A quel point Chabbath se distingue-t-il des autres jours de la semaine ? Est-ce uniquement un jour où la nourriture est meilleure, les habits un peu plus jolis que ceux que nous portons à table ? Est-ce un jour où nous sommes enfin réunis autour de la table pour un ou deux repas de famille, ce qui n’est pas le cas de la semaine ? Rav Solovetchik décrit avec émotion le Chabbath, expliquant qu’il s’agit d’accueillir Hachem en nous (contrairement au Yom Tov où nous rendons visite à Sa demeure). Mais nos enfants ressentent-il ceci le vendredi soir ? La présence de Hachem est-elle palpable ce jour-là, ou prenons-nous tout ceci pour acquis ?

Dans ma famille, il paraît que mon grand-père avait de la peine pour les non-Juifs, « car ils n’ont pas le Chabbath. » Or, de nos jours, certains adolescents se plaignent de le trouver restrictif et ennuyeux, et que D.ieu préserve, sont tentés de l’abandonner. Comment injecter une dose d’enthousiasme à notre Chabbath ?

Rav Solovetchik déplorait souvent le manque d’enthousiasme de notre communauté à propos du Chabbath. Il décrivit une fois ce phénomène pas uniquement pour les Juifs non-engagés, mais aussi pour les membres respectueux du Chabbath des communautés orthodoxes. Dans le même temps, il fit une allusion à une solution partielle. 

« Même dans ces quartiers peuplés principalement de Juifs religieux, on ne peut plus parler de la "sainteté du Chabbath". Il est vrai qu’il y a des Juifs en Amérique qui respectent le Chabbath…Mais ce n’est pas pour le Chabbath que mon cœur a mal ; c’est pour le rituel oublié du Erev Chabbath, la veille du Chabbath. Il y a certes des Juifs pratiquant le Chabbath en Amérique, mais il n’y a pas de Juifs du Erev Chabbath qui accueillent le Chabbath le cœur battant et l’âme vibrante. Un grand nombre d’entre eux observent les préceptes avec leurs mains, leurs pieds et/ou leur bouche  - mais un faible nombre d’entre eux connaissent réellement le sens du service du cœur. » 

Nous évoquons beaucoup le Chabbath lui-même ; mais le Chabbath commence réellement par les préparatifs qui le précèdent. Pensez au Chabbath comme à un invité. (Après tout, le vendredi soir à la synagogue, nous chantons une chanson (Lékha Dodi) accueillant la fiancée du Chabbath en notre sein, et à la maison, nous entonnons Chalom Alékhem pour accueillir les anges qui nous accompagnent.) Que ferions-nous à la maison si nous savions qu’un invité de marque venait ? Et surtout, quel rôle joueraient nos enfants dans les préparatifs pour accueillir cet invité ?

Nous savons tous qu’une partie de la fébrilité d’un événement repose non seulement sur l’événement lui-même, mais également sur les préparatifs qui l’y conduisent. La joie d’organiser une Bar/Bat Mitsva, un mariage, une Brit Mila, est en grande partie façonnée par les préparatifs, même s’ils entraînent beaucoup de travail. De même, sortir en rendez-vous requiert plus que les quelques heures passées ensemble par le couple. Il faut généralement y inclure des préparatifs : décider d’une tenue, du lieu de la sortie, effectuer des réservations (au restaurant), coordonner le transport et parfois même  réfléchir à des sujets de conversation. Le Chabbath devrait ressembler à ce genre d’expérience, car c’est, après tout, un rendez-vous avec la Chékhina, la présence divine, que nous accueillons dans notre communauté et notre foyer. En général, plus nous nous préparons pour quelque chose, plus nous sommes investis.    

