Dernièrement, j’ai publié la lettre d’une femme déchirée entre les soins à accorder à sa mère âgée et veuve, s’occuper de son foyer, et gagner sa vie. Elle a précisé qu’elle ne travaillait pas par choix, son mari ayant subi d’importants revers financiers qui l’avaient obligé à prendre un emploi.

Elle a également mentionné ses deux filles en âge de se marier, pour lesquelles elle devait prendre en compte les demandes financières qui accompagnent les mariages ainsi que l’aide à accorder aux enfants mariés qui se lancent dans leur nouvelle vie.

Elle expliquait que sa mère refusait d’envisager d’entrer dans une maison de retraite, ou même de venir s’installer chez elle. Elle insistait pour dire qu’elle s’en sortait seule, ce qui n’est malheureusement pas le cas. Il y a eu quelques catastrophes et la famille ne peut simplement pas continuer dans cette voie. Notre interlocutrice vit elle-même dans le quartier de Flatbush à Brooklyn, tandis que sa mère réside à Boro Park. Ses deux frères vivent en-dehors de la ville, l’un à Monsey et le second à Passaic, dans le New Jersey. En conséquence, elle ne peut pas vraiment se reposer sur eux ou ses belles-sœurs pour l’aider. Et donc, prise entre le marteau et l’enclume, elle perd ses moyens et ne sait pas comment gérer ce problème. Voici ma réponse :

"Ma chère amie,

Vous avez vraiment raison, vous êtes prise entre le marteau et l’enclume. Vous appartenez à ce qu’on appelle souvent la « génération sandwich ». Vous vous sentez dépassée, car vous êtes prise entre les demandes qu’on vous adresse de toutes parts. D’un côté, vous devez vous charger de votre propre foyer, de vos problèmes financiers et des Chidoukhim de vos filles, ce qui dans le monde traditionnel, requiert un temps excessif à prendre des renseignements sur d’éventuels candidats ; d’un autre côté, vous devez aussi être présente pour votre mère : toutes ces occupations sont extrêmement importantes, et aucune d’entre elles ne peut être négligée ou remise en question.

Ayant établi que toutes ces priorités sont tout aussi vitales, vous, vos frères et leurs femmes (vous pouvez aussi éventuellement inclure vos enfants mariés) devez réfléchir ensemble. Première règle : s’occuper de votre mère relève de la responsabilité de chacun d’entre vous. Il est vrai que vos frères vivent plus loin, mais vous devez néanmoins leur faire comprendre clairement que vous ne pouvez gérer cette situation seule et que leur coopération est essentielle.

De toute évidence, les choses seraient plus faciles si votre mère acceptait de s’installer dans une bonne maison de retraite, mais comme elle s’oppose à un tel changement, la forcer serait très préjudiciable. Elle est peut-être déprimée actuellement, mais le lui imposer l’accablerait encore plus.

Elle est lucide à présent, mais si vous lui imposez ce changement, cela pourrait briser son respect de soi, lui faire sentir que ses enfants l’ont abandonnée, et qu’elle n’est plus maîtresse de sa propre vie.

Un vieil adage en yiddish dit : « Ein Mama ken aushalten tzen kinder, uber tzen kinder kennen nisht aushalten ein mama », une maman peut soutenir et s’occuper de dix enfants, mais dix enfants ne peuvent soutenir et s’occuper d’une mère.

N’imaginez pas que j’écris ceci pour vous critiquer. Je suis tout à fait consciente que vous agissez au mieux en faisant appel à toutes vos ressources, et, si vous m’avez écrit, c’est certainement par pur désespoir. Dans le même temps, le Yiddish est une langue populaire et ses adages regorgent de vérité, alors il nous vaut la peine de réfléchir sérieusement à cette expression. Interrogez-vous : si la situation était inversée, et que la mère de dix enfants se trouvait dans une situation épouvantable, lui viendrait-il un instant à l’esprit de renoncer à l’un de ses enfants ou de les renvoyer ? Quelle montagne une maman juive ne serait-elle pas prête à gravir ? Quel sacrifice ne serait-elle pas prête à consentir si la vie de ses enfants était en jeu ?

