Un célèbre éducateur croit qu'une épreuve peut réveiller en nous des forces insoupçonnées. On peut dire que c’est le fil conducteur de toutes ses histoires. Il décrit presque dans chacune d’elles, chaque fois avec des personnages et un décor différents, la capacité de l’individu à « surmonter » les difficultés et surtout, à en sortir grandi.

Cela s'appelle chez les psychologues « la résilience » et si je ne m’abuse, c’est Boris Cyrulnik qui en a élaboré la théorie. 

sans avoir rencontré Cyrulnik et sans l’avoir lu, mais riche d’une expérience de terrain, de rencontres avec des milliers d’enfants, de jeunes et d’adultes a compris qu’un obstacle est là pour qu’on le dépasse et que nos acquis les plus importants dans la vie se trouvent être ceux qui ont failli nous submerger pour nous laisser anéantis sur le plancher du « ring ».

L’histoire (vraie) qui suit, contient tous les éléments : situation dans l’impasse et à haut risque, gros enjeu, données de départ difficiles qui ont plus de chance d’aboutir à un « quitte » qu'à un « double ». Il va utiliser tous ses talents de conteur pour nous dire et nous redire : jamais trop tard ! La vie est dynamique et nous réserve des surprises folles, des scénarios imprévisibles, mais il faut s’accrocher… Voici le récit :

Tout commence mal

« Je me suis marié il y a 40 ans. Déjà, entre la période des fiançailles et du mariage, j’ai senti que mon choix n’était pas le bon, mais j’étais très jeune et je pensais que c’était ainsi chez tout le monde. Je n’ai rien dit à mes parents, mais j’étais rongé de l’intérieur. Si j’ai pu penser que ça s'arrangerait après le mariage, je me suis lourdement trompé. Ça n’a fait qu’empirer : ma femme et moi n’étions pas du tout assortis l’un à l’autre. A l’époque, parler de divorce c’était la fin du monde, on n’allait pas chez des conseillers conjugaux : nous sommes donc restés ensemble en souffrant en silence. Trois enfants sont nés de notre union, mais malheureusement le fait que nous devenions une famille n’a pas équilibré les choses. Au contraire : les enfants étaient aussi une cause de disputes entre nous et toutes les questions d’éducation nous déchiraient encore plus. Ce n’est que lorsque notre aîné eut 8 ans, que nous avons décidé de divorcer, la situation étant devenue intenable. 

Un avocat expérimenté et d’un certain âge que j’avais contacté pour la procédure de séparation des biens – nous avions un peu d’économies en commun et notre appartement - me dit avec une étonnante sincérité, mêlée de dérision : « Je ne sais pas pourquoi, les gens veulent perdre de l’argent ! Faites moitié-moitié avec votre femme, sans avocat, sans intermédiaire, sans casse-tête, sans disputes et sans toute la boue qui va retomber sur les enfants : vous économiserez beaucoup d’argent et de tracas ! »  Ma femme accepta le conseil de l’avocat, et au lieu des 100% qu’elle voulait obtenir à priori, accepta de se suffire de 60% !!! Je ne dis rien et nous nous sommes séparés à l'amiable. Enfin à peu près. Car tout ce qui touchait au domaine de la pension alimentaire, des dépenses imprévues, des droits de visites aux enfants, réveillait des volcans de colère et un désir de triompher sur l’autre presque irrépressible. 

Tirer le meilleur du pire

J’ai pris alors deux décisions : la première a été que je ferai tout pour garder un excellent contact avec mes enfants, que ce soit dans la qualité de nos relations ou dans la durée de nos rencontres, en m’efforçant de le faire sans réveiller l’opposition de mon ex-femme. Le deuxième point : malgré la situation, donner à mes enfants une assise parentale maximale, en fonctionnant avec leur mère comme des coéquipiers, sans haine, sans colère, sans disputes et sans différends. Bien entendu, comme la décision venait de moi, c’est aussi  moi qui allais devoir faire les concessions qui permettraient ce relationnel normatif. Dire que c’était facile ? Vraiment pas ! En particulier lorsque mon sens de la justice me disait que ça ne devait pas se passer ainsi, que l’autre partie abusait de ma bonne volonté de faire la paix et d’aplanir les choses, et plus encore lorsqu’elle mettait des exigences si haut m’obligeant à des prouesses de retenue pour éviter de rentrer à nouveau en conflit. 

