Un paradoxe semble apparaître dans la configuration des nations : à l’époque d’une globalisation universelle, du village planétaire, de nombreux conflits semblent se profiler entre nations généralement voisines et traditionnellement liées. L’affrontement, heureusement non encore militaire entre la France et l’Italie, entre les Etats-Unis et le Canada ou le Mexique, l’annulation d’une visite du Ministre des Affaires Etrangères français au Brésil, nation traditionnellement amie, le désir des Britanniques de se détacher de l’Europe, la guerre larvée entre l’Ukraine et la Russie, autant de signes d’une détérioration des relations internationales. Paradoxalement, ce qui apparaissait comme une période d’entente historique semble offrir une image disloquée de l’univers.

Plusieurs raisons expliquent cette situation. Tout d’abord, la rencontre avec l’Autre est essentiellement toujours difficile : accord, intérêt d’abord, puis refus, difficulté, tel est notre lien avec l’Autre. Dans un deuxième temps, la société cherche à se former, à s’organiser, mais cette étape obtenue, on s’inquiète, on craint de perdre sa personnalité, de se diluer dans le groupe. Ces trois étapes psychologiques de l’individu se reflètent assurément au niveau des nations : indépendance d’abord, nationalisme premier, puis désir de s’intégrer dans une association plus générale, et ensuite les nations craignent de perdre leur identité. C’est la raison des populismes actuels, que l’on peut retrouver aussi bien chez Trump, que chez Boris Johnson, le nouveau premier ministre anglais, mais qui apparaît en Italie par exemple ou en Hongrie.

A cet aspect psychologique s’ajoute le problème des migrants, qui transforment le tissu national et créent souvent un climat étranger dans des nations, chargées d’une tradition très différente. Cela n’explique pas tous les conflits, mais cela permet de comprendre certains affrontements. Il est sûr que le monde bipolaire qui est en train de s’édifier – entre les Etats-Unis et la Chine – reste en proie à des déchirements essentiels.

Où intégrer ici la lecture prophétique, l’espérance eschatologique de l’Histoire ? Sommes-nous à la veille de l’avènement du Royaume divin ? Est-ce une guerre de Gog et Magog qui s’inscrit à l’horizon ? Il ne nous appartient pas de nous exprimer en prophètes, ni de tenter de comprendre dans le nouveau monde qui s’édifie en ce moment un début historique d’avènement messianique. Exprimer ainsi ce qui est une espérance mais non une certitude, ce qui peut s’allumer soudainement, sans être assuré d’une perspective exacte, serait assurément trompeur. Nous sommes, certes, les dépositaires de l’espérance d’un Royaume final, d’une rédemption de l’Humanité. On a décrit souvent cette vocation particulière d’Israël, qui relie le devenir humain à l’ultime spirituel, où se rencontrent le naturel et le sacré ; c’est cette étincelle qui se profile dans un monde tellement désordonné dont le peuple juif doit être le porteur. 

Le rapport entre l’aspiration spirituelle et la destinée d’Israël est un fait historique ; s’en dégager serait fatal, car ce serait une rupture avec une alliance historique. Dans une situation mondiale tellement enchevêtrée, il importe de « raison garder » et d’ « ouvrir les yeux », car l’aveuglement est dangereux. 

Certes, comme vient de l’écrire un analyste politique, le monde vit sur une poudrière qui risque d’exploser chaque jour (voir L’Express du 14 Août 2019 – n°3554, p. 17), mais, par ailleurs, nous sommes dépositaires d’une promesse vieille de plus de 3000 ans. 

Globalisation d’une part, nationalisme d’autre part, le monde actuel est dans un tel chaos idéologique, dans une telle incertitude écologique, que l’observateur peut se demander où l’on va : notre espérance est qu’au-delà de ces difficultés, de ces inadéquations universelles, un ordre intérieur, une réalité spirituelle, peut se cacher.

 Telle est notre espérance, car comme l’a dit Maïmonide « Même s’il tarde, nous croyons fermement en la venue du Machia’h », et c’est alors que se réalisera le salut final pour l’humanité. Rav Yehoudah Ha-Lévi a résumé cette aspiration dans le Kouzari, aspiration fortement actuelle, et qui peut servir d’avertissement pour l’humanité : « La révélation de l’unité du domaine moral, spirituel, intellectuel, et du domaine matériel concret, technique et social, se fait dans le monde par l’intermédiaire d’Israël, et par l’aptitude de la terre d’Israël à en préparer l’avènement qui fera prendre de nouveaux visages à toute la culture humaine ». (Cité dans le livre de Benjamin Gross – « Choisir la Vie » p. 105). Il nous reste à espérer que cet avènement soit proche, pour le bien de l’humanité entière.