La Paracha de cette semaine, Chélakh Lékha, est porteuse de nombreux enseignements en matière de leadership. En effet, elle met en scène une expédition dirigée par douze leaders, chefs de tribus, hommes de renom, qui vont être confrontés à une situation inédite, faisant apparaître des sentiments de doute, de peur, et de discorde.

À cet égard, notre Sidra met, tout d’abord, à l’honneur les vertus de certains hommes d’élite, Yéhochoua bin Noun et Calev ben Yéfouné, qui ont su garder leur indépendance d’esprit, refuser de suivre aveuglément les propos négatifs de leurs collègues, et préserver ainsi leur fidélité à D.ieu. Leur exemple nous rappelle qu’il n’est jamais acquis pour n’importe quel homme, fût-il vertueux, de ne pas fauter, de ne pas se laisser prendre au piège de mauvais calculs, c’est en réalité un combat permanent. C’est probablement en ce sens que nos maîtres écrivaient dans les Pirké Avot : « Ne préjuge pas de ta vertu jusqu’au jour de ta mort ».

L’attitude de Yéhochoua et de Calev incarne le véritable leadership porteur d’une vision, d’une détermination, mais surtout capable de penser à « contre-courant ». En effet, alors que l’ensemble de leurs collègues défendaient une même vision, Yéhochoua et Calev sont parvenus à résister, et rester fermes sur leurs convictions. Pour paraphraser Albert Camus qui disait « un homme, ça s’empêche », nous pourrions dire la même chose d’un leader, « un leader, ça s’empêche » de suivre aveuglement la voie de la facilité, l’opinion majoritaire, donnant un confort illusoire de court terme, au détriment des idéaux de « long terme ».

Leur attitude met ainsi en lumière en contrepoint le retournement de personnalité des 10 autres explorateurs, pourtant eux aussi vertueux et ayant assumé une forme de leadership dans leurs tribus jusqu’ici. Ces derniers vont se livrer à un compte-rendu négatif et désespérant au sujet de la terre d’Israël. 

Comment expliquer cette attitude surprenante ? Nos maîtres mettent en avant un phénomène fondamental dans toute forme de leadership : la confiance en soi, et la confiance en ceux que l’on dirige. Les 10 explorateurs vivent, dans ces heures déterminantes pour l’avenir du peuple, une crise de confiance.

C’est ainsi qu’ils doutaient tant de leurs capacités à conquérir la terre d’Israël que, par un effet de « distorsion cognitive », ils ont projeté cette image de faiblesse sur l’ensemble des éléments qu’ils rencontraient au gré de leur expédition. 

Par exemple, ils étaient convaincus d’être aux yeux des habitants de la terre d’Israël comme des « sauterelles », des proies faciles. 

En réalité, le miroir que l’homme tend à autrui sur lui-même détermine en partie la manière dont il sera perçu. Nous déterminons nous-même notre grille de lecture du monde et la nature de nos relations avec les hommes, en fonction de la confiance que nous avons en nous-mêmes. 

Sommes-nous conscients de nos qualités ? Notre entourage les percevra. 

Doutons-nous de nos compétences ? Nous diffuserons autour de nous un parfum de méfiance, et d’instabilité.

Dans le même sens, nous pouvons nous rappeler du reproche qu’adressera le prophète Chmouel au roi Chaoul : « Si tu es petit à tes propres yeux, n'es-tu pas le chef des tribus d'Israël ? » (Samuel, 15-17). Le prophète signifiait ainsi que l’image qu’il avait de lui-même n’était pas conforme à la mission que D.ieu lui avait demandé d’accomplir, et au leadership qu’il devait assumer. Or cette distorsion, entre la confiance en soi et les responsabilité qu’un individu assume, peut être à l’origine de profondes erreurs et d’échecs retentissants.

C’est ainsi que l’auteur du livre Akédat Its'hak explique l’erreur du Roi Chaoul « Lorsque l’homme s'efforce de réaliser son potentiel, il doit regarder au-delà de lui-même et essayer d'agir comme s'il était devenu une partie intégrante de ce qu'il cherche à atteindre. Lorsque le roi Chaoul a écouté le peuple et a permis à Agag de vivre, son erreur était qu'il était trop conscient de ses propres défauts et pas assez conscient de la position élevée qu'il occupait en tant que roi d'Israël, la nation sainte de D.ieu (voir Samuel I, chapitre 15) ». 

