Le Rav Heber nous a quittés le mois passé, à 55 ans, des suites du Coronavirus. Si une vie a été remplie de façon exemplaire, c’est certainement la vie de Rav Heber.

Alors qu’il enseignait à la Yéchiva Na’halat Acher de Guivat Chaoul, adulé de ses élèves pour sa chaleur, sa générosité et son sens inné de l’éducation, soudain, à 42 ans, ses reins cessent de fonctionner. C’est alors la course contre la montre pour lui trouver un « donneur » de rein compatible et lui éviter les souffrances des dialyses, au rythme de plusieurs par semaine.

A cette époque, l’association Matnat ‘Haïm (Don de Vie) n’existe pas et la course après un donneur potentiel est presque aussi éreintante que la maladie elle-même. Après être lui-même passé par toutes les étapes d‘attente et d’espoir que connaissent les malades, Rav Heber est enfin greffé et décide de fonder une association pour aider tous ceux qui ont besoin d’un rein. Il va, en Israël, amener au grand public la conscience de l’importance du don de rein. Chaque année, depuis la fondation de l’association, on trouvera dans sa boite aux lettres un dépliant racontant comment des hommes et des femmes de tout bord décident de donner leur rein pour sauver un être. Les histoires défilent, accompagnées de photos où des visages lumineux et souriants, de toutes classes sociales, ethniques, religieuses, racontent pourquoi ils ont décidé de donner leur organe. 

Attaqué il y a quelques années par des personnes désireuses de salir son association, Rav Heber s’agrippe de toutes ses forces à sa foi en D.ieu, surmonte la crise et est reconnu par tous, comme l’incarnation d’un homme remarquable, désintéressé et parfaitement intègre.

Le père de Rav Heber, Reb Zvi, nous parle de son fils, avec douleur, dignité et une profonde admiration :

« Mon fils aimait les êtres, les créatures d’Hachem, du petit au grand. D’un amour intense. C’était son secret et c’est pour cela, qu’en retour, on l’aimait tant. Il voulait le bien de chacun. »

Quel genre d’enfant était-il ? 

Comme tous les enfants, un bon enfant, mais sa proximité avec les Guedolim, ses maîtres, comme Rav Aharon Leib Steinman et Rav Leipkovitch, l’ont profondément marqué et d‘eux, il a reçu les fondements de l’amour de son prochain, et la connaissance inébranlable que tout ce qui arrive vient de D.ieu.

Rabbi Dov Yaffé disait : un homme peut vivre dans ce monde-ci, comme au paradis, et ce, par ses bonnes “Midot”, par le raffinement de son caractère. Une telle personne, tout le monde l’aime et il aime tout le monde, on le respecte et il provoque la joie autour de lui. D’un autre côté, il peut se mettre en enfer, l’enfer de ses mauvais traits de caractère. Mon fils, Rabbi Avraham Yichayaou zatsal, vivait au paradis dans ce monde. Sa vie durant, il a été la personnification vivante de cet enseignement de Rav ‘Haïm de Volozjin, qui explique que l’homme ne vient sur terre que pour faire du bien à son prochain. Et combien de bien mon fils a prodigué ! A part les 821 greffes qu’il a permises, en sauvant ainsi physiquement des hommes et des femmes, il n’a eu de cesse de donner spirituellement à ses élèves, à ses “Avrékhim”, et simplement à ses frères juifs. Tout cela, il le faisait sans bruit, avec discrétion, humilité et calme.

Beaucoup de gens m’ont dit qu’ils ont vu en lui le maximum de ce à quoi un homme peut accéder dans le bien. Mais nous pouvons tous atteindre ce niveau. Nous pouvons tous être au paradis des bonnes “Midot”, pourquoi pas ? Qui nous empêche de nous réjouir du bien que notre prochain reçoit de D.ieu, sans être dévoré de jalousie. 

Vous avez reçu, lors de la maladie de votre fils, un appel d’Amérique...