Celui qui m’a soutenu et m’a permis de garder le cap de mes décisions a été le Roch Yéchiva de ma jeunesse, qui est devenu par la suite le Gadol Hador, Rav Steinman, de sainte mémoire bénie.  Il avait un dicton : « A faire la guerre, on ne gagne rien ; à faire des concessions, on ne perd rien. » Lorsque je me trouvais dans des situations difficiles, je courais prendre conseil auprès de lui, et il me disait avec un sourire : « Tu veux entrer en guerre ? Repousse le moment du conflit après que tes enfants se soient mariés. Car si tu entres maintenant en guerre, tu vas abîmer ce que tu as de plus cher, tes liens avec eux. C’est ça que le Yetser Hara’ veut te pousser à faire : détruire vos bonnes relations. Repousse-le à plus tard. » Je l’écoutais, je me contenais et je concédais sans vraiment me rendre compte sur le moment à quel point je gagnais dans ma relation avec mes enfants : je les voyais presque quotidiennement, nos liens étaient chaleureux et serrés, cela en coopération avec mon ex-femme sur tous les carrefours de leur éducation. 

Rebondissements imprévus

Quelques années se sont écoulées et ma femme s’est remariée, mais sans succès et elle divorca peu après. 

Pour ma part, tout occupé à l'éducation de mes enfants, je n’avais pas envisagé un autre mariage. Il y avait des propositions mais presque immanquablement, les candidates ne désiraient pas s’engager avec un homme qui avait à charge des enfants, même à mi-temps. Arrivés à l'âge adulte, mes enfants se marièrent les uns après les autres. Je peux dire que mon ex-femme et moi-même, de façon responsable et adulte, nous les avons aidés à construire leur nid, en se souciant de tout le côté technique et financier. 

Quelques mois après le mariage de mon fils aîné, j’avais alors 58 ans, on m’a fait une proposition de mariage avec une femme de 40 ans. Il est évident que pour elle, rencontrer un homme de 18 ans son aîné, et en plus, divorcé, n’était pas chose facile. Nous nous rencontrâmes et dès le début, il y eut entre nous une complicité. Nous nous sommes mariés et un an plus tard j’ai eu l’immense joie d’avoir un fils. Lors de la Brit, où la joie était intense, j’ai été le Sandak de mon fils et j’ai béni mon épouse d’avoir encore des enfants. Dans la même semaine, mon fils aîné de mon premier mariage a lui aussi eu un fils, et j’ai donc eu l’insigne mérite d’être dans la même semaine, père et grand-père et deux fois Sandak ! L’année suivante, j’eus le bonheur d’avoir une fille, et ma fille de mon premier mariage eut également une fille. A nouveau je me trouvais père et grand-père dans la même période. Et l’année d’après, alors que ma femme donnait naissance à notre troisième enfant, je devenais encore deux fois grand-père. 

Epilogue

Aujourd’hui j’ai 66 ans. Mon épouse et moi-même nous occupons de « notre jardin » et de nos enfants avec soin et émerveillement. L’autre jour, un de mes petits-fils est venu me rendre visite et m’a dit : « Tu es Saba Véaba- donc tu es Sababa !!* » Et tout le monde a ri de son jeu de mots. 

Je voudrais partager avec vous quelques enseignements de mon parcours :

- Si un divorce est effectivement une déchirure, pourquoi ajouter vos larmes et celles de vos enfants à cette situation douloureuse ? Minimisez les dégâts, et c’est possible !

- Faites tout pour garder la chose la plus précieuse au monde : vos enfants et vos liens avec eux. Renoncez aux vengeances, aux rancunes, colères, recherchez les compromis et cédez ; même de l’argent ! Vous serez gagnant au bout du compte, car vous conserverez l’amour et l’estime de vos enfants. 

- Et enfin « last but not least » : ne tombez jamais dans le désespoir. Mon Maître, le Rav Steinman disait : « Les gens désespèrent car ils croient que leurs malheurs dureront toujours. Mais chaque épreuve a un temps imparti. Elle passera. Elle a une date de péremption. » 

J’ai été divorcé 30 ans, de 28 à 58 ans. Pendant toute cette période, j’étais dans une solitude totale, sans possibilité d’envisager un remariage, dans l’angoisse terrible de vieillir seul. 

Et celle qui allait devenir ma femme était persuadée qu’elle aussi resterait seule, à 40 ans, sans avoir d’enfants. 

Mais la Providence veille et elle nous a réunis, pour notre plus grand bonheur. Que mon histoire serve d’exemple à tous(tes) les célibataires vieillissant(e)s et à tous(tes) les divorcé(e)s. 

Votre heure viendra, Be’ezrat Hachem !

* « Tu es papy et papa, donc tu es top ! »