« Moché monta vers D.ieu et Hachem l’appela depuis la montagne… » (Chémot 19,3)

Le Midrach (Chémot Raba 28,1) raconte que lorsque Moché monta pour recevoir la Torah, les anges voulurent lui faire du mal ; ils ne l’estimaient pas digne de recevoir la Torah en faveur de l’humanité. Hakadoch Baroukh Hou donna alors à Moché l’apparence d’Avraham Avinou et Il dit aux anges : « N’avez-vous pas honte de lui ? N’est-il pas celui chez qui vous êtes descendus et chez qui vous avez mangé ? » Hakadoch Baroukh Hou dit ensuite à Moché : « La Torah ne t’est donnée que par le mérite d’Avraham. »

Pourquoi Hachem a-t-Il invoqué précisément le mérite d’Avraham, plutôt que celui de Its’hak ou de Yaacov ? On peut simplement répondre que c’est Avraham qui accueillit les anges chez lui, mais d’un autre côté, on sait que Yaacov eut aussi affaire aux anges. Il existe certainement une raison plus profonde au fait que l’accueil qu’Avraham réserva aux anges fût tellement déterminant pour permettre à Moché de recevoir la Torah.

Un autre Midrach détaille le moment où Avraham accueillit les anges et cela nous aide à répondre à ces questions[1]. Le Midrach remarque une apparente contradiction dans les versets. La Torah raconte tout d’abord que les anges se tenaient au-dessus d’Avraham[2], puis elle nous informe qu’Avraham se tenait au-dessus d’eux[3]. Le Midrach comprend que ces termes ne font pas simplement référence à ce qui se produisit concrètement, mais qu’ils font allusion à un changement d’attitude de la part des anges à l’égard d’Avraham. Au début, ils étaient plus importants que lui et il était en admiration devant eux, mais après avoir fait tant de ’Hessed, ils réalisèrent qu’il était plus grand qu’eux et de ce fait, ils furent, à leur tour, en admiration devant lui.

On peut expliquer ce Midrach en affirmant que les anges admiraient la bonté d’Avraham, parce qu’ils n’étaient pas en mesure d’atteindre son niveau – les anges ne peuvent accomplir que ce qu’Hachem leur ordonne de faire, ni plus ni moins. Mais un être humain peut faire usage de son libre arbitre et fournir de gros efforts dans l’accomplissement des Mitsvot, ce qui les améliore et les embellit. C’est ce qui fit réaliser aux anges leur infériorité par rapport à Avraham.

Pour revenir au Midrach de Chémot, le Maharzou[4] précise que quand Hachem rappela aux anges qu’ils étaient « descendus » chez Avraham, Il fait allusion au fait qu’Avraham (et par extension, l’ensemble du peuple juif) est plus élevé qu’eux. Le fait que le visage de Moché ait pris l’apparence de celui d’Avraham, montre que Moché avait émulé la bonté d’Avraham et que spirituellement parlant, il pouvait donc utiliser l’immense mérite de ce dernier pour recevoir la Torah.

Il nous faut encore répondre à une question. Pourquoi fallait-il précisément un mérite lié à la bonté d’Avraham, plus que celui de tout autre Patriarche, pour octroyer au peuple juif le mérite de recevoir la Torah ? Les commentateurs de ce Midrach font référence à une Guémara qui met l’accent sur le lien fondamental qui existe entre la Torah et le ’Hessed[5]. La Guémara enseigne que la Torah commence par la bienveillance et se termine par la bienveillance. Elle commence par la bonté d’Hachem qui vêtit Adam et ’Hava et elle se termine par la bonté d’Hachem envers Moché Rabbénou, quand Il l’enterra. D’après le Maharcha, cette Guémara enseigne que toute la Torah, du début à la fin, n’est que ’Hessed. Il rapporte le verset de Echet ’Haïl qui appelle la Torah « Torat ’Hessed » et il termine en disant que la qualité de ’Hessed surpasse toutes les autres.

On comprend à présent pourquoi Hachem invoqua précisément la bonté d’Avraham pour prouver aux anges que l’homme est plus digne qu’eux de recevoir la Torah. La Torah est, par essence, un livre de ’Hessed, qui commence et qui se termine avec du ’Hessed et qui en parle tout du long. Dans le même ordre d’idées, le Messilat Yécharim écrit que la création du monde est en soi un acte de bonté de la part d’Hachem, Qui voulut donner à l’homme le plaisir de pouvoir se rapprocher de Lui. La Torah est le moyen grâce auquel l’homme se lie à Lui, ce qui est le plus grand ’Hessed qui existe.

Rav Moché Reichmann personnifiait bien cette alliance de Torah et de ’Hessed. Il fut l’un des plus grands philanthropes de notre peuple, il adhérait résolument à la Torah tout en réussissant particulièrement bien dans les affaires. Dans sa jeunesse, il étudia dans la Yéchiva de Rav Moché Schneider à Londres, avec Rav Moché Sternbuch (l’un des plus grands décisionnaires de notre génération). Rav Sternbuch raconte souvent les souvenirs de son passage à la Yéchiva. Les fonds étaient minimes et la pâtisserie locale partageait le pain non vendu ainsi que les gâteaux, parmi les Ba’hourim. Chaque matin, l’un des jeunes hommes était désigné pour aller chercher les pâtisseries. Moché Reichmann accomplissait souvent cette mission, prenant volontiers la place de ceux qui ne voulaient pas le faire. À cette époque, Moché Sternbuch était le « Vekker », le jeune homme qui passait dans les dortoirs à l’aube et qui réveillait ses camarades pour que ceux-ci puissent étudier avant même de réciter la prière de Cha’harit. À propos du dévouement de ces deux jeunes hommes, le Roch Yéchiva fit la remarque suivante : « Moché Reichmann, qui porte les sacs de pain pour nous tous, pourvoira un jour aux besoins de tout le Klal Israël et Moché Sternbuch, qui se lève tôt pour permettre aux autres d’étudier la Torah, deviendra un grand Talmid ’Hakham, qui enseignera la Torah au peuple juif. »[6]

Comme l’histoire le prouve, chacun a sa contribution unique au monde, mais il est évident que quelle qu’elle soit, les valeurs jumelles – Torah et ’Hessed – en sont toujours la base.

 

[1] Béréchit Raba 18,8.

[2] Béréchit 18,2.

[3] Béréchit 18,8

[4] L’un des principaux commentateurs du Midrach.

[5] Sota 14a.

[6] Quand on demanda à Moché Reichmann des détails sur cette anecdote, il affirma ne pas se souvenir des propos de son Rav, mais il déclara : « J’aurais bien aimé être celui qui réveillait les autres… ! »