L’un des mots-clés à retenir, lorsqu’on évoque l’adolescence, est celui d’ambivalence.

Dans un premier temps, nous dirons que l’ambivalence correspond à deux éléments contraires qui cohabitent.

L’enfance est en principe un état sécurisant, où le sort de l’enfant est entre les mains de ses parents, qui lui prodiguent ce dont il a besoin. On l’aime, on le cajole, on le nourrit, on l’habille, et il se développe normalement.

Puis vient l’adolescence qui contraint l’enfant à quitter ces avantages au profit de ce que l’on nomme l’autonomie. Le terrible dilemme entre rester dans le monde de l’enfance et pénétrer dans celui des adultes se fait jour. Nous nous trouvons face à une situation ambivalente où deux volontés contraires se côtoient. D’un côté l’enfant souhaiterait devenir adulte, de l’autre le jeune adulte voudrait quelque part rester un enfant, avec la sécurité affective que cela implique.

Cette ambivalence va se traduire par une question à la fois simple et édifiante : qui suis-je ? Avec un tel questionnement existentiel, tous les repères identitaires du jeune sont remis en question. Il est en effet à la recherche de deux éléments contradictoires : autonomie et sécurité. Vous comprenez son malaise. D’une part la volonté d’autonomie est entravée par une série d’obstacles, dont le besoin de l’affection des parents et d’autre part, cette volonté de grandir est appuyée par toutes sortes de changements dans le corps de l’adolescent et qui semblent lui signifier qu’il est prêt à devenir adulte. 

Vouloir à la fois devenir adulte tout en restant enfant, vouloir quitter ses parents sans pour autant perdre leur protection, place l’adolescent dans un état de vulnérabilité et de fragilisation.

Le vrai danger pour l’adolescent consiste à refuser l’appel de ses parents, qui lui enjoignent de rester prudent. Les parents placent leur enfant sur le chemin de l’indépendance tout en maintenant sur lui un regard et en le rappelant à l’ordre au besoin. Or l’adolescent est tenté d’ignorer ces appels à la prudence. Les parents doivent alors entreprendre un long travail de mise en confiance. Et cette tâche n’est pas simple.

Tout l’enjeu consiste à être capable de faire preuve de compréhension et de bienveillance pour écouter nos ados. Françoise Dolto disait : « L’adolescent aimerait prendre la parole pour être écouté vraiment. Quand on le laisse la prendre, c’est trop souvent pour le juger, sans l’entendre réellement ». Tout est dit. Généralement, l’adolescent, porté par les défis de son âge, assume sa situation et fait le deuil de son enfance à sa manière. Les problèmes commencent lorsque le jeune a inconsciemment peur de rentrer dans « la cour des grands », il se sent à son aise dans le monde des petits. On peut alors parler de rupture dans le processus de passage à la vie adulte, rupture parfois génératrice de très grandes difficultés au sein de la famille.

La Torah témoigne du fait que Yossef était un beau garçon. Après avoir traversé diverses péripéties, il se retrouve esclave chez l’un des proches de Pharaon, Potiphar. Chaque jour, l’épouse de Potiphar, une femme d’une grande beauté, tente de séduire Yossef. Pourtant il résiste, jour après jour.  Quelle force permit à ce beau jeune homme de ne pas succomber à la tentation ? 

Le Grand-Rabbin Chouchena expliquait qu’éduquer consiste à travailler sur deux plans en parallèle : la réflexion et le réflexe. En premier lieu apprendre à nos enfants à réfléchir par eux-mêmes, sur la base des valeurs que nous leur aurons transmises. C’est ce que nous appelons la réflexion. En second lieu, l’éducation consiste à faire acquérir à nos enfants certains réflexes qui se déclencheront automatiquement dans des situations données. Le réflexe qui consiste à agir d’une certaine façon dans telle situation n’est pas le fruit d’une réflexion. Il arrive de se retrouver dans des situations imprévues qui exigent une réaction immédiate. Or cette réaction sera fonction des réflexes acquis tout au long de notre éducation.

Dans le cas de Yossef, il avait la possibilité de réfléchir à la manière de s’extirper de sa situation délicate. Il pouvait argumenter, s’esquiver etc. Mais le jour où la femme de Potiphar se jeta sur lui, il ne pouvait réagir que par un réflexe.

Or le Midrach explique que c’est la vision du visage de son père qui lui insuffla la force de résister. Le temps d’apercevoir le visage de son père, Yossef eut un mouvement réflexe de recul. Il comprit l’enjeu et se retira, au péril de sa propre vie. Et bien que réalisant que sa tunique, restée entre les mains de l’Egyptienne, allait constituer une preuve compromettante de sa culpabilité, il ne revint malgré tout pas sur ses pas.

Si nous continuons aujourd’hui de parler de Yossef comme étant un Juste, Yossef Hatsadik, c’est justement parce qu’il fut capable de défendre les valeurs auxquelles il croyait vraiment.

Si nous devons enseigner à nos enfants des principes et les pousser à réfléchir sur le sens de leur vie en tant que Juifs, nous devons tout autant être capables de leur transmettre certains messages clairs et sans ambiguïté; ceux-ci leur permettront le moment donné de réagir de manière adéquate et de ne pas se laisser aller à la tentation. Car il est des moments où la réflexion peut être fatale…