Oui, une femme m’a téléphoné des USA en disant : « Ma fille a eu le Corona et elle a guéri. Si vous avez besoin de son plasma, je lui prends de suite un billet d’avion et je l’envoie en Israël pour sauver votre fils, Rav Avraham Yichayahou.

Baroukh Hachem, mon fils a été un exemple et nous ne voulons pas le garder pour nous, mais, au contraire, que tout le monde apprenne de ses actions. Je ne comprends pas pourquoi les gens n’arrivent pas à être bons les uns envers les autres…

Parce qu’on a un Yétser Hara’ (mauvais penchant)...

Et vous croyez qu’Avraham Yichayahou mon fils n’avait pas de Yétser Hara’ ?

Mais il est possible de choisir de vivre au paradis !

Il faut éduquer nos enfants depuis leur plus jeune âge à comprendre combien il est bon de vivre dans un monde de bonnes Midot. Les Midot de la Torah, pas celles de la rue. 

Mon fils a eu des souffrances et est passé par des périodes très éprouvantes. Lorsqu’il y a 13 ans, soudain, sans crier gare, ses deux reins ont cessé de fonctionner, j’ai été avec lui à l’hôpital. Les médecins ne savaient pas pourquoi soudainement sa santé s’était détériorée et ce que l’avenir lui réservait. Jusqu'à ce qu’on lui trouve un rein, ça a été compliqué et très long et, pourtant, je peux témoigner que jamais je ne l’ai entendu soupirer ou se plaindre. Il se comportait en ‘Hassid, en homme pieux : « Sa détresse dans son cœur et la joie sur son visage. »

Mais il y avait une autre raison à sa bienveillance et au fait qu’il était un homme heureux : il savait que D.ieu dirige tout et que lui-même est sous la protection de l’Eternel. Dernièrement, quand on a cherché à l’inculper et que la police l’a poursuivi, vous savez ce qu’il a fait ? Il s’est renforcé en lisant Rabbi ‘Haïm de Volozjin qui rapporte qu’Hachem dirige le monde, Lui Seul, et personne d’autre. Mon fils vivait et croyait en cela avec une conviction totale, avec un bonheur indescriptible, et c’est comme ça qu’il allait aux interrogatoires.

La police et les médias l’ont beaucoup affecté...

Ce qui l’affectait, c’était l’idée qu’on puisse fermer l’association. Mais avec une force incroyable, sans dire un mot, sans même utiliser les preuves qu’il avait contre ses détracteurs (et il en avait !!), accroché à sa foi, il a tout surmonté.

Il y a quelques années, un juriste de renom en Israël a sorti un livre sur tout ce qui concerne le don d’organes à la lumière de la loi. Votre fils a été invité à prendre la parole lors de la cérémonie qui a été organisée pour l’événement. Qu’a-t-il dit ?

En effet, il a parlé devant des juges et toute la crème de la cour suprême de justice. Il leur a dit : “Messieurs, mesdames, honorables juges, j’ai l’impression que nous sommes ici, en ce moment, à deux pôles extrêmes les uns des autres, vous et moi. Je m’explique : je reviens en ce moment de l’hôpital Bellinson, où j’ai rencontré des hommes qui, dans un geste totalement désintéressé et altruiste, ont donné une partie d’eux-mêmes, un de leur organe, pour sauver un autre homme, qu’ils ne connaissent pas. C’est un geste suprême de détachement et de dépassement de soi.

Vous, malheureusement, êtes toute la journée confrontés à la criminalité, à la délinquance, au vol et, pire, c'est-à-dire à l’égoïsme à son paroxysme, et vous pouvez peut-être en venir à croire que ce pays est rempli de mal. Et bien, c’est faux ! Moi, Avraham Yichayahou, simple juif, je peux déclarer devant vous, qu’au travers de mes rencontres quotidiennes avec des donneurs d’organe, j’ai le sentiment de me trouver parmi le Peuple élu. Ces hommes, par leur geste, nous élèvent et élèvent le peuple entier. Mon souhait est que toujours nous sachions voir le beau de notre peuple et prendre exemple sur lui !”

