On sait, évidemment, que le titre de cette chronique est formé de deux termes. Il ne s’agit pas d’une question de CAUSE – qui serait écrit en un seul mot : pourquoi, mais il s’agit d’un problème de BUT, de FIN, dans quel but, à quelle fin ? Il est intéressant de relever dans le texte même de la Torah que ces deux acceptions sont exprimées par Moché Rabbénou lui-même. Après la mort des deux fils d’Aaron, Moché reproche aux deux fils survivants de n’avoir pas consommé les sacrifices qui leur étaient destinés, et s’adresse à eux en ces termes : « Pourquoi (pour quelle raison) n’avez-vous pas consommé ces sacrifices et les avez-vous brûlés ? » (Vayikra 10, 17). Le terme utilisé par Moché est : « Madoua – מדוע ? » (Pour quelle cause ?). A l’inverse, quand Moché commence sa mission pour le peuple chez Pharaon, ce qui entraîne une aggravation de leur situation, il interroge l’Eternel et lui demande : « Pour quoi (dans quel but) as-Tu rendu ce peuple malheureux ? Dans quel but (pour quoi) m’as-Tu envoyé ? » (Exode 5, 22). Le vocable utilisé ici par Moché est « Lama – למה ». Quelle est la signification ultime, la FIN de cette souffrance ? Et l’Eternel répond cette réponse merveilleuse, ultime, infinie : « Maintenant tu verras, ce que Je veux faire à Pharaon : c’est que forcé par une main puissante, il les laissera partir, forcé par une main puissante, il les chassera de son pays » (Ibid. 6, 1).

Dans le livre de Yechayahou, le prophète invite à la réflexion : « Levez les regards vers les cieux, et voyez Qui les a créés » (40, 26). Le Rav Moché Chapira, Zatsal, rapporte ici la lecture du Gaon de Vilna, qui relève dans ce verset l’anagramme du Nom divin : « Elé » (ceux-ci, la création) et Mi (Qui), le Nom « ELOKIM » étant le vocable utilisé dans le premier verset de la Torah pour la création. « Au commencement, Elokim créa les cieux et la terre » (Genèse 1, 1). Le fondement de la foi juive est évidemment exprimé dans ce verset du prophète : lisons et découvrons Qui est à l’origine de l’existence. Essayons de nous relier à l’Infini, c’est-à-dire de découvrir, au-delà des limites naturelles existentielles, la trace du Créateur. A partir de cette perspective immense, difficile, pleine d’obstacles, tentons d’établir une proximité avec la transcendance, de voir au-delà du fléau la présence du Tout-Puissant, de dépasser l’obscurité présente et réelle pour qu’apparaisse la lumière éblouissante de l’Infini. Le « Madoua » - le pourquoi – avons-nous dit, n’est pas saisissable, mais le « Lama » - « vers quoi », doit nous guider. Il ne nous appartient pas d’expliquer le passé, notre propos n’est pas d’affirmer, mais face à un événement universel d’une ampleur inégalée dans l’Histoire, il nous incombe de réfléchir vers quel abîme l’humanité semble se diriger.

L’humanité n’est-elle pas en train de remplacer le Mi (מי - Qui) par le MA (מה - Quoi) ? Ayant perdu le sens de la transcendance, ne s’est-elle pas réfugiée dans le MA, c’est-à-dire dans l’idéal du savoir ? Le pluriel, le CREE nous interroge, mais l’humain se doit de découvrir la question essentielle, le MI ? Au-delà de la pluralité, de l’apparent, il faut reconnaître la Source réelle. Selon l’expression exacte de Rav Sadin dans son livre sur les Fêtes Juives, la difficulté de l’impossibilité de connaître l’essence du Créateur, en face de la nécessité de Le reconnaître dans le monde : « La source du sens, écrit-il, apparaît dans la convergence du retrait et de la présence » (Haguim p. 69). Les possibilités prodigieuses, cachées dans la création, sont détournées de leur utilisation nécessaire. Les hommes ont créé une puissance stratégique exceptionnelle ; les armes nucléaires, biochimiques, se sont développées à notre époque plus que jamais dans l’Histoire. On dépense des fortunes pour voyager dans l’espace. On s’inscrit déjà pour ces voyages interplanétaires. Mais on est impuissant devant un virus qui paralyse l’humanité. Le QUOI s’est installé, et on oublie le QUI. Jamais comme aujourd’hui, l’humanité ne s’est sentie aussi fortement au bord d’un précipice !

Il importe de ne pas oublier que l’Eternel se cache derrière Sa création. La voix divine, adressée à Moché, ne pouvait se faire entendre en dehors de la Tente d’Assignation. Cette voix était donc inaudible à l’extérieur, mais pour nous, il est essentiel, il est vital d’en connaître la Source. Utiliser les forces de la nature dans un but humanitaire, rétablir un équilibre dans une humanité déboussolée, sortir de l’idolâtrie du QUOI pour rechercher le QUI, telle devrait être la leçon de la situation actuelle, refonder une proximité avec l’Auteur de toutes choses, seule solution pour redonner aujourd’hui un espoir à la création.