Cette idée est renforcée par le récit de la rencontre des tribus avec Yossef qui est devenu le vice-roi d’Egypte, mais qu’elles n’ont pas reconnu. Yossef les a accusés d’être des espions venus en éclaireur en Egypte. Pour se prévaloir de leur innocence, les tribus proclament qu’ils sont douze frères, fils du même père. L’un est absent tandis que l’autre, le plus jeune, est resté à la maison avec son père âgé. De toute évidence, protestent-ils, aucun père ne compromettrait la sécurité de tous ses enfants en les envoyant pour une mission périlleuse d’espionnage.

En réponse, Yossef leur demanda, pour prouver leur innocence, de faire venir leur jeune frère, et pendant ce temps, il retiendrait l’un d’eux en otage. Pour plaider leur cas, les frères expliquèrent que leur père âgé ne survivrait jamais à la perte de ce jeune homme, son plus jeune fils.

Nos Sages marquent une pause pour commenter ce passage : Comment se réfèrent-ils à Benjamin comme un « jeune homme » ? A ce stade, c’était un adulte mûr, le père de dix fils. De toute évidence, en plaidant pour ces dix orphelins, leur cas aurait été bien plus convaincant.

Mais la triste réalité est que des enfants peuvent survivre à la perte d’un parent, alors que malheureusement, des parents ne peuvent survivre à la perte de l’un de leurs enfants.

Je me souviens d’avoir rendu visite à un homme qui observait la semaine de deuil pour sa fille. « Rabbanite, me dit-il, la voix tremblant entre ses larmes, j’ai appris à dire le Kaddich pour mon père et ma mère, mais personne ne m’a jamais enseigné à réciter le Kaddich pour mon enfant, j’ignore comment procéder. »

Il le récita, bien sûr, mais la douleur d’avoir perdu sa fille resta une blessure ouverte… une blessure qui refusait de guérir et qui le poursuivit partout pour le restant de ses jours. Je vous relate cette histoire non pas, que D.ieu préserve, pour vous causer des souffrances supplémentaires, mais pour que vous la racontiez à vos frères et sœurs et l’ayez à l’esprit lorsque vous faites vos évaluations et vos choix.

Ceci dit, je suggère que toute la famille rassemble toutes ses ressources et engage quelqu’un pour rester avec votre mère. Si cette solution s’avère trop onéreuse, vous pourriez envisager de chercher une jeune fille ou femme qui serait heureuse de travailler en échange du gîte et couvert. Il vaut la peine également de prendre contact avec d’excellentes associations de Bikour ‘Holim (visites aux malades) qui procurent leur aide à Brooklyn. Contactez également des filles d’écoles secondaires et de séminaires. La plupart d’entre elles ont des programmes de ‘Hessed dans le cadre desquels elles se proposent d’aider les infirmes ou les personnes confinées chez elles. De plus, explorez les possibilités dans votre propre famille. Grâce à D.ieu, vous avez des enfants adultes, des nièces et neveux qui peuvent rester avec leur grand-mère en alternance, en particulier pour dormir la nuit. Cette formule a marché dans ma propre famille et cela pourrait également fonctionner pour vous. Avantage supplémentaire : les petits-enfants pourraient faire sourire plus facilement votre mère, et maintenant qu’elle ne réagit pas, elle pourrait s’ouvrir à leur contact.

Lorsque mes révérés parents ont vieilli et ont été incapables de quitter la maison, notre famille a affronté des défis semblables. J’avais moi aussi d’énormes responsabilités, mais je veillais à leur rendre visite au moins deux fois par jour. Notre famille mit sur place un système grâce auquel un membre de la famille était toujours présent sur place pour veiller au bon déroulement des choses.

Oui, je reconnais que ce n’est pas une tâche aisée, et je ne minimise pas les défis qui vous attendent. Les défis ne sont jamais faciles et honorer les parents est l’un des plus difficiles d’entre eux ; c’est l’une de ces Mitsvot qui n’a pas de limite… Nous récitons cette vérité dans nos prières chaque matin, mais ce n’est pas une simple prière… c’est une vérité qui doit être intégrée et sur laquelle il faut constamment travailler.

Quant aux Chidoukhim pour vos filles, qui sait ? Peut-être que par le mérite de l’honneur et des soins apportés à votre mère, Hachem vous prodiguera Son aide et enverra aisément de bons partis à vos filles.

Je peux vous assurer que, par l’exemple que vous incarnerez pour vos enfants et petits-enfants en vous conduisant avec respect envers votre mère, vous serez non seulement une source de bénédictions pour votre famille, mais cela sera un héritage qui transcendera les générations.

Puisse Hachem vous éclairer."