Pour tout parent, la perte d’un enfant est une des choses les plus douloureuses et dramatiques qu’on puisse concevoir. Comment trouvez-vous les forces de surmonter la douleur ?

Oui, en effet, c’est une chose terrible qu’un père doive accompagner son fils à sa dernière demeure, je ne le souhaite à personne. Mais ça ne fait aucun doute que c’est pour son bien et le bien de toute notre génération. Il faut savoir que D.ieu dirige le monde et qu’Il est suprêmement Bon, fait le Bien, peut engendrer le Bien à chaque instant et ce qu’Il fait est le meilleur qui puisse être pour tout le monde. Nous nous trouvons ici, dans cette vie, dans une séquence très courte de notre âme. Nous visitons ce monde 70, 80, 100 ans et nous ne pouvons pas comprendre pendant ce laps de temps si court, quelles sont les raisons des événements que nous vivons.

Votre fils parlait-il, avec des greffés non-religieux, de l’importance de la pratique des Mitsvot ?

Dans le cadre de l’association, sa ligne était de ne pas parler avec les greffés de retour à la pratique ou de Techouva. La seule chose que nous donnons au greffé, peu importe religieux ou non, est un joli cadre contenant la Brakha “Acher Yatsar”, que l’on dit après s’être soulagé. On leur explique que cette bénédiction est un remerciement à D.ieu pour les miracles du fonctionnement du corps, qui absorbe et évacue la nourriture et les liquides filtrés par les organes. Si quelqu’un peut comprendre jusqu’au bout la signification de “Mafli La’assot” (“Il fait des miracles”), c’est bien le greffé des reins. Un malade des reins ne peut évacuer l’eau de son corps, c’est une tragédie. Dans le département de néphrologie à l’hôpital, on appelle l’urine : l’or. Littéralement.

L’évacuation des déchets est l’expression d’une bonne santé, ou, à D.ieu ne garde, la non évacuation est le signe d’un dysfonctionnement métabolique. On ne peut pas décrire la tension du moment critique où un greffé qui a reçu un nouveau rein, soudain, peut à nouveau évacuer de l’eau. Il y a encore quelques heures les sources vitales étaient verrouillées et soudain, cette machine merveilleuse recommence à marcher, de l’eau rentre, est filtrée et… sort de son corps. A ce stade, les greffés, souvent, éclatent en sanglots. L’émotion devant ce miracle est intense. 

Pouvez-vous nous rapporter une dernière anecdote à ce sujet, et nous finirons en vous remerciant infiniment de nous avoir accordé cet entretien...

Il y a un an, mon fils est sorti de la chambre d’un greffé, pas religieux, et a pris la route. Soudain, il s’est rappelé qu’il avait oublié de donner à l’homme le cadre de la bénédiction “Acher Yatsar”. Il a fait demi-tour et, étant épuisé, c’est son épouse qui est remontée dans la chambre du greffé pour lui donner le petit cadeau.

Le lendemain, mon fils reçoit un appel de cet homme, en larmes. Il lui raconte qu’après la greffe, tout avait l’air d’aller bien et, soudain, son corps a cessé de donner l’eau. Les médecins ont commencé à paniquer et à parler de biopsie et d’essayer un nouveau traitement. A ce moment, ma belle-fille est entrée dans la chambre pour lui donner le cadre contenant la Brakha qu’ils avaient oublié de lui remettre. L’homme a donc commencé à la réciter, et, en la lisant, il s’est rendu compte que son corps donnait de l’eau. La machine s’était remise à fonctionner. D’émotion et de stupéfaction, il s’est mis à la dire encore et encore. Il l’a peut-être récitée 50 fois. Cet homme a dit à mon fils qu’il pense que la Brakha l’a sauvé.

L’idée de mon fils, en donnant cette Brakha aux greffés, était de provoquer une relation entre l’homme et son Créateur, plusieurs fois par jour. Petit tribut devant de si grands miracles !

Adapté et traduit par Jocelyne Scemama (Yated Neeman, 1er mai 2020)