« Car vous n’avez vu aucune image le jour où D.ieu vous a parlé sur le ‘Horev au milieu des flammes » (Devarim 4,15). Ainsi le don de la Torah sur le mont Sinaï va-t-il se définir comme étant un évènement sans image. Tout celui qui voudrait réduire le judaïsme à une image se heurtera à cette réalité incontournable : « Vous n’avez vu aucune image ».

Cette distance drastique par rapport aux images, cette absence totale de représentation de la divinité qui fondent la civilisation juive trouvent leur source au Sinaï ( Devarim 27,9) « En ce jour , tu es devenu un peuple » (Devarim 27,9). On ne peut parler de peuple juif qu’après le don de la Torah sur le mont Sinaï. En ce jour, unique dans les annales de l’humanité, le peuple juif a reçu sa Constitution. Ainsi que l’exprime Rabénou Sa’adia Gaon : « Notre Nation n’est une nation que par sa Torah ». Et cette Constitution contenait une mise en garde : « Car vous n’avez vu aucune image ».

En d’autres termes, la civilisation qui a été fondée ce jour-là est la civilisation de la Parole, celle des dix Paroles. Cette civilisation a institué la foi en un D… Unique, complètement au-delà de toutes les contingences matérielles et de toutes les représentations imagées. Ainsi désormais la route vers l’idolâtrie est barrée ; sur cette route se trouvent les idoles, les images, les icônes qui ne sont que l’expression de la petitesse humaine face au mystère incommensurable de l’Absolu.

Parole contre image : c’est l’expression du choc terrible de la vérité contre le mensonge. L’image est figée, réductrice, immobile ; la parole est mouvement, interprétation et liberté. Et même au sein de cette parole libératrice existe une fracture presque aussi forte que la fracture entre l’image et la parole. Il existe une parole figée et il existe une parole libre. La parole figée pour l’éternité, c’est la Torah écrite que les peuples ont surnommé la Bible en l’enfermant dans le cadre réducteur de la Sagesse grecque (notamment par le biais de la traduction en grec des Septante.

Le roi Ptolémée II d’Egypte, qui avait succédé à son père Ptolémée Premier, lui-même un des généraux d’Alexandre le Grand qui avait conquis l’Egypte de la main des Perses, souhaitait obtenir une traduction de la Torah en grec. Il convoqua pour cela soixante-dix Sages d’Israël et leur demanda de traduire la Torah en grec. Il enferma chacun des soixante-dix Sages dans une pièce séparée des autres pour qu’ils ne puissent se concerter. Miraculeusement, ils traduisirent tous exactement de la même façon, démontrant par là que l’inspiration divine les habitait tous. Ceci est rapporté dans le traité Méguila page 9a et 9b). Il existe aussi une parole libre, c’est la Torah orale qui ne cesse de se transmettre, de se développer et ô paradoxe de s’écrire… Cette Torah orale est infinie, à « l’image » de Celui qui l’a donnée.

La Torah orale est restée l’apanage exclusif du peuple juif, peuple libéré d’Egypte et libre depuis pour toujours. La Torah écrite a été récupérée par les peuples qui ont cherché à la traduire en images, à la « trahir » en images ; est-il besoin de citer « La Bible illustrée » et plus récemment les nombreux péplums hollywoodiens à thème biblique et le plus célèbre d’entre eux « Les dix Commandements ».

A l’heure de la civilisation de l’image, le peuple juif enseigne à l’humanité une grande leçon : l’homme ne pourra conquérir sa liberté qu’à travers la Parole révélée d’abord, analysée ensuite et retrouvée à la fin. La télévision, le cinéma et internet qui sont porteurs de cette civilisation de l’image risquent de devenir les vecteurs non pas de la libération de l’homme mais bien de sa mise en esclavage. L’homme risque de succomber à l’iconolâtrie moderne.

A celui qui veut être libre, retrouver la trace de l’infini dans le fini, on ne peut que dire : va, étudie la parole divine, la Loi orale ; apprends, découvre et innove pour connaître Celui dont la Parole est la source même de la Vérité et partant de la Liberté, comme il est dit : « Tu n’as d’homme libre que celui qui étudie la Torah » (Pirké avot, chapitre 6, michna 2). Cela signifie que seule l’étude approfondie de la Torah est à même de libérer l’homme de l’emprise de ses instincts, et de lui permettre d’accéder à la liberté véritable qui se traduira par une maîtrise réelle de sa personne, dans la mesure précisément où il se met au service de D.ieu. Le paradoxe n’est qu’apparent, car si l’homme ne sert pas D.ieu, il sera le jouet des forces négatives.

Or l’étude intense et approfondie de la Torah est le vecteur privilégié de cette quête de vérité et de liberté…