Un des plus célèbres psychologues de notre époque est – c’est bien connu – Sigmund Freud, le père de la psychanalyse moderne, Juif, mais appartenant à une famille viennoise assimilée (apparemment du même genre que la famille, elle aussi viennoise, également assimilée, de Herzl), était étranger à la tradition juive. Ses remarques sur la personnalité de Moché Rabbénou sont clairement la preuve de son ignorance des textes traditionnels. Mais ce qui nous intéresse particulièrement dans notre réflexion ici, c’est son livre sur l’interprétation des rêves. C’est un livre assurément intéressant, et très enrichissant pour une analyse de ce phénomène psychique qu’est le rêve. Il n’est nullement question – ce n’est ni notre intention ni le but de cette chronique – de présenter une critique de l’apport indiscutable de Freud à la connaissance de l’intériorité psychique. Le seul point qui nous intéresse ici, c’est que dans son étude sur les rêves, sur le subconscient, il néglige totalement l’aspect prémonitoire du rêve. Il n’envisage que le passé, la mémoire, l’éducation, mais nullement le fait que le rêve puisse annoncer un évènement : en fait, c’est la dimension verticale qu’il occulte, car elle défie l’athéisme qui est sous-jacent à toute sa lecture de l’Histoire.

Or, c’est précisément cet aspect (annonce du devenir) que la Torah nous propose. La dimension transcendantale du rêve est inhérente à la lecture de l’Ecriture Sainte. Cela apparaît aussi bien dans le Houmach que dans le Tanakh avec, par exemple, les rêves prémonitoires du Livre de Daniel. Pour le lecteur traditionnel, le rêve, on le sait, est un élément prophétique, ainsi que Yossef l’exprime de façon claire, même AVANT son interprétation : « Ce que D.ieu fait, Il le dit à Pharaon » (Beréchit 41, 25). Cette phrase de Yossef résume toute la lecture prophétique des rêves.

A partir de cette lecture, la perspective psychologique des personnages de la Torah reçoit une lumière qui – sans même faire appel à la lecture du Midrach qui ajoute en général une dimension mystique, basée sur une tradition transmise par les ‘Hazal – lumière qui éclaire à la fois la dimension particulière des personnages bibliques, et les investis d’un rôle dans le devenir historique du peuple d’Israël.

C’est dans cette perspective qu’il convient de comprendre, par exemple, les caractères – « Midot » (mesures de la personnalité) – complémentaires et harmonieux des patriarches. Au « ’Hessed » (bonté, bienveillance) d’Avraham s’allie la sévérité (« Din ») de Sarah. A l’austérité (« Din ») d’Its’hak correspond la présence chaleureuse (« 'Hessed ») de Rivka. Quant à Yaacov, qui représente la synthèse du « ’Hessed » et du « Din », il symbolise l’harmonie (« Émet ») nécessaire pour unifier les deux options : « Din » avec Léa (plus effacée) et « ’Hessed » avec Ra’hel, afin de construire ensemble la « maison d’Israël » idéale. Les personnages bibliques illustrent assurément la diversité psychologique de l’être humain. Cependant, se limiter à cette lecture reviendrait à faire de la Torah – ce qu’à D.ieu ne plaise – un livre de littérature semblable à d’autres ouvrages littéraires. Or, une telle lecture serait fondamentalement opposée à notre conception. La Torah n’est ni une livre d’histoire, ni une littérature, ni un livre scientifique : la Torah est la parole du Créateur, et elle enseigne à l’homme quelle doit être la conduite à tenir, face au Créateur. Un exemple précis de cette attitude apparaît dans la réaction d’Its’hak, quand il comprend qu’il a adressé sa bénédiction à Yaacov, et pas à Essav. Une réaction naturelle, psychologique, devrait être une irritation, une colère d’avoir été trompé. Non ! Its’hak a compris qu’il s’agit d’une intervention divine, et sa première réaction est : « Qu’il (Yaacov) reste béni » (Beréchit 27, 33). Le commentaire de Rachi, sur le premier verset de la Torah, explique cette idée : « La Torah n’est pas un livre d’histoire mais un texte législatif… » (Beréchit 1, 1). Notre époque tend à « laïciser » les textes sacrés, et à leur enlever leur dimension métaphysique. Il est essentiel de ne pas perdre cette perspective. Les personnages bibliques ne sont pas des métaphores littéraires, bien qu’ils signifient clairement une option éthique. Ils ont existé, et leur histoire s’intègre dans l’Histoire d’Israël, de façon positive ou négative. Ces personnages – de même que les événements historiques qu’ils véhiculent – ont une portée que la lecture première ne fait pas toujours apparaître. C’est ainsi qu’il nous faut comprendre la lecture hebdomadaire de la Torah : sachons que le texte biblique a été écrit et transmis à Moché par le Tout-Puissant. Le caractère sacré du texte transmis de génération en génération nous relie à la Révélation du Sinaï. L’objectif d’Israël est de savoir dépasser les séductions de la facilité. Dans le domaine de la psychologie, comme dans les domaines historique ou scientifique, les progrès sont remarquables, mais cela ne doit pas nous faire oublier la dimension transcendantale. A quelque époque que vive l’humanité, le Créateur de toute chose, l’Infini, nous observe et doit être pour nous la Valeur Suprême qui guide et oriente l’univers. Voyons cela de façon réaliste, sachons nous conformer à Sa volonté et, sans aucun doute, la route sera claire et l’horizon sera serein, car nous saurons quelle lumière nous guide !