J’ai trouvé un jour un ami pensif, observant un chat se prélasser sur le gazon. “J’aimerais bien être moi aussi un chat”, me dit-il, “pas de souci de famille, de travail et de subsistance ; libre et tranquille !” Cette expression assez surprenante est en fait le lot de nombreuses personnes qui la formulent différemment, comme “je cherche une ‘planque’, j’attends la retraite avec impatience, j’aimerais trouver une occupation cool, détente, pas de patron sur le dos, heures flexibles, congés à gogo, etc.” Leur point commun est ce désir de se débarrasser d’un joug qui est le lot particulier de l’être humain. En effet, en observant l’espèce animale, on se rend compte qu’effectivement, ces créatures n’ont pas les mêmes soucis d’existence que l’homme, et la question que l’on pourrait se poser est “pourquoi avons-nous un tel destin ?”. Est-ce le fruit d’une conception des hommes ? Dans l’absolu, pourrait-on concevoir un tout autre ordre que celui que nous connaissons, dans lequel on pourrait “s’identifier” avec le monde animal (comme cueillir des fruits sauvages, pêcher des poissons, vivre dans des cabanes, se vêtir avec des peaux de bêtes mortes, …) ? 

On trouve dans les paroles de nos Sages une réponse à cette question (Eh oui !) :

“Rabbi Chim’on ben Élazar dit : As-tu vu qu'une bête sauvage ou un oiseau ont un métier ? Pourtant, ils trouvent leur subsistance sans difficulté, alors que ces créatures n’ont été créées que pour nous servir. L’homme, destiné à servir son Créateur, ne devrait-il pas à plus forte raison obtenir sa Parnassa sans effort ?! Mais par nos fautes, nous avons perdu ce mérite.” (Kidouchine, 82a)

“Car l’être humain est créé pour faire des efforts” (Job 5,7). […] Ce verset fait référence aux efforts pour l’étude de la Torah. (Sanhédrin, 99b)

On retire de ces textes des enseignements importants : il est vrai dans l’idéal que l’homme, but de toute la création, aurait dû s’affairer à autre chose que sa subsistance. D’un autre côté, il n’est pas venu dans ce monde pour se reposer mais pour fournir des efforts. Faute de mérite, au lieu de s’investir dans la connaissance de D.ieu et de Sa sagesse, il se retrouve submergé de tâches très matérielles.

Dans une perspective plus large, les difficultés de la vie sont nécessaires pour nous réaliser, à l’image de nos ancêtres.  

Ya’akov Avinou n’a pas eu l’existence facile : un frère jumeau Racha’, Essav, qui cherchera à le tuer et un beau-père perfide et mécréant, Lavan, qui comptait l’éliminer avec toute sa famille. Après avoir surmonté ces deux épreuves, il devra subir le viol de sa fille Dina et la mort de sa femme Ra’hel lors de son accouchement. Au moment où il pense enfin pouvoir se “reposer” de toutes ces épreuves et pouvoir étudier et diffuser sa croyance, la disparition de son fils Yossef vient troubler la quiétude à laquelle il aspire. Nos Sages nous enseignent que tel est le destin des Tsadikim : ils n’ont pas de repos dans ce monde, mais seulement dans le ‘Olam Haba (Béréchit 37,2 ; Rachi).

L’existence de Ya’akov sera celle du Juif qui ne connaît pas de trêve. Individuellement comme collectivement, le peuple hébreu est secoué continuellement par des défis qu’il ne peut ni éviter ni fuir. La responsabilité du monde entier dépend de nos actions, et chaque épreuve surmontée nous fait progresser vers le but final, celui du dévoilement de la Présence divine dans le monde.

Et si l’on ressent ce désir de vouloir ressembler à un chat, c’est qu’il nous manque quelque chose de tout à fait fondamental : le sens à notre présence sur terre.