L'un des anciens conseillers juifs du Président Barack Obama sur les questions du Moyen-Orient, Martin Indyk, membre de l'institut Brooking, nous a récemment gratifiés d'un joli compliment.

Accusant les Israéliens d'être "ingrats envers ce président" pour son merveilleux soutien de l'Etat d'Israël, il affirmé que nous "sommes une nation émotive, pas une nation rationnelle." C'est pourquoi, je vous remercie, M. Indyk. Je ne savais pas que vous vous souciez de nous. Car la vérité est que nous ne sommes pas un peuple rationnel, et nous ne voulons pas l'être.

Laissez-moi vous expliquer

La semaine dernière, j'ai eu le grand mérite de dire quelques mots dans le cadre de l'incroyable organisation de sensibilisation à la Torah Lev Léa'him et de présenter le leader du mouvement de la Téchouva en Israël, le Rav Ouri Zohar. Dans la maison gracieusement mise à disposition par mes amis membres de ma synagogue, Aaron et Rachel Solomon, je partageais avec le public présent mes scrupules halakhiques sur le fait de parler du passé de Rav Ouri. La Guémara (Baba Metsia 58b), suivie par le 'Hinoukh (Mitsva 338), enseigne qu'il est interdit de rappeler à un Ba’al Téchouva sa vie profane. La Torah dit clairement, "Al Tonou Ich Eth A'hiv », ce que 'Hazal interprètent comme le fait de blesser les sentiments de quelqu'un en insistant sur les actions et les actes qu'il a depuis longtemps abandonnés. Comment pourrais-je alors parler d'Ouri Zohar l'artiste, la star de la télévision, le comédien… maintenant, il est un véritable Talmid 'Hakham (brillant étudiant en Torah), un Tsadik (juste) et un leader du monde de la Torah depuis plus de quatre décennies ?

Soudain, je me suis souvenu. Mon Rav, le Rav Its'hak Hutner ("Pa'had Its'hak", Pessa'h, Maamar 61) avait dit une fois, même si c'était dans un autre contexte, que tout dépendait. Si le Ba'al Téchouva utilise sa vie "antérieure" pour rapprocher les Juifs de leur Créateur, et qu'il recrée l'ambiance de ces années sous prétexte de Kirouv, alors non seulement on peut citer ces années, mais elles constituent l'essence même, sa louange, et ses lettres de noblesse.

Après que j’ai défendu mon point de vue et me sois rassis, à mon grand soulagement, le Rav Zohar m'a chaleureusement remercié et a abondé dans mon sens. "En effet, tout cela constitue mon essence, dit-il avec son sourire inimitable. Les gens ne m’écoutent pas parce que je cite un Rachi ou un Tossefot. Ils sont prêts à considérer ce que je dis, précisément parce qu'ils me connaissent comme l'artiste, la star de la télé et le comédien".

Devant l’auditoire attentif, Rav Ouri a raconté l'histoire de son propre retour à la Yiddishkeït (l’identité juive). La partie qui nous intéresse ici est le défi auquel il a été confronté il y a 40 ans, quand il a eu sa première conversation significative avec un Juif pratiquant. "Si quelqu'un avait inventé le judaïsme, lui a alors demandé ce Juif, pourquoi aurait-il fait quelque chose d’aussi illogique ? Imaginez le scénario suivant, une nouvelle religion présentée au monde et dotée des règles suivantes. Une vieille dame tricote pendant Chabbath. Elle ne dérange, ni ne fait de mal à personne. Deux personnes entrent dans la salle et l’avertissent que si elle complète deux mailles, elle transgresse la volonté de D.ieu. En outre, ils précisent que si elle ne cesse pas ce travail rapidement, elle sera soumise à la peine capitale par lapidation. N’y a-t-il pas que D.ieu Lui-même pour établir de telles règles, aussi peu incitatives, motivantes ou attirantes ? Ne sont-elles pas illogiques ? Une invention humaine n’aurait-elle pas plus de sens ?"

Le Rav Ouri a reconnu devant nous tous qu’il n’avait alors rien trouvé à répondre. Le judaïsme n’a de sens que s’il a effectivement été promulgué par D.ieu, Qui n’est pas tenu d’être logique ou populaire. Il a donc donné la vérité sans faire appel à un service de relations publiques ou à une agence de publicité. Il est inscrit au crédit éternel de Rav Zohar qu’il a dès lors agi selon ses nouvelles convictions et a commencé un long, difficile mais finalement enrichissant chemin pour réaliser sa Téchouva.

De fait M. Indyk, nous ne sommes effectivement pas – et nous en sommes fiers – une nation rationnelle. Nous ne suivons pas le cours naturel des choses. Nous vivons par le surnaturel et nous ne sommes pas rationnels parce que nous sommes guidés par un Etre bien supérieur à la raison humaine et à la logique.

