Il y a quelques années, ma fille remplissait un journal amusant qu'elle avait reçu en cadeau. Après avoir répondu à des questions standards, telles que "Qui est ta meilleure amie", "Quel est ton plat préféré", "Quelle couleur aimes-tu le plus", elle est tombée sur la question "Qui est ton ennemi juré ?".Une question bizarre pour un journal pour enfants. Naturellement, elle n'avait aucune idée de ce qu'on lui demandait, elle s'est alors approchée de ma femme, lui demandant ce que signifiait un ennemi juré.

"Bien sûr, tu n'en as pas", expliqua ma femme, "mais un ennemi juré signifie tout simplement un ennemi. Avec qui ne t’entends-tu pas ?"

Ma fille a filé pour continuer à remplir son journal. Plus tard, ma femme a vu le journal traîner et l'a ouvert pour voir comment ma fille avait répondu. Elle a été stupéfaite de ce qu'elle a vu. Dans l'espace vide pour "Qui est ton ennemi juré", ma fille de six ans avait écrit "Le Yétser Hara" (mauvais penchant).

Alors que beaucoup d'entre nous sommes plus âgés et plus expérimentés, nous ne parvenons pas à reconnaître ou à identifier notre ennemi juré – le Yétser Hara’. Certains d'entre nous ont un Yétser Hara’ pour manger des aliments nocifs ou des portions excessives ; d'autres luttent avec la cupidité ou la jalousie. Certains ont un Yétser Hara’ de bavarder et d'autres de parler pendant la prière. Certains ont un Yétser Hara’ de cacher la vérité et d'autres de perdre patience.

Ces Yétser Hara’ et d'autres ont bien été identifiés et beaucoup d'encre a coulé, fournissant des encouragements et des stratégies pour les surmonter. Mais il y a un Yétser Hara’, dont l’attirance et la tentation ne font qu'augmenter dans notre génération, et que, non seulement nous n'avons pas réussi à combattre, mais que, dans de nombreux cas, nous n'avons même pas réussi à nommer.

Alors que la technologie était censée nous donner plus de flexibilité et de temps libre, la plupart des gens à l'ère technologique d'aujourd'hui pensent qu'ils n'ont tout simplement pas le temps. Combien d'entre nous disent vouloir faire de l'exercice, lire, apprendre, profiter des activités familiales et atteindre une myriade d'autres objectifs, mais prétendent ne pas avoir le temps ?

Si vous ressentez cela, vous n'êtes pas seul. Un sondage Gallup a révélé que 61% des travailleurs américains ont déclaré qu'ils n'avaient pas assez de temps pour faire les choses qu'ils voulaient faire. Demandez à quelqu'un comment il va et vous entendrez probablement "Je suis occupé", "Totalement occupé", "Incroyablement occupé". Nous nous sommes convaincus que nous sommes tellement occupés que nous n'avons tout simplement pas le temps. Mais est-ce vrai ?

Pour le savoir, Laura Vanderkam, experte en gestion du temps et auteure à succès, a passé les 12 derniers mois à étudier comment elle utilisait son temps pendant l'année la plus chargée de sa vie. Sur une feuille de calcul divisée en blocs d'une demi-heure, elle a enregistré les 8 784 heures qui composent une année bissextile. Dans un article du New York Times, "The Busy Person's Lies" ("Les mensonges de la personne occupée"), elle a partagé ses résultats. Il s'avère que les histoires qu'elle se racontait sur la gestion de son temps n'étaient pas toujours vraies : sa vie n'était pas aussi mouvementée qu'elle le pensait, et elle soupçonnait qu'il en était de même pour les autres.

"Une étude de la Revue Mensuelle du Travail de juin 2011 a révélé que les personnes estimaient que les semaines de travail de plus de 75 heures mettaient en retard d'environ 25 heures", écrit-elle. "Une fois, un jeune homme m'a dit qu'il travaillait 180 heures par semaine - impossible, compte tenu du fait que c'est 12 heures de plus que ce qu'une semaine contient -, mais il s'est senti tellement fatigué et surchargé de travail, comme nous nous sentons tous parfois, qu’il a choisi un nombre élevé pour quantifier ce sentiment." Elle nous encourage à observer ce que nous faison de notre temps afin que nous puissions être honnêtes et précis avec nous-mêmes sur la façon dont nous l'utilisons.

"La vie est pleine et la vie a de l'espace, conclut-elle. Il n'y a pas de contradiction."

Bien avant que les experts en gestion du temps n'existent, le Rav Israël Salanter est arrivé à la même conclusion. Il a été une fois abordé par quelqu'un qui lui a demandé : "Rav, je n'ai que quinze minutes par jour pour étudier, que dois-je étudier ? ‘Houmach ? Halakha ? Pensée juive ?"

"Etudie le Moussar (morale juive)", a répondu le Rav Israël Salanter, "et alors, tu te rendras compte que tu as beaucoup plus que quinze minutes par jour pour étudier."

Donc, si nous avons vraiment le temps de faire les choses que nous disons vouloir faire, pourquoi nous convainquons-nous que nous ne l’avons pas ?

Un Rav ‘hassidique marchait autrefois avec ses ‘Hassidim lorsqu’il commença à pleuvoir. Il s'arrêta, leva les yeux, se tourna vers ses disciples et demanda : "Comment savez-vous que le ciel veut pleuvoir ?". Il répondit ensuite : "Parce qu'il pleut."

Ne comprenant pas ses propos, les élèves lui ont demandé de s'expliquer. "Si vous voulez savoir si quelqu'un veut faire quelque chose, répondit le Rabbi, voyez s'il le fait. Nous faisons ce que nous voulons faire. Si nous ne le faisons pas, nous ne le voulons pas vraiment."

Le "Yid Hakadoch" ("juif saint"), Rav Ya’acov Its’hak Rabinowitz, souligne que l'on confond parfois vouloir faire quelque chose avec vouloir faire quelque chose (Niflaot Hayéhoudi, page 40). Il dit que même la personne qui n'a atteint que le niveau de vouloir faire les bonnes choses mérite d'être appelée un ‘Ovèd Hachem, un serviteur de D.ieu. Cependant, pour atteindre des niveaux encore plus élevés et réaliser la meilleure version de nous-mêmes, nous devons trouver la motivation et la discipline nécessaires pour passer de vouloir à vouloir réellement. Ce n'est qu'alors que nous réaliserons que nous avons vraiment du temps pour ce que nous voulons faire, et nous le ferons.

Parfois, cette transition doit simplement se produire ; d'autres fois, nous pouvons l’encourager et la faire avancer. Quoi qu'il en soit, il est important de ne pas céder à notre ennemi juré, le Yétser Hara’, et de croire à tort que la seule chose qui nous retient est le manque de temps.

Rabbi Efrem Goldberg