En analysant l’épisode des Méraglim, on trouve un certain nombre de similitudes avec un autre incident qui se déroula plusieurs années plus tôt ; celui de la vente de Yossef. Le Ba'al Hatourim souligne l’emploi du même mot – Méraglim – quand Yossef, devenu vice-roi d’Égypte, accusa ses frères d’espionnage. Le Ba'al Hatourim note un débat subconscient entre Yossef et Yéhouda quant à l’avenir, à leurs descendants ; Yossef traite ses frères d’espions et fait ainsi allusion à la future faute des explorateurs, à laquelle son descendant, Yéhochou’a, ne participa pas. De son côté, Yéhouda, le dirigeant de la fratrie affirme que son descendant, Calev était également contre les Méraglim et de ce fait, il ne peut pas non plus être appelé « espion ».

Ce Ba'al Hatourim nous montre le lien étroit entre les deux épisodes apparemment disparates ; celui de la vente de Yossef et celui des Méraglim. Notons également que les personnages principaux de la vente de Yossef – Yossef et Yéhouda – furent les ancêtres des deux seuls explorateurs qui restèrent vertueux[1].

Rapportons tout d’abord d’autres similitudes entre les deux histoires. L’une des causes de la haine grandissante des frères contre Yossef fut sa médisance contre eux auprès de son père Ya'acov Avinou. D’ailleurs nos Sages critiquent Yossef pour son Lachone Hara' sur ses frères, en dépit de ses nobles intentions. Dans le même ordre d’idées, la Torah affirme que les Méraglim dirent « Dibat Haarets » — dirent de mauvaises choses sur Erets Israël. Le mot Diba est très rarement employé ; ce sont les deux seules fois qu’il apparaît dans la Torah[2].

Outre ces quelques rapprochements entre les deux incidents, ceux-ci sont profondément liés. Quels furent les rôles de Yossef et de Yéhouda dans les deux événements ?

Les commentateurs[3] lient explicitement les deux histoires et affirment que si les explorateurs avaient parlé élogieusement d’Erets Israël, ils auraient rectifié la faute de la vente de Yossef. Malheureusement, en critiquant la Terre, ils échouèrent, ce qui entraîna des conséquences désastreuses.

Par contre, les deux « bons » explorateurs – Yéhochou’a et Calev – réussirent à rectifier, en un certain sens, les fautes de leurs ancêtres – Yossef et Yéhouda qui furent à l’origine de la vente. Yossef joua un rôle important dans les événements qui provoquèrent sa vente. Comme mentionné, on lui reproche sa médisance. Les commentateurs font un parallèle dans l’histoire des Méraglim : quand on évoque l’explorateur de la tribu de Ménaché, le fils aîné de Yossef, la Torah souligne qu’il était un descendant de Yossef. En revanche, en décrivant Yéhochou’a, l’explorateur de la tribu d’Éphraïm, le deuxième fils de Yossef, la Torah ne fait aucune mention de ce dernier. En effet, l’explorateur issu de Ménaché échoua dans le même domaine que Yossef, en parlant négativement de la Terre[4]. En revanche, Yéhochou’a n’émula pas le Lachone Hara' de Yossef et c’est la raison pour laquelle celui-ci n’est pas mentionné.

Non seulement Yéhochou’a ne répéta pas l’erreur de son ancêtre, mais il tenta de la rectifier avec ses propos. Ainsi, tandis que Yossef rapporta la Diba de ses frères et que les dix explorateurs rapportèrent la Diba de la Terre, Yéhochou’a – et Calev – parlèrent d’elle élogieusement, s’opposant à la majorité des explorateurs et affirmant : « La terre que nous avons traversée pour l’explorer, cette Terre est très très bonne… une Terre où coule le lait et le miel. »[5]. Bien qu’il n’ait pas réussi à dissuader le peuple de se rebeller, Yéhochou’a réussit son épreuve personnelle, celle consistant à rectifier l’erreur de son ancêtre.

Comment Calev corrigea-t-il la faille de son aïeul ? Yéhouda est blâmé du fait qu’étant le dirigeant, le plus influent sur l’attitude des frères, il aurait pu sauver Yossef. Quand il proposa de le jeter dans un puits plutôt que de le tuer, il aurait pu en faire davantage ; le faire sortir du puits et le ramener à la maison. Mais il suggéra plutôt de vendre Yossef, ce qui eut de graves conséquences. Yéhouda est critiqué par nos Sages pour cet acte ; du fait qu’il proposa de ne pas tuer Yossef, il entama la Mitsva de lui sauver la vie, mais ne continua pas à le protéger. Yéhouda trébucha dans son rôle de leader – il était un dirigeant naturel, mais n’utilisa pas sa force de manière optimale. D’ailleurs, à cause de cela, le statut de chef lui fut retiré[6].

Calev, son descendant, fut placé dans une situation semblable ; il aurait pu utiliser son influence de dirigeant pour encourager les explorateurs à poursuivre leur médisance. Mais il se leva et tout le monde se tourna vers lui, impatient d’entendre son avis. Au début, il semblait se joindre à leur critique, mais soudain, il changea de discours et réduit à néant tous leurs arguments. Malheureusement, ses paroles ne furent pas écoutées, mais il parvint à rectifier le mauvais leadership de son ancêtre Yéhouda.

Autant Calev que Yéhochou’a furent largement récompensés pour leur courage. Ils excellèrent là où leurs ancêtres échouèrent, dans les domaines de la parole et de l’autorité. Ils restent des exemples de force morale, de cran et de détermination.

 

[1] Il est vrai que la tribu de Lévi ne participa pas à la faute des explorateurs, mais aucun Lévi ne faisait partie des 12 explorateurs, donc seuls les membres des tribus de Yéhouda et d’Éphraïm envoyèrent des explorateurs qui ne participèrent pas à la faute.

[2] Il existe plusieurs autres parallèles entre les deux histoires.

[3] Voir ’Hida dans Lekhem Min Hachamaïm, Parachat Mikets, rapportant le Guévourat Ari.

[4] Rachi dans Séfer Hapardess, Tiféret Yehonathan.

[5] Bamidbar 14,8.

[6] Rachi, Béréchit 38,1, s.v Vayé’hi