudit). Ses parents quittèrent la maison, transportés de joie, mais la famille du Rav et le Gabbaï étaient perplexes. « Pourquoi le Rav était-il allé dans la cuisine ? », lui demandèrent-ils.

En posant la question au révéré Rabbi, sa réponse les ébahit : « Je suis devenu un homme âgé et les hommes de cet âge n’ont souvent pas très bonne haleine. Pourquoi un jeune garçon devrait se souvenir pour toujours que le Rabbi de son père ne sentait pas bon ? C’est pourquoi je suis allé dans la cuisine et j’ai soigneusement rincé ma bouche. »

Cette belle histoire nous enseigne un certain nombre de traits de caractère que nous retrouvons chez les Guédolé Israël, les grands sages de la Torah. Le roi Chlomo déclare : « Le sage a ses yeux dans la tête » (Kohélet 2,14). Le ‘Hafets ‘Haïm relie ce verset à la Michna dans Pirké Avot (3,1), qui dit : « Qui est sage ? Celui qui prédit ce qui va se passer. »

Le ‘Hafets ‘Haïm conseille à chacun d’entre nous de veiller aux conséquences de toute action que nous réalisons. Il enseignait et pratiquait l’idée que même si quelque chose se produit sur le moment, nous devons nous imaginer ses répercussions dans l’avenir.

Le Rabbi de Tchebin avait instantanément réalisé la conséquence de sa rencontre avec l’enfant et entreprit d’améliorer la situation pour l’instant présent, pour l’avenir et même pour les futures générations.

Le Rav Israël Salanter était sur son lit de mort et un jeune élève de la Yéchiva veillait à ses côtés. Le remarquable fondateur du mouvement de Moussar passa ses derniers moments à rassurer le jeune homme nerveux qu’il n’y avait rien à craindre d’un corps sans vie. Il n’est qu’un réceptacle temporaire pour l’âme sacrée et n’a aucun pouvoir une fois que la Néchama est retournée au ciel. Rav Israël a été capable, de manière admirable, de se projeter dans les moments où il quitterait ce monde et de préparer la personne qui devait gérer cet inconnu effrayant.

Un autre aspect de ces histoires extraordinaires nous éclaire sur notre conduite en société. Ces maîtres de Torah ont été capables de renoncer à leurs besoins et inclinations personnelles à des moments difficiles pour se plier aux besoins et sensibilités d’autrui. Rav Israël Salanter aurait certainement voulu consacrer ses derniers instants sur terre à son repentir personnel et à la prière. Son niveau de service divin de toute une vie et l’auto-amélioration constante se sont incontestablement accrus considérablement dans sa transition vers l’éternité. Mais nourri de décennies d’investissement intensif dans les relations entre l’homme et son prochain, il choisit d’échanger les rôles et de devenir lui-même le soignant. On aurait dit que les célèbres propos de Rav ‘Haïm de Volozhin étaient devenus l’épitaphe éternel de Rav Israël : « L’homme n’a pas été créé pour lui-même, mais pour les autres. »

Mon Rav, Rav Its’hak Hutner, a appris une leçon amère par le biais de son propre rabbi, Rav Avraham Gorodzinsky, Machguia’h de Slabodka. Rav Hutner eut recours par métaphore à l’image d’un homme boiteux, mais fut réprimandé par le Machguia’h qui était lui-même handicapé et avait été blessé par une telle description. Il faut toujours penser aux autres, quelles que soient les circonstances et non à notre propre confort ou à nos préférences personnelles.

A un niveau différent, Rav ‘Haïm Chmoulévitz marchait avec ses élèves et remarqua des chaussures de bébé neuves et impeccables séchant au soleil. Il s’arrêta pour réfléchir à la joie éprouvée par le papa lorsqu’il les mettrait à son jeune enfant. « Ce que la maman ressentira, je ne peux même pas me l’imaginer », déclara Rav ‘Haïm.

Rav ‘Haïm combina à la fois la faculté de voir au loin et de reconnaître le bénéfice que ses élèves gagneraient de sa rêverie. Il renonça à son assiduité habituelle et à son dévouement absolu pour l’étude pour enseigner une leçon aux générations futures.

Nous constatons à nouveau chez nos sages la faculté et même le devoir de triompher de l’égo personnel et au fil du temps, de créer à la fois une priorité pour les besoins d’autrui et un héritage pour toute éternité.

Le Rav de Brisk semble avoir incarné ces idéaux, même lorsqu’il était un tout jeune Rav dans sa ville natale de Brisk. Son père, Rav ‘Haïm, était décédé tragiquement très jeune, léguant l’héritage fondamental de la méthode d’étude de Brisk et des décennies de formidable ‘Hessed. Son successeur était un homme extrêmement jeune, et en dépit de son intelligence et génie manifeste, certains avaient le sentiment qu’il n’était peut-être pas prêt à assumer le rôle de leader de son père. Leurs préoccupations semblent avoir été entérinées par l’un des premiers défis posés au jeune Rav. Des représentants du gouvernement se présentèrent dans le grand Beth Hamidrach de Brisk pour intimer au rabbin de réciter le dernier Vidouï (confession) avec un prisonnier juif condamné à mort et sur le point d’être exécuté. Le Rav était plongé dans un « long Chémoné Essré » et les Gabaïm leur demandèrent de partir et de revenir une heure plus tard, ce qu’ils firent avec réticence. Lorsque le Rav finit ses prières, on l’informa de la terrible situation, mais il déclara qu’il refusait de suivre les fonctionnaires judiciaires. Il y eut des murmures dans la synagogue, insinuant que le Rav mettait en danger toute la communauté par son refus obstiné.

Lorsque les fonctionnaires finirent enfin par revenir, c’était au milieu d’un long Moussaf de Roch Hachana et le Rav semblait être plongé dans une prière interminable. Finalement, l’un des anciens de la synagogue, exaspéré, se présenta comme le Rav aux communistes et vint administrer au prisonnier notre version des « derniers rites. » Plus tard, après la prière et les sonneries du Chofar, un autre groupe de responsables se présentèrent d’urgence au domicile du Rav. La famille et les invités, pétrifiés, pensèrent que le Rav était sur le point d’être arrêté, ou pire peut-être, mais ces responsables tenaient à savoir si le Rav avait quitté la synagogue pour réciter la confession avec le prisonnier, car on venait de découvrir qu’un autre homme avait admis le crime et que l’accusé était innocent. Tragiquement, il s’avéra que le « Rav auto-déclaré » avait été la cause de la mort d’un homme innocent. Le discernement du jeune Rav apparut instantanément, mais celui-ci expliqua qu’il n’était pas prophète, et n’avait pas manifesté de Rouah’ Hakodech, d’esprit saint. Il affirma avoir simplement suivi la Halakha stipulant qu’on ne peut provoquer la mort d’un Juif, à moins qu’il ait été établi de manière absolue qu’il méritait cette sentence.

La leçon du Rav de Brisk est double : un homme avisé doit chercher à voir aussi loin que possible dans le processus de prise de décision et ne prendre en compte aucun facteur personnel, mais agir uniquement avec l’intérêt des autres à l’esprit.

Puissions-nous, nous aussi, apprendre à viser haut, au-dessus de nos propres besoins et aider le Klal Israël à obtenir des Yéchou’ot, des délivrances, rapidement et de nos jours.

Rabbi Yaakov Feitman pour Yated, traduit par Torah-Box