Qui n'a pas eu une blessure d'où a jailli un filet de sang ? Quelle maman n'a pas trouvé des poux dans les cheveux de ses bambins ? Qui n'a pas été, lors d'une visite au zoo, captivé devant la cage aux fauves ? Qui n’a pas été un jour happé dans un épais brouillard l'obligeant à ralentir la vitesse ?

Tout le monde a connu ce genre de situations ! Et ces phénomènes rentrent dans la normalité.

Permettez-nous un instant, avant d'accompagner ‘Am Israël à travers son long périple dans le désert, de faire un dernier arrêt sur la période prodigieuse des Dix Plaies. Avec la séparation des eaux de la mer rouge, les Plaies qui vont durer un an, sont un moment fantastique de la sortie d’Egypte.

Une main va déplacer pour un temps imparti, les limites jusque là immuables des lois de la nature.

Le sang, sagement assigné à couler dans les veines du corps humain, envahit soudainement tout ce qui est liquide ; les inoffensives grenouilles quittent leur milieu naturel pour s'attaquer aux hommes et Quelqu'un ouvre la cage des animaux les plus féroces du zoo et libère les fauves. (Entre parenthèses, le Corona suit exactement le même schéma : un simple virus, une grippe, qui perd ses limites, a qui on a enlevé les menottes, et qui se met à gesticuler de toute part...) 

Tous les metteurs en scène du genre film d’horreur vous le diront : pas besoin d'effets spéciaux trop coûteux ou de monstres horripilants : c'est quand le délicat contour qui définit notre réalité se déchire que l'effroi est le plus grand.

Le Smog de 1952

A Londres, le 4 décembre 1952, les températures chutent ; il fait froid. Très froid. Les Londoniens utilisent alors grandement leur poêle à charbon pour se chauffer. La pollution qui s'en dégage s'ajoute à celle déjà omniprésente des usines et des centrales électriques alentour. Le ciel devient sombre et, sur la ville, descend un voile épais de brouillard de couleur gris, noir et jaunâtre.

Le vent étant léger, presque absent, la fumée n'arrive pas à se dissiper et, en raison de l'inversion thermique, l’air froid et la pollution sont cloués au sol.

Le phénomène durera cinq jours, pendant lesquels les transports seront interdits tant la visibilité est réduite. La fumée pénètrera même dans les édifices, causant l’annulation de plusieurs activités (cinéma, spectacles…).

Les hôpitaux se remplissent de dizaines de milliers de personnes qui éprouvent des difficultés respiratoires. Plusieurs semaines après, on dénombrera des morts de tous âges, certains présentant un haut niveau d'acide sulfurique dans le corps. Des milliers d'animaux aussi perdront la vie.

Les réactions chimiques du smog (brouillard) avec les particules d'acide sulfate que crachent usines et maisons en se chauffant avec du charbon de mauvaise qualité, ajouté à la pollution automobile a été fatal, cet hiver-là, à 12 000 personnes.

Incroyable mais vrai. 5 jours de ténèbres recouvriront Londres en plein vingtième siècle.

La neuvième plaie

Mais, malgré tout, on est encore loin des Ténèbres d'Egypte, dont la densité était telle qu'on ne pouvait plus se mouvoir : ceux qui étaient assis lorsqu’ils furent surpris par les Ténèbres durent rester assis, et ceux qui étaient debout, furent obligés de rester dans cette position, figés tout le temps que dura la plaie. Un commentateur pense même que l’obscurité, comme une soupe de pois épaisse, entrait par les orifices, yeux, nez et bouche, et c’est ainsi que les égyptiens moururent en grand nombre, étouffés par cette bouillie noire (Ralbag - Rabbi Lévi ben Gerchom). D’autres pensent que, sur cet écran noir “de leurs nuits blanches”, les égyptiens voyaient la projection cauchemardesque de démons terrifiants, et ce sont ces visions d’horreur qui les paralysaient d’effroi. Et, au milieu de tout ce chaos, le peuple hébreu se mouvait librement, entouré en permanence d'un halo de lumière…

Ce même smog londonien de décembre 1952, le pire que l'Angleterre ait connu dans son histoire, jamais ne pourra aboutir aux Ténèbres égyptiennes, sans qu’une Main n’ouvre le cadenas des combinaisons chimiques et atmosphériques et libère ce mutant.

Un père dans le brouillard

Impossible de parler de brouillard et de fog anglais, sans ramener une merveilleuse histoire écrite à la base en anglais, puis traduite et rapportée dans le “Lékèt Pirouchim et Sipourim des Pirké Avot”.

“Un jeune père devait se rendre au chevet de son enfant malade, alité dans un hôpital de Londres. Mais le Smog était descendu sur la ville et l’obscurité naissante de la fin de la journée épaississait encore cet écran dense et infranchissable. Ni âme ni véhicule ne circulaient, et le silence de la nuit ne laissait échapper dans le lointain que l’aboiement d’un chien. Le père tenant d’une main un sachet de friandises pour son fils et, de l’autre, une lampe de poche, tenta quelques pas en avant, mais, peine perdue, il comprit qu’il n’y arriverait pas. L’épaisseur du brouillard était presque palpable et le rayon de la lampe n’arrivait même pas à percer 20 centimètres de cet écran vaporeux. Il fit demi-tour et, s’appuyant sur un mur, impuissant, laissa échapper un sanglot de détresse. 

Soudain, il entendit, proche de lui, une voix lui demandant : "Puis-je vous aider, Monsieur ? Quelque chose ne va pas ?”

Stupéfait, il se tourna vers cette voix bienveillante qui reprit encore : “Vous avez un souci ? Puis-je peut-être vous aider ?”

Le jeune père expliqua sa situation à l'homme qui se tenait à ses côtés et avait surgi de l’ombre : “Je veux rendre visite à mon enfant à l'hôpital de T., mais je n’y arriverai pas. Les routes sont impraticables, je ne reconnais plus rien.”

L’inconnu lui dit d’une voix apaisante : “Pas d'inquiétude, je connais le chemin. Donnez-moi la main et je vais vous y conduire.”

Et ainsi, dans les rues de Londres, deux hommes commencèrent à marcher dans le brouillard, en silence. De temps à autre, l’homme disait au jeune père : “Attention, ici, il y a un trottoir. Ici, on tourne à gauche, ici, à droite…”

Après plus d’une heure de cheminement, l’homme s'arrêtant devant un lourd portail en fer, annonça : “Nous y sommes. C’est ici. Vous pouvez entrer.”

Le jeune papa se confondit en remerciements et, sans quitter la main gantée de son sauveur, ne put s'empêcher de lui demander : “Comment avez-vous réussi dans cette obscurité à vous frayer un chemin, avec une visibilité si réduite ? Comment saviez-vous comment vous diriger ?”

Et l’homme eut cette réponse ahurissante et pourtant si simple : “Ce n’est pas un problème pour moi. L’obscurité ne me dérange pas et je connais la route. Je suis aveugle.”

L’une des leçons de cette magnifique histoire est, sans doute, que ce qui constitue un défaut, un handicap dans une certaine réalité, peut devenir une clef inestimable dans une autre situation. Ne désespérons jamais de nos manques, de ce qui peut même être perçu comme une anomalie, aussi embarrassante fût-elle, car, très souvent, dans une autre circonstance, elle sera un outil formidable. 

Et même plus, parfois, c’est de l’une de nos lacunes que jaillira notre salut.

Mais, pour le voir, il faut se donner une perspective dans le temps et avoir la patience de laisser... le brouillard se lever sur les événements de notre vie.