La Paracha de cette semaine, et plus généralement le livre de l’Exode, est l’occasion d’une réflexion sur les déterminants de la foi, de la Emouna. En effet, nous voyons d’une part le Pharaon qui refuse de croire en l’Eternel, en dépit des différents miracles surnaturels auxquels il assiste, et de l’autre côté, les Bné Israël qui vont affermir leur foi en l’Eternel progressivement jusqu’à la fameuse traversée de la mer des joncs où nous pourrons dire « Et ils crurent en l’Eternel et en Moise Son serviteur ».

Au début de notre Paracha, D.ieu adresse un reproche à Moché Rabbénou en lui rappelant les grands mérites des générations précédentes, les Patriarches. En effet, Moché s’étonne et s’émeut devant l’Eternel que sa mission d’aller voir Pharaon ait aggravé la situation des Bné Israël et il semble demander des explications à l’Eternel. Hachem lui répond que cette attitude contraste avec celle des Patriarches qui ne questionnaient jamais l’Eternel sur Ses promesses mais le croyaient d’un cœur entier bien que, parfois, la réalité semblait aller à l’opposé des promesses qu’ils avaient reçu.

Ainsi, selon l’explication de Rachi, l’Eternel fait observer à Moché qu’il s’est révélé aux générations précédentes sous le nom de « Cha-Kay », c’est-à-dire qui promet sans accomplir immédiatement Ses promesses. Mais pour la génération de Moïse, il devra se présenter sous le tétragramme qui incarne la puissance d’exécution de l’Eternel, et notamment d’accomplissement de miracles surnaturels.

D’autres commentateurs (Rabbi Avraham Ibn Ezra ou Ramban) font observer que la différence entre la génération des patriarches et celle de Moché Rabbénou tient au fait que pour les premiers, l’Eternel s’est manifesté comme « Maître de la Nature » accomplissant des miracles « cachés » s’intégrant dans le cours naturel de la vie ; alors que pour les seconds, Hachem devra se manifester à travers le tétragramme incarnant sa puissance sur-naturelle à l’image des miracles surnaturels des 10 plaies d’Egypte (R. E. Munk).

Finalement, à travers ces distinctions, la Torah veut attirer notre attention sur les déterminants de la foi humaine et les différents niveaux de « Emouna ». Le plus élevé semble être celui des Patriarches qui croyaient en l’Eternel d’un cœur entier, sans laisser de place au doute ni réclamer des preuves ou des débuts d’accomplissement des promesses. Ils avaient une foi totale dans la parole de D.ieu, même si la réalité de leur vie pouvait être difficile ou « incohérente » avec les promesses Divines.

Toutefois, ce niveau de foi a semblé décliner avec le temps. La génération de Moïse avait besoin de s’appuyer sur des éléments concrets pour affermir leur foi et ils ne pouvaient se contenter de promesses abstraites. Voilà pourquoi l’Eternel a dû se manifester devant eux avec une série de miracles surnaturels qui ont contribué à ancrer la foi dans leur cœur. Toutefois, cette foi semble moins forte que la première car elle repose sur des « conditions », si les conditions ne sont plus réunies, si la réalité semble montrer une forme d’adversité, contraire aux promesses formulées par Hachem, alors la foi peut vaciller et c’est précisément ce que nous verrons tout au long des 40 années d’exode dans le désert.

Le Talmud s’intéresse également à ces questions d’une éternelle actualité. Dans le traité Brakhot (page 20a), les Sages posent la question suivante : « Pourquoi les générations précédentes avait-elles le mérite de connaître davantage de miracles que la nôtre ? ». Et nos maîtres de répondre que ce mérite particulier s’explique par la capacité de nos ancêtres à se « dévouer » totalement à l’Eternel, sans faire de calcul personnel. Ils ressentaient intérieurement le besoin impérieux de défendre l’honneur de D.ieu, d’agir de manière désintéressée, uniquement pour servir l’Eternel et accomplir Sa volonté. Ces générations avaient le mérite de faire passer l’honneur dû à l’Eternel avant leur propre mérite, ils étaient prêts à se sacrifier pour l’Eternel.

Or, cette attitude dépasse la logique humaine qui veut généralement que l’homme privilégie son intérêt, sa vie, son confort. Aussi, la récompense de cette attitude surnaturelle résidait précisément dans l’accomplissement de miracles surnaturels. Les générations suivante n’étant plus capables d’une telle abnégation ne parvenait plus à susciter des miracles d’une telle intensité.

Cette précision du Talmud est importante car elle permet de comprendre comment fonctionne la foi. L’homme a tendance à croire que ce sont les manifestations de D.ieu, ses miracles qui rendent possible la foi, selon le fameux adage « On ne croit que ce que l’on voit ». Cette idée postule ainsi que plus l’homme assiste à des manifestations de la présence divine, plus il a des « preuves », plus il sera enclin à croire.

Or, nous voyons bien que la nature humaine ne fonctionne pas ainsi. Aussi bien les Bné Israël dans le désert que dans l’histoire du peuple juif, le fait d’assister à des miracles n’a jamais garanti une fois forte et durable. Combien de personnes reconnaissent avoir assisté à des miracles et n’ont pas changé leur mode de vie, ne sont pas devenues plus « religieuses » ou plus « croyantes » ? Lorsque la foi se fonde uniquement sur des motivations extérieures à l’individu, sur des faits extérieurs, furent-ils miraculeux, surnaturels, alors elle demeure fragile, précaire, provisoire.

En revanche, lorsque l’homme renforce sa « Emouna » (sa foi) de manière désintéressée et inconditionnelle, à l’instar des Patriarches ou des anciennes générations, lorsqu’il contemple les merveilles de la Création qui l’entoure, lorsqu’il guette les apparitions « cachées » de D.ieu dans le cours apparemment « naturel » de sa vie et qu’il est capable de les identifier, alors il affermit en lui une foi inébranlable. Celle-ci se passe de « miracles surnaturels » car chaque instant de vie, le plus simple comme le plus intense, est perçu comme miraculeux. La foi de l’homme n’est pas fondée sur un événement extérieur mais sur une dynamique intérieure profonde. Le miracle surnaturel peut aider ou renforcer la foi, mais il ne peut pas en être la cause.

Aussi, ce ne sont pas les miracles qui rendent possible la foi, c’est précisément l’inverse, c’est la foi, la capacité de l’homme à faire entrer D.ieu dans son quotidien qui rend possible la perception des miracles du quotidien et ouvre la porte aux miracles surnaturels comme le note les Sages du Talmud.

Puissions-nous avec l’aide de l’Eternel parvenir à renforcer notre Emouna en étudiant la Torah, en pratiquant les Mitsvot, et en méditant sur les merveilles de la Création et sur l’infini bonté de D.ieu à notre égard. Nous pourrons alors installer une foi durable dans nos cœurs propices aux miracles.