On raconte une histoire sur la première rencontre du jeune Rav Baroukh Ber Leibowitz, anciennement Roch Yéchiva de Kamenits et auteur du Birkat Chmouel avec son maître le Rav ‘Haïm Soloveitchik. Le jeune génie a présenté au révéré Rav de Brisk de très nombreux ‘Hidouchim (exégèses), que le Rav a immédiatement rejetés. Rav ‘Haïm allait alors enseigner à son nouvel élève une nouvelle façon de penser et de comprendre. Dès lors, chaque fois que Rav Baroukh Ber présentait un ‘Hidouch qui n’était pas acceptable aux yeux de Rav Haïm, le fondateur de la « démarche Brisker » allait tout simplement lui dire : "Cela est logique", ce qui signalait à Rav Baroukh Ber que l’exégèse correspondait peut-être à la définition de la logique universelle, mais qu’elle n’était pas conforme à la logique de la Torah et devait être rejetée.

Si ma mémoire est bonne, j’ai entendu une fois Rav Hutner raconter l'histoire d'un jeune rabbin en Israël qui tentait de mettre en place quelques innovations libérales pour certains aspects des Halakhot de Chabbath. Certaines d'entre elles avaient été conçues pour assouplir les restrictions des soldats religieux dans l'armée israélienne. Quand il a présenté certains de ces arrangements au Rav Yossef Tsvi Dushinsky, Av Beth Din (Président du tribunal rabbinique) de la ‘Eida ‘Harédith (congrégation rigoureuse de Jérusalem), le ‘Houtser Rav n'a pas été impressionné. Le jeune brillant érudit a persisté en apportant des preuves de son approche à partir de diverses sources talmudiques absconses. Finalement, un peu exaspéré, le vénérable sage a cogné sa canne sur le sol et a conclu : "Jeune homme, je sais une seule chose. Ma grand-mère m'a appris qu’il est interdit d’être Mé’halèl Chabbath (de transgresser le Chabbath)".

Parfois, la logique, la casuistique, le raisonnement inductif ou déductif sont hors sujet. Certains développements sont tout simplement faux. Je pense en particulier à la réponse de Rav Israël Belsky au malheureux "Switch cacher" : "Il n’est qu’une réponse en un seul mot à ces machines, et qui tient en un mot – Assour (interdit en hébreu) ». De même, à mon avis, on doit réagir sans arguments ou justifications aux récentes allégations d’une soi-disant « corporéité » (la croyance qu’Hachem, à D.ieu ne plaise, un corps). Ce que tout enfant juif sait depuis sa tendre enfance ne devrait pas être débattu aujourd'hui sous prétexte que quelqu'un a fait paraître une hérésie logique.

De fait, et avec tout le respect dû à M. Indyk, notre frère même s’il est égaré, la survie du peuple juif n’a rien à faire avec la logique. Elle défie la logique. Mark Twain, l’un des critiques les plus acerbes de notre peuple, s’émerveillait pourtant que « les Egyptiens, les Perses et les Babyloniens avaient émergé, avaient empli le monde de leur rumeur et leur splendeur, puis s’étaient évanouis… et avaient disparu… Les Grecs et les Romains ont suivi… Le Juif les a vu passés, les a tous battus, et est aujourd’hui ce qu’il a toujours été, ne montrant aucun signe de décadence, d’infirmités dû à son âge, d’aucune faiblesse, de ralentissement de son énergie, d’altération de sa vigilance ou de son esprit acéré. Tous les peuples sont mortels sauf le Juif, les autres forces s’éteignent mais lui subsiste. Quel est le secret de son immortalité ? » (Harpers Magazine Mars 1898)

Enfin et surtout, nos Guédolim (grands rabbins) comme Rav El’hanan Wasserman (Kovets Maamarim n°1) et le Rav Eliahou Eliezer Dessler (Mikhtav Méeliahou), ont souvent mis en garde contre les limites de la logique humaine face aux distorsions du Yetser Hara’ (mauvais penchant) et de la subjectivité humaine. Ils ont démontré de façon spectaculaire que si la Torah insiste pour que nous utilisions nos esprits et nos capacités intellectuelles, cela ne suffit pas. Tout comme la nation juive dans son ensemble fonctionne au-dessus des limites du cerveau humain, chacun doit savoir que le fait d’appliquer la seule logique humaine mortelle serait la chose la plus illogique que l’on pourrait éventuellement faire.

Comme Rabbi Gabi Sasson (ce père de famille a perdu 7 de ses enfants dans l’incendie de leur maison) nous l’a enseigné, se soumettre à la sagesse infinie du Créateur n’est pas seulement la seule chose que nous pouvons faire. C’est la voie la plus sage de toutes.