Concentrer son esprit sur l’étincelle divine qui réside en nous, le lien intime qui nous unit au Créateur du monde, est l'antidote pour dépasser les limites liées à notre condition matérielle. Cette dernière est déprimante, alors que la première est source d’élévation. L'impératif "Sois saint, car Je suis saint" peut alors signifier "n'utilise pas le fait que tu es dans une coquille mortelle comme une excuse pour ne pas chercher à atteindre le summum dont tu es capable", nous dit le Akédat Its'hak.

Comme le remarque le Rav J. Sacks, la Torah décrit à travers l’épisode des explorateurs une réalité éternelle de l’esprit humain que les recherches modernes en sciences cognitives et comportementales ont étayée scientifiquement. Le regard que chaque individu porte sur lui-même et sur ceux qui l’entourent détermine sa relation au monde et aux hommes.

Aussi, le rôle essentiel de tout dirigeant, qu'il assume des responsabilités professionnelles, associatives ou, simplement, en tant que parent, consiste à instaurer un sentiment de confiance parmi les individus qui l’entourent : confiance en eux-mêmes, en leur groupe et en la mission à accomplir. Le dirigeant doit placer sa confiance en ceux qu'il guide et les inspirer à avoir confiance en eux-mêmes. C’est d’ailleurs là l’étymologie latine du mot « confiance » « avoir la foi ensemble ».

C’est en ce sens que l’on peut aussi appréhender, propose le Rav Sacks, le principe psychologique souvent étrange des « prophéties autoréalisatrices ». En effet, on constate que ceux qui pensent "Nous ne pouvons pas le faire" trouvent bien souvent une confirmation à leur scepticisme dans la réalité, alors que ceux qui affirment "Nous pouvons le faire", parviennent parfois à des résultats a priori improbables. 

Si l’homme manque de confiance, il crée les conditions de son échec, alors que s’il développe une confiance solide, adossée à une préparation efficace, il pave la voie de son succès. Ainsi lors de la bataille contre les Amalécites (Paracha Béchala'h), la Torah exhorte les Israélites à « regarder vers le haut » afin de gagner, alors qu’inversement, s'ils regardent vers le bas, ils commencent à perdre.

« Dans ce monde, les optimistes ont le vent en poupe, non pas parce qu'ils ont toujours raison, mais parce qu'ils sont positifs. Même lorsqu'ils se trompent, ils restent positifs, et c'est la voie de la réussite, de la correction, de l'amélioration et du succès. L'optimisme éduqué et ouvert paie ; le pessimisme ne peut offrir que la consolation vide d'avoir raison. » explique l’économiste David Landes, dans son ouvrage « The Wealth and Poverty of Nations » (rapporté par R. J. Sacks).

L’espoir en l’avenir, la confiance dans les ressources insoupçonnées de l’homme est précisément ce qui a toujours caractérisé les enfants d’Israël, en dépit de l’adversité qu’ils pouvaient trouver dans les contextes politiques, économiques ou sociaux dans lesquels ils vivaient. Ils rejoignaient ainsi la tradition prophétique ; même les prophètes les plus pessimistes, d'Amos à Jérémie, restaient encore des voix d'espérance. 

C’est peut-être aussi en ce sens qu’il faut lire le passage lié aux Tsitsit qui figure dans notre Paracha également. En les portant constamment auprès de nous, et en les regardant, nous sommes invités à orienter en permanence notre regard vers le ciel. En effet, le fil bleu qui y figure « ressemble à la mer, la mer ressemble au ciel, et le ciel nous rapproche du trône céleste » nous disent les maîtres du Talmud. Ce regard tourné vers le haut, vers le Maître du monde, est précisément ce qui permet à l’homme de toujours conserver l’espoir en l’avenir.

Aussi lorsqu’un homme assume une mission de leader, que ce soit à titre professionnel, communautaire, ou encore dans la relation entre les parents et les enfants, il doit être un vecteur de confiance pour ceux qui l’entourent, s’efforcer de les rassurer sur leurs capacités, et leur enseigner, dès le plus jeune âge, que le lien qui les unit au Maître du monde peut leur ouvrir des portes inattendues et constitue une richesse éternelle.

Puisse Hachem nous permettre de progresser dans cette voie !