Du haut de son mètre quatre-vingt, enveloppée dans une robe blanche la couvrant complètement, élégante, Linor Abergel, Miss Israël et Miss Monde 1994 a présenté cette année la cérémonie de Yom Ha’atsmaout, la tête couverte d’un foulard…

En Israël, ce détail vestimentaire ne peut prêter à confusion. Ce n’est pas une mode, mais bien le signe extérieur de son rapprochement à un judaïsme sans compromis : Miss Monde a fait Techouva !

Bien sûr, certains ont jasé, comme ce juge à la retraite, qui n’a pu s’empêcher de railler la plus belle femme du monde.

Un esprit étriqué ne peut supporter l’idée qu’une personnalité publique repense les choses et, cohérence oblige, avance dans son engagement au judaïsme.

Le public en Israël a très largement réagi. De tous les bords, hommes, femmes, laïcs et religieux, ont soutenu Linor, sa liberté d’exister et de se vêtir selon ses convictions.

La prise de position de Linor Abergel s’inscrit dans une vague de retour à la pratique du judaïsme qui touche la société israélienne depuis 40 ans. Le monde des artistes est peut-être le plus représenté. Comédiens, auteurs, chanteurs-compositeurs, réalisateurs, journalistes… Ils reviennent. On a l’impression que le seul département qui n’a pas été concerné par ce retour reste le monde de la politique… et peut-être celui des hautes instances juridiques.  

L’amorce de ce grand retour à la religion, historiquement, s’est produite avec la guerre la plus traumatisante d’Israël : la Guerre de Kippour.

L’armée était jusque là invincible, presque divinisée. Mais cette terrible guerre qui a surpris Israël à l' aube du 6 octobre 73 , débute avec des pertes en vie bien trop importantes dès les premiers jours. L’amère déception face aux généraux de Tsahal et à son mythologique ministre de la défense, Moché Dayan, ajoute encore une dimension au traumatisme.

« Quel prix avons-nous payé pour cette terre si aimée, mais qui “dévore” ses habitants » ?

Les israéliens, devant cette crise de confiance face à leurs dirigeants, commencent à se poser des questions brûlantes sur leur identité.

Linor et son parcours s’inscrivent dans cette lente métamorphose de beaucoup d’israéliens à la recherche de leurs racines juives, qui débute en 1973.

Née il y a 39 ans, à Natanya, dans une famille d’origine marocaine, elle grandit dans l’Israël laïque des années 80. Interrogée sur ses motivations à participer au concours de beauté de l’époque, elle répond sans détour que lorsqu’elle s’est inscrite à la compétition, elle ne voulait pas vraiment gagner. Elle n’aime pas le monde de l’artifice, de l’apparence, qui se complait dans sa propre image. Bien avant son retour à la religion, elle cherchait déjà un sens à la vie. La notion de « manger, boire, mourir » ne l’a jamais satisfaite.  

Mais, prise dans l’engrenage de la compétition, elle joue le jeu jusqu’au bout.

Lors de ses études de droit - elle est aujourd’hui avocate -, elle fréquente à Tel Aviv les cours de Torah du centre « Chorachim », puis le centre « Hitavout » fondé par le couple Dayan, eux-mêmes Ba’alé Téchouva, elle, journaliste et lui, comédien.

Elle reçoit des réponses à ses questions et se rapproche, tout d’abord en gardant le Chabbath, puis en prenant sur elle tout doucement d’autres Mitsvot, sans brusquer, mais à chaque étape en apprenant à jouir de ce qu’elle avait « conquis ». Et enfin, en changeant sa garde-robe avec des vêtements couvrants.

Lorsqu’elle prend sur elle la « Tsni’out » - habillement pudique -, elle dit avoir été confrontée à une sensation étrange : « Les gens soudain me parlaient en face. Comme à un être humain. Ça m’a plu. Pendant des années, on ne m’avait pas regardée pour ce que j’étais vraiment, mais uniquement pour mon aspect extérieur. »

« Mais il n’y a rien de coercitif dans ce processus, dit-elle. Essayez de faire porter à une femme un couvre-chef par 40° de chaleur. Jamais elle ne tiendra plus d’un jour, si ça ne vient pas d’une conviction intérieure totale, du plus profond de son cœur. »

Elle ne pense pas avoir diamétralement changé suite à son retour à la religion. Elle est restée la même, mais le chemin qu’elle emprunte est différent : il a un but, un sens.

Elle consacre une demi-heure par jour au dialogue avec son Créateur. Elle s’isole et parle avec Lui. Avec ses mots, comme on parlerait à son père. « Aucune demande n’est triviale ou insignifiante pour D.ieu, puisqu’elle vient de Sa créature qui s’adresse à Lui et reconnait Sa Grandeur infinie ».

Une composante dramatique, mais incontournable de sa biographie, est l’agression qu’elle a subie, quelque temps avant son couronnement comme Miss Monde.

Elle décide d’en parler, pour, selon ses propos, aider d’autres femmes à témoigner et à sortir du silence où elles peuvent se réfugier après une agression. Elle savait très bien qu’en dévoilant ce qui lui était arrivé, son histoire éclaterait dans les médias en l’éclaboussant, et cette terrible blessure dans son intimité allait être donnée en pâture aux médias.

Mais son désir de dire aux femmes qu’elles ne sont pas seules dans leur détresse, était plus fort que sa honte. Elle dit avoir voulu faire quelque chose de positif de cet outrage, le raconter et ainsi éveiller les consciences sur le sujet des abus subis par les femmes. 

Des années après l’agression, elle a été contactée par la fille de Gregory Peck, Cécilia, pour faire un film de son histoire. A sa sortie, le film a été choisi comme l’un des 5 nominés pour la prestigieuse récompense des Emmy Awards aux USA.

Aujourd’hui, mariée à Oren Kalfon, mère de 3 enfants (le 4ème en route), elle dit que le retour au judaïsme lui a apporté une grande sérénité. « J’ai compris que, dans la vie, tout n’est pas dans mes mains et sous mon seul contrôle. Cela m’apporte un grand calme intérieur. »

La boucle est bouclée. L’israélienne de Natanya, sans rien renier de sa « Tsabarout », a rejoint une autre part d’elle-même : sa judéité. Pour son plus grand bonheur et celui de sa famille.