La dernière fois, j’étais assise à table à un mariage lorsque l’une des convives s’est confiée à son amie, et j’ai écouté d’une oreille la conversation (oui, c’est pas super, mais curiosité quand tu nous piques…). Ce qu’elle disait m’a donné à réfléchir. Elle lui expliquait : « Tu sais, ça y est, à notre âge, qu’est-ce qui est important ? Que les enfants soient en bonne santé, et nous aussi et que l’on passe du temps avec eux. » Et sa copine de rétorquer : « Mais toi, dans l’histoire, c’est tout ? » Et elle de lui répondre : « Ah moi, ça y est, j’ai kiffé. » Sans aucune amertume… En fait, leur conversation résumait en quelques phrases le rapport que nous devons avoir à la vie et ses plaisirs. Comment kiffer la vie… selon la Torah ?

Le propre du judaïsme est de sanctifier la matérialité. En plus simple, ça donne : on peut profiter de ce monde, mais dans un cadre, de sorte à ce que l’on élève la matière… Je ne sais pas si c’est vraiment plus simple. Avec un exemple, c’est peut-être plus parlant : chez les Juifs, la sexualité n’est pas proscrite, mais elle est autorisée dans le cadre du mariage et de la pureté familiale. Chez les Juifs, on ne bannit pas les belles tables, mais on ne doit pas omettre de bénir la nourriture, de préparer des plats Cachères etc.

Le défi du Juif, c’est de trouver un juste équilibre dans la matérialité : ne pas trop s’y engouffrer, mais d’un autre côté, profiter de ce monde, tout en gardant en ligne de mire l’importance de s’élever spirituellement… tout un programme.

Le Or’hot Tsadikim, dans son chapitre sur l’amour, consacre toute une partie à l’amour de la vie. Qu’entend-il par « l’amour de la vie » ? C’est l’amour de tous les plaisirs qui sont à notre disposition sur cette terre : la nourriture, les voyages, les habits, la décoration, les restaurants, les cafés… La Torah ne diabolise pas le fait de profiter de la vie. D’ailleurs, les Cohanim étaient parés des habits les plus raffinés. Non, le problème à « trop aimer la vie », c’est quand la personne fait de l’accessoire (les plaisirs de la vie), l’essentiel.

Et d’ailleurs, le corona a été un révélateur très frappant de cet amour excessif des jouissances matérielles. Combien de personnes ont-elles été anormalement malheureuses lorsqu’elles ne pouvaient plus sortir au restaurant ? Partir en croisière ? La privation est un révélateur de là où nous en sommes au niveau matériel. Évidemment que le corona a sapé le moral de pas mal de personnes, mais il a aussi été l’occasion de se recentrer sur ce qui compte vraiment : les moments en famille, notre introspection, les plaisirs simples comme lire une histoire à un enfant, discuter autour d’un café avec son mari.

Aimer la vie selon le Or’hot Tsadikim, c’est aimer le fait qu’Hachem nous a donné des jours de vie supplémentaires pour nous parfaire dans le domaine de la Torah et des Mitsvot. Comme si Hachem nous accordait du crédit en plus sur cette terre. D’ailleurs, chaque matin, nous renouvelons notre vœu : « La Néchama que Tu as mise en moi est pure » pour remercier D.ieu du contrat de confiance qu’Il nous accorde.

L’amour de la vie, c’est aussi accepter que la vie passe, tout simplement, et avec elle les signes du temps : les rides, le fait d’avancer plus lentement, d’avoir moins d’énergie, d’être physiquement moins actif. Celui qui est trop attaché au matériel sera très malheureux en vieillissant, en voyant ses capacités s’amoindrir, en ressentant les limites de son corps. Cette frustration, liée à la perte de tout ce qui lui donnait la sensation de vivre, peut devenir déchirante si la personne ne s’est pas construite intérieurement. Si, pour elle, la seule façon d’être heureuse, c’est de faire de l’escalade, je vous laisse imaginer l’état de son moral à 70 ans, après s’être cassé le col du fémur… Si, pour une autre, tout son bonheur repose sur le reflet mince et jeune qu’elle voit dans le miroir, rendez-vous à 80 ans, quand le botox ne pourra plus faire de miracles comme à 50…

En kiffant la vie, rappelons-nous de toujours cultiver notre jardin intérieur, de travailler à devenir plus sages, de transmettre quelque chose. Quand la sagesse s’installe, on se détache naturellement du matériel, sans en ressentir d’amertume – comme cette femme à table, au mariage. On relativise, on a d’autres kifs, et on apprend à savourer les plaisirs de la vie comme la lecture, la prière, les moments de qualité entre proches.. sans artifices.

Acceptons donc la vie et le temps qui passe pour vraiment l’apprécier. 

Inspiré du Or’hot Tsadikim - Cha’ar Haahava