Et nous ne serons pas surpris d’apprendre que se préparer pour Chabbath est en réalité une Mitsva - c’est le Kavod Chabbath (l’honneur du Chabbath) - et il commence avant même le début du Chabbath. Et surtout, personne n’en est exempté - bien que cette obligation incombe traditionnellement aux femmes. Le Rambam (Hilkhot Chabbath 30 :7) résume les pratiques d’un certain nombre de vénérables Rabbanim et érudits :

Même un homme très prestigieux qui n’a pas l’habitude de faire ses achats au marché ou d’effectuer des travaux ménagers est tenu d’accomplir des tâches pour préparer par lui-même le Chabbath. C’est une expression de son propre honneur personnel. Commentaire : plutôt que de penser que s’impliquer dans de telles activités est avilissant, il devra apprécier que ses actions vont renforcer son honneur. Même s’il est possible que d’autres accomplissent ces tâches pour nous, il est préférable de faire certaines tâches soi-même. Car il n’y a rien de plus honorable que de conférer de l’honneur au Chabbath. Dans ce contexte, Rabbénou ‘Hananel se réfère au passage dans Kiddouchin 41a : « C’est davantage une Mitsva de faire une action positive soi-même que de charger un agent de la faire. » 

Les Sages des générations précédentes s’impliquaient dans de telles activités : l’un d’eux cuisinait, l’autre salait la viande, l’un préparait les mèches, et un autre allumait les lampes. D’autres encore faisaient les achats de nourriture et de boissons pour le Chabbath, même s’ils n’en avaient pas l’habitude. Plus on s’investissait dans de telles activités, plus c’était louable. »

Si ces activités étaient dignes de Rava, de Rav Houna, de Rabba et de Rav Zéira, alors de toute évidence, elles sont également bonnes pour nous et nos enfants.

Dans le cadre d’un cours que je donnai autrefois aux classes de seconde sur le Kavod Hachabbath, j’avais l’habitude de donner un devoir : choisir quelque chose de différent cette semaine-là dans les préparatifs du Chabbath (sans en faire part à la famille pour que cela reste un acte très personnel). L’un de mes élèves aida sa mère à mettre la table. Sa mère eut du mal à le croire, elle lui demanda s’il se sentait bien. Un autre garçon nettoya sa chambre (autre maman, même réaction). Un élève fit la cuisine, un autre décida de renoncer à sa sieste pendant le repas du soir. Pour certains élèves, ce fut une révélation ; pour d’autres, le faire une ou deux fois ne fut pas suffisant pour avoir un impact. Mais si nous insistons, lorsque nos enfants sont jeunes, pour qu’ils s’impliquent dans les préparatifs d’une certaine manière, il y a moins de chance qu’ils deviennent des observateurs passifs du Chabbath.

S’ils n’en ont pas encore, il faut donner aux enfants des jobs hebdomadaires à accomplir avant Chabbath. Il n’est pas nécessaire que ce soit le salage de la viande ou la préparation des mèches, mais il y a suffisamment de choses à préparer pour leur inculquer le sens de la venue d’un invité important. Faites la ‘Halla ou un dessert ensemble, ou rendez votre enfant responsable d’un plat. On peut demander aux jeunes enfants de plier les serviettes de table ou de mettre la table, nettoyer la chambre, aider à la cuisine, jeter la poubelle, la liste est infinie. Lorsque mes heures de travail m’empêchaient d’arriver à la maison à temps pour aider de manière significative avant le Chabbath, je m’étais chargé de préparer les bougies de la femme : je sortais le candélabre, plaçais les bougies, testais les mèches pour m’assurer qu’elles s’allumaient aisément et déposais les allumettes à côté. Ce n’était certes pas une très grande contribution, mais cela envoyait un message à mes enfants : on ne commence pas le Chabbath sans se préparer. Car plus le Chabbath « arrive seul », plus potentiellement parlant, il risque d’être pris pour acquis et le risque d’ennui nous guette. Certaines de mes connaissances qui ont de l’aide ménagère leur demandent de ne pas réaliser certaines tâches pour que les membres de la maisonnée puissent faire leur part avant Chabbath. Et l’idée ici est de réaliser des choses utiles pour la maison (nettoyer, cuisiner, mettre la table) et non pour soi (prendre une douche, changer d’habits). C’est lorsque nous nous donnons pour les autres, que ce soit la famille ou D.ieu, que ce sentiment d’enthousiasme s’éveille, car l’ennui correspond en réalité à un sentiment de non-adhésion.

Impliquer activement nos enfants dans les préparatifs pour Chabbath peut être un élément clé pour conférer de l’honneur au Chabbath, à soi-même et à sa famille. Et cela peut également conduire à la création d’une entité qui manque cruellement à la communauté : davantage de Juifs d’Erev Chabbath.

Chabbath Chalom.

Rabbi Dr. Jay Goldmintz