La paracha de Kedochim abonde en mitsvot concernant les relations interpersonnelles. Vers la fin de cette section, la Thora nous ordonne : « Ne hais pas[1] ton frère en ton cœur, réprimande ton prochain et ne porte pas de faute sur [à cause de] lui. »[2] Plusieurs questions peuvent être soulevées sur ce verset.

Tout d’abord, pourquoi préciser que l’aversion ne doit pas être éprouvée dans le cœur, supposant qu’il serait permis de haïr quelqu’un d’une autre façon ?

De plus, les trois parties de ce verset semblent n’avoir aucun rapport, mais le fait qu’elles soient regroupées dans un même passouk indique clairement qu’il existe un lien – quel est-il ?

Enfin, le sens de la dernière proposition, « Ne porte pas de faute sur lui » n’est pas clair.

À propos de la précision faite par la Thora, plusieurs commentateurs affirment que l’on se focalise effectivement sur la haine gardée dans le cœur et non sur celle qui se manifeste extérieurement[3]. Ils expliquent qu’il est bien sûr interdit d’exprimer son mécontentement de manière hostile et qu’une telle réaction peut impliquer plusieurs interdits tels que prendre sa revanche ou bien garder rancune. Néanmoins, elle n’entraîne pas une transgression de la mitsva prescrite dans le verset rapporté si l’on ne garde pas l’aversion en son for intérieur, mais que l’on en parle plutôt à la personne qui causa ce tort. Le problème est que ce ressentiment aura inévitablement des conséquences très négatives.

Le Rambam rapporte l’exemple d’Amnon et Thamar[4]. Après l’acte odieux d’Amnon, le prophète nous raconte que le frère de Thamar, Avchalom, porta une haine terrible à son demi-frère, Amnon, mais ne lui parla pas du tout de ce qui s’était passé[5]. Le Ralbag écrit que s’il en avait discuté, la colère se serait calmée. Malheureusement, elle grandit au point qu’Avchalom tua Amnon deux ans plus tard[6]. Bien qu’Amnon eut commis une grave faute et qu’apparemment, Avchalom avait de bonnes raisons d’être furieux, il est réprimandé pour ne pas avoir dialogué avec Amnon et pour avoir laissé sa haine couver et avoir des répercussions si fâcheuses.

Nous avons répondu à la première interrogation : celle concernant la précision de la haine du cœur. Celle-ci, contrairement à celle que l’on exprime, prend une ampleur qu’un dialogue aurait pu éviter.

Dans cet ordre d’idées, le Séfer Ha’Hinoukh écrit que la haine intérieure est pire que celle que l’on démasque et c’est la raison pour laquelle la Thora la distingue. Il poursuit par ces sévères paroles : « La répugnance gardée dans le cœur engendre beaucoup de méchanceté entre les gens, provoque un conflit permanent entre frères et amis… c’est le pire des défauts et le plus répréhensible aux yeux de toute personne dotée de bon sens. »

Nous pouvons à présent comprendre également la suite du verset : « Réprimande ton prochain ». Les commentateurs expliquent qu’il s’agit non seulement d’un reproche à faire lorsque l’on voit quelqu’un commettre une faute, mais aussi quand on se sent offensé par son prochain. La Thora nous enjoint de ne pas haïr autrui dans notre cœur en gardant le ressentiment pour soi, mais plutôt de lui parler – c’est la réprimande dont il est question.

Le Or Ha’Haïm précise qu’il y a deux conséquences possibles à une discussion raisonnable concernant la douleur occasionnée. Soit l’individu expliquera la raison de ses actions, prouvant qu’en réalité, il n’a commis aucun péché et qu’il s’agit en fait d’un quiproquo. Soit il reconnaîtra s’être mal comporté et, en réalisant le tort causé, s’en excusera et promettra de ne plus récidiver.

Le Or Ha’Haïm interprète alors la dernière proposition du verset : « Ne porte pas de faute sur lui ». Lorsque quelqu’un nous offense, il ne faut pas présumer immédiatement qu’il est fautif, mais plutôt le juger favorablement et se dire qu’il n’a peut-être commis aucune erreur et qu’il se repentirait volontiers s’il réalisait le dommage provoqué.[7]

L’expérience confirme que lorsque l’on suit les instructions de la Thora dans ces domaines (ne pas haïr en son cœur et discuter avec la personne réprouvée pour ses actions), elle s’explique ou s’excuse presque toujours de son inconduite. Les gens ne sont généralement pas cruels et ne cherchent pas à nuire aux autres. Donc quand la victime de certaines paroles blessantes ou d’autres comportements négatifs fait part de ses sentiments, le résultat est pratiquement toujours positif, ce qui évite une intensification inutile de la haine, ainsi que beaucoup d’affliction.

Il n’est pas facile d’aborder quelqu’un pour évoquer ce genre de sujets, mais l’appréhension ne dispense en aucun cas de l’obligation de la Thora de clarifier la situation.

Puissions-nous tous mériter d’entretenir des relations cordiales et honnêtes, dans lesquelles les disputes peuvent être rapidement résolues.



[1] Notons que l’emploi du mot « haine » ne se limite pas à une réaction virulente, mais peut se traduire par une antipathie bien moins hostile. (Voir Parachat Vayétsé, 29:31 ainsi que le commentaire du Ramban sur le verset qui indique que Yaacov « haïssait » Léa.)

[2] Vayikra, 19:17.

[3] Ramban ; Rachbam ; Or Ha’Haïm, 19 :17 ; Rambam, Séfer Hamitsvot, Lo Taassé 302 ; Rambam, Hilkhot Déoth, 6:5-6 ; Séfer Ha’Hinoukh, mitsva 238.

[4] Chemouel 2, Chapitre 13, pour les détails de cette triste histoire.

[5] Chemouel 2, 13:22.

[6] Rambam, Hilkhot Déoth, 6:6.

[7] Or Ha’Haïm, Vayikra